Japon : le long chemin de la privatisation de la Poste
Retour en arrière : en 2001, Koizumi parvient, un peu par surprise, au poste de Premier ministre en remplacement de Yoshiro Mori, qui n’a tenu qu’un an à ce poste. Même s’il provient de l’incontournable Jiminto, le parti libéral-démocrate au pouvoir quasiment sans interruption depuis 1955, il se démarque de ses récents prédécesseurs. Charismatique, avec une popularité qui résistera à l’usure du pouvoir, Koizumi est aussi ouvertement libéral. Un positionnement loin d’être évident au sein de la droite japonaise. Car le libéralisme du Premier ministre est une opinion dogmatique et sincère : pour le natif de Yokosuka, les privatisations des décennies précédentes ne sont pas suffisantes, il ne doit rester aucun sanctuaire.
La Poste emploie à l’époque plus de 270 000 personnes avec des bureaux quadrillant le territoire, au risque d’être parfois peu fréquentés. Son fonctionnement est plein de lourdeurs et ses résultats jugés insuffisants. De plus, les activités de banque et d’assurance-vie, qui investissent surtout en obligations, ne génèrent qu’un faible rendement.
Contexte
Le conglomérat qui gère aujourd’hui les différentes activités postales, incluant la banque et l’assurance-vie, a obtenu l’agrément de la Bourse de Tokyo pour une introduction le 4 novembre prochain. Il s’agira de la plus grosse arrivée en bourse au Japon depuis la cotation de NTT, les télécoms japonaises, en 1987. Et pour cause : le mastodonte représenté par les différentes branches issues de la première réforme de Junichiro Koizumi gère pas moins de 300 000 milliards de yens d’actifs (soit plus de 2 200 milliards d’euros). Considérée comme la plus grande banque du monde, le groupe compte toujours 24 600 établissements dans tout le pays.
Koizumi face à l’hostilité de son propre camp
La première tentative de privatisation sera un échec. Le projet de Koizumi sera adopté de justesse à la Chambre basse, mais retoqué à la Chambre haute. Un camouflet, sachant que le Parlement japonais était nettement dominé par le Jiminto. Mais domination n’est pas adhésion : le projet ne fait pas l’unanimité chez les parlementaires de son propre camp, inquiets en outre des répercussions auprès de l’opinion publique.
Coup de poker
La Poste, devenue certes une entreprise, n’est pas encore « privée ». Au départ de Koizumi en 2006, ses successeurs – et le premier d’entre eux, Shinzo Abe lors de son premier mandat en 2006-2007 – seront chargés de la phase terminale : l’entrée en bourse, c’est-à-dire la possibilité pour des particuliers ou des investisseurs institutionnels privés d’acquérir des actions.
Le dernier rempart
En 2009, le Minshuto (Parti démocrate du Japon) parvient enfin au pouvoir. Le parti de centre gauche, qui a toujours annoncé son opposition au projet, arrête le processus… jusqu’au retour aux affaires du Jiminito. Il faut donc attendre 2012 pour que la privatisation de la Poste redémarre. Même si Shinzo Abe n’en fait pas une priorité personnelle, telle que la révision constitutionnelle sur la sécurité nationale ou les « Abenomics », il tient malgré tout à relancer le projet en s’appuyant sur une popularité préservée, pour l’instant, de l’usure du pouvoir.
La cause de cet « acharnement » ? Pour Seiji Mataichi, élu du Shaminto (Parti social-démocrate, positionné à gauche) à la Chambre haute et fervent opposant à la privatisation, la Poste représente un ultime rempart avant d’autres projets : « A l’exception de la Poste, tous les anciens secteurs publics majeurs comme le rail, les télécoms ou le tabac, sont passés au privé, explique Mataichi à Asialyst. Nous sommes donc ici face au dernier rempart avant une nouvelle phase de privatisations, qui s’attachera aux missions des collectivités locales. »
D’autant que le parlementaire s’inquiète de la qualité du service public proposé par ce qui est encore considéré comme une socle primordial de la cohésion sociale : « Les employés de la Poste ne fourniront plus le même service qu’auparavant, s’inquiète le sénateur. Leurs salaires vont diminuer et leur statut se verront remis en cause. Quant aux investissements, ils seront revus à la baisse, comme ce fut le cas pour les lignes locales de chemins de fer, dont le niveau de sécurité s’est dégradé. »
Big bang boursier
Pourtant, malgré cette victoire de la pensée libérale et l’aboutissement d’un projet initié il y a déjà quatorze ans, les milieux d’affaires s’inquiètent. En cause : le poids gigantesque des éléments de la Poste japonaise mis sur le marché… et les risques de déséquilibre sur la place boursière de cette privatisation.
« Selon les projections, les trois entités réunies pourraient avoir un million d’actionnaires. C’est le double d’une entreprise comme Toyota. Et le montant de ce que l’Etat espère lever est supérieur à la valorisation boursière d’un géant du secteur privé comme Softbank », analyse la spécialiste du Japon Evelyne Dourille-Feer, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Selon elle, une trop forte popularité de ces actions peut générer de brutales logiques de transfert :
« Les gros investisseurs qui vont vouloir se positionner sur ces actions, vont devoir faire des choix en vendant une partie de leurs titres. Il va donc y avoir des arbitrages… Ce qui peut faire brusquement chuter le cours des actions dans certains secteurs, comme la banque par exemple. »
L’Etat se protège
Autant d’interrogations face au risque d’un « choc boursier », dont les autorités japonaises essaient de se prémunir. Ainsi, les actions ne seront disponibles qu’en trois vagues différentes de mises sur le marché. Le gouvernement a négocié un droit d’exception pour n’introduire en Bourse que 10% du capital total, la loi japonaise imposant normalement 35%. Surtout, l’Etat a confirmé sa volonté de rester actionnaire à au moins 50% des différentes entités. La privatisation ne sera donc pas totale. Pour l’instant.
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don