Environnement
Expert – Les bruits verts de Tokyo

COP21 : les engagements peu convaincants de Tokyo

Le mécanicien en chef Ryo Nagasawa travaille en haut d’une éolienne à Higashi-Dori sur l’île d’Honshu
Le mécanicien en chef Ryo Nagasawa travaille en haut d’une éolienne à Higashi-Dori sur l’île d’Honshu. (Crédit : KAZUHIRO NOGI / AFP)
« Nous nous sommes fixés un objectif ambitieux, aussi exigeant que les autres pays », s’est félicité le Premier ministre Shinzo Abe en juin dernier, lorsqu’il a officiellement donné le feu vert à un plan qui prévoit une réduction de 26 % d’ici à 2030 des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2013.
Pourtant, ces engagements soumis à l’ONU le 17 juillet sont déjà sous le feu des critiques des défenseurs de l’environnement, alors qu’ils paraissent être à peu près au même niveau que les engagements d’autres pays. Ainsi, les Européens tablent sur une réduction de 40% par rapport à l’année 1990 ; et les Etats-Unis visent eux 25% de réduction jusqu’en 2025, comme le Canada et la Nouvelle-Zélande, dont les chiffres oscillent entre 20% et 30%. Le hic, c’est l’année de référence que Tokyo a préféré fixer en 2013. Cette même année où l’archipel a accusé un pic d’émission de carbone en raison de l’accident de Fukushima, qui l’a contraint à arrêter toutes ses centrales nucléaires. En effet, si on aplanissait cette différence et que l’on prenait l’année 1990 comme point de référence, l’objectif fixé alors ne serait que de 18%…
Un chiffre « insuffisant », qui « aurait dû être beaucoup plus ambitieux », fustige Ai Kashiwagi, activiste à Greenpeace Japon. Après la publication des engagements du Japon, Climate Action Tracker – un groupe indépendant formé par des scientifiques internationaux – les a aussi jugé « inappropriées » et a estimé que si tous les pays réagissaient contre le changement climatique au même rythme que les Japonais, la hausse de température dépasserait les 3 à 4 degrés au cours de ce siècle. Ainsi, Climate Action Network (CAN) Japan, l’antenne de sa maison mère regroupant 900 organisations environnementales au niveau mondial, estime qu’une réduction de 40% à 70% d’ici 2030 est nécessaire pour respecter l’objectif de la COP21, c’est-à-dire maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.

Des engagements irréalisables ?

Or, même si les chiffres présentés par le Japon n’étaient pas compatibles avec ce but, le pays ne risquerait pas de perdre la face à Paris. « Les dirigeants internationaux, surtout européens, feront tout pour ne pas répéter l’échec de Copenhague, analyse Kameyama, chercheuse à l’Institut national des études environnementales. Traumatisés par cette expérience, ils seront flexibles vis-à-vis de ce genre de divergence. » De plus, par rapport à la situation industrielle et énergétique du Japon, cet objectif est « à peu près correct, affirme la chercheuse. Vu l’inertie politique des années 1990 et 2000, je pense que ce chiffre est même ambitieux. » Alors, quelle mouche a donc piqué le Parti liberal-démocrate (actuellement au pouvoir, NDLR), qui n’a presque jamais été en pointe sur les questions environnementales ? Pour Kameyama, cela est dû en grande partie à « l’engagement des Etats-Unis, envers lesquels les politiques japonais gardent toujours un œil », et au discours de Shinzo Abe en 2007, dans lequel il a plaidé pour une réduction de 50% des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. Pourtant, elle ne peut s’empêcher de tempérer : « Je ne suis pas sûr qu’on puisse réaliser cet objectif. »

Le talon d’Achille : l’énergie nucléaire

Outre l’année de référence, l’autre point faible de ces engagements, et probablement le plus grave, est sa dépendance vis-à-vis de l’énergie nucléaire. Pour l’année 2030, l’énergie au Japon sera ainsi produite à hauteur de 20 à 22% via des centrales nucléaires. Or, la réalisation de cet objectif nécessite le redémarrage de toutes les centrales nucléaires, et hypothétiquement la construction de quelques nouveaux sites. Mais comment peut-on tabler sur un tel chiffre, alors que l’hostilité et la défiance règnent autour de cette question ? « Si on se heurte à une grosse opposition antinucléaire susceptible d’empêcher le redémarrage, cela pourrait créer un vide énorme », prévient Kameyama, inquiète.
Le scénario le plus probable serait alors de combler ce vide en recourant aux centrales à charbon, qui devront produire en 2030 environ 26 % de l’électricité.
Le ministère de l’Industrie, architecte de ce programme, ne fournit pas d’explication convaincante à ce choix, qui est pris notamment pour « baisser le coût de l’électricité pour les entreprises », qui a explosé après l’accident de Fukushima.
Les organisations environnementales, comme CAN et WWF, ont pourtant d’ores et déjà essayé de signaler ces problèmes aux autorités. En vain. « Les écologistes ont presque été exclus du comité qui a élaboré ce programme », regrette Masayoshi Iyoda de CAN Japon. Tokyo avait certes invité les citoyens à envoyer leur avis, mais via une plateforme peu médiatisée et disponible seulement pendant un mois… Ce qui fait soupirer Iyoda : « On ne peut pas espérer beaucoup. » Du coup, les écologistes évoquent presque avec nostalgie l’ère du Parti démocrate (centre gauche, au pouvoir de 2009 à 2012) pendant laquelle « il y avait une vraie volonté politique pour donner la parole au public. »

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A propos de l'auteur
Yuta Yagishita, journaliste indépendant basé à Tokyo est un spécialiste des questions environnementales et politiques au Japon. Formé à l'ESJ Lille, cet admirateur de Hannah Arendt essaie d'être l'observateur le plus impartial de son pays natal qui ne cesse de vieillir. Il collabore notamment avec la revue ZOOM Japon.
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