Il y a trente ans, l’endaka ou le yen réévalué
Le contexte : le Japan Bashing
Washington ayant menacé de doubler les droits de douane sur les voitures « made in Japan », le gouvernement de Tokyo a imposé aux constructeurs de réduire « volontairement » leurs exportations à partir de 1981. L’accord (« Volontary Export Agreement ») a porté sur le nombre et non sur la valeur des voitures exportées aux Etats-Unis. Respectant les quotas, les constructeurs sont montés en gamme et en exportant des voitures de plus forte cylindrée, ils ont élargi leurs parts de marché.
C’est dans ce contexte que se situe la décision de l’Hotel Plazza.
L’endaka
En deux ans, la monnaie japonaise s’est appréciée de 60 % vis-à-vis du billet vert et des monnaies asiatiques ancrées sur le dollar. L’endaka a pris fin dix ans plus tard, lorsque Washington a accepté une baisse du yen pour permettre à Tokyo de sortir du marasme, tout en exigeant du Japon qu’il investisse une partie de ses réserves dans l’achat de Bons du Trésor américains.
Les conséquences de l’endaka au Japon
L’éclatement de ces bulles a marqué le début d’une longue période de récession. L’investissement ayant diminué bien plus rapidement que l’épargne, il en a résulté une surabondance de capitaux japonais qui a donné naissance au « carry trade » : des opérateurs empruntaient en yen à des taux d’intérêt faibles et investissaient sur les marchés émergents, à commencer par les marchés asiatiques offrant de meilleures rémunérations.
Les conséquences en Asie
En Corée du Sud et à Taïwan, l’endaka a été aussitôt perçue comme une bonne nouvelle. Engagés sur les traces des Japonais, Coréens et Taïwanais avaient les moyens de leur grignoter des parts de marché. Une concurrence que les Japonais n’attendaient pas. Interviewé par la Far Eastern Economic Review (25 décembre 1986), le président de Nissan redoutait bien davantage l’impact de la baisse du dollar sur la compétitivité des automobiles américaines. Les industries coréennes et taïwanaises sont montées en gamme : ayant à leur tour dégagé des excédents commerciaux sur les Etats-Unis, ces deux pays ont subi les foudres de Washington et ont du réévaluer leurs monnaies (le won et le New Taiwan Dollar).
En Asie du Sud-Est, l’endaka a été perçue comme une mauvaise nouvelle. D’une part le ralentissement japonais signifiait une baisse de la demande de ressources naturelles exportées par la région. D’autre part, la réévaluation du yen rendait plus onéreuses les importations de produits japonais (articles finis ou pièces détachées utilisées par les filiales nippones). En outre, à la différence de la Corée ou de Taïwan, les pays du Sud-Est asiatique n’avaient pas la capacité de substituer des fabrications locales aux importations japonaises, et ne pouvaient donc pas espérer concurrencer les produits nippons sur le marché mondial.
En Thaïlande, dès l’annonce de l’endaka, le gouvernement a prudemment suspendu le programme de l’Eastern Seaboard (autour de la ville de Rayong), et la construction des zones industrielles qui devaient accueillir des investisseurs étrangers dans l’industrie lourde à Map Tha Phut et dans l’industrie légère à Laem Chabang. Publié le 16 janvier 1986, quatre mois après la réunion de l’Hotel Plazza, un article de la Far Eastern Economic Review doute que l’endaka puisse susciter des investissements japonais dans l’Asie du Sud-Est. Au même moment, de nombreuses délégations japonaises visitaient la région et quelques mois plus tard, l’afflux d’investisseurs nippons a saturé les infrastructures de la capitale thaïlandaise !
En effet, surprenant les observateurs, les entreprises japonaises ont réagi en multipliant les investissements tout en redéployant vers l’exportation la production de leurs filiales implantées en Asie du Sud-Est ; lesquelles fabriquaient jusqu’alors pour les marchés domestiques (malaisien, thaïlandais, indonésien). Aux investissements japonais sont venus s’ajouter les délocalisations des filiales étrangères implantées à Singapour : dans le cadre de sa « Révolution industrielle », le gouvernement avait imposé des hausses de charges salariales pour contraindre les entreprises à abandonner les activités « à haute intensité » de main-d’œuvre (habillement, assemblage électronique) et à s’engager dans des productions à plus forte valeur ajoutée.
Enfin, quelques années plus tard, l’appréciation du won et du dollar taïwanais, de même que la fin de leurs droits au Système Généralisé de Préférence en 1988, ont amené les entreprises coréennes et taïwanaises à délocaliser : elles se sont implantées en Asie du Sud-Est pour lutter contre la concurrence des produits japonais « made in South East Asia ».
Ainsi, en quelques années, à l’exception des Philippines qui traversaient une crise politique (assassinat d’Aquino en 1983, départ de Marcos en 1986), l’endaka a transformé l’Asie du Sud-Est qui a abandonné sa spécialisation dans les ressources naturelles pour devenir exportatrice de produits manufacturés. La part de ces produits dans leurs exportations a rapidement progressé. C’est tout particulièrement le cas en Indonésie passant de 5 % en 1985 à 50 % dix ans plus tard. L’Asie du Sud-Est, suivie de la Chine, a ainsi rejoint la Corée et Taïwan dans le « vol des oies sauvages » mené par le Japon.
L’actualité de l’endaka
L’endaka avait suscité un afflux massif d’investissements japonais vers l’Asie du Sud-Est. L’appréciation du yuan qui s’accompagne d’une hausse des salaires en Chine suscitent également des délocalisations vers le Bangladesh, la Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie et le Vietnam. Ce mouvement n’a toutefois pas la même ampleur. D’une part, l’appréciation du yuan est plus lente ; d’autre part, les entreprises implantées dans les régions côtières chinoises peuvent choisir de se déplacer vers les provinces de l’Ouest du pays, où les infrastructures se sont considérablement améliorées.
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