Environnement
Analyse

Le mont Fuji, du côté obscur

Dessin de Tiery Le ...
Emblème du Japon, le puissant volcan peut-il entrer en éruption prochainement ? Certains l’ont prédit pour cette année. Cela n’empêche pas les millions de touristes de se presser autour de cette montagne sacrée, ignorant les multiples risques encourus pour ceux qui cherchent à le gravir. Le pays serait-il prêt à l’éventualité d’une éruption majeure ? Quelles en seraient les conséquences ? Jean-François Heimburger a interrogé des scientifiques japonais.
Six réacteurs nucléaires ont explosé, les uns après les autres. De la lave jaillit des cratères et fissures du mont Fuji. « C’est terrible ! », lance un homme. Les habitants jouent des coudes et tentent de fuir. « Le Japon est trop petit, il n’y a aucune issue », désespère un autre. Bientôt, le célèbre casque immaculé vire au rouge, recouvert de matière en fusion. Ce cauchemar d’Akira Kurosawa, transposé en court-métrage en 1990, Le mont Fuji en rouge, rappelle que cette montagne, la plus haute du Japon, est aussi un volcan actif. Du (mauvais) rêve à la réalité, n’y aurait-il qu’un pas ?

Le Fuji-san figure sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis le 22 juin 2013. Chaque année, des millions de touristes se pressent autour de cette montagne sacrée pour la contempler, surtout lors de la période estivale. Mais peu d’entre eux la gravissent à pied jusqu’à atteindre son point culminant, à 3 774 m. Selon le ministère de l’Environnement, 285 494 alpinistes ont été recensés à proximité du sommet, du 1er juillet au 14 septembre 2014.

Contexte

Depuis le séisme du 11 mars 2011, les scientifiques observent avec anxiété l’activité volcanique du Mont Fuji. En 2013, le professeur Masaki Kimura de l’Université Ryukyu déclarait que le puissant volcan pourrait être en éruption en 2015. L’activité volcanique au Japon a depuis connu des secousses récentes. Début mai, les commerces ont dû fermer temporairement dans l’un des spots touristiques les plus populaires près de Tokyo, après que l’agence météorologique eut élevé le niveau d’alerte volcanique de 1 à 2 pour le Mont Hakone. La ville de Hakone est une station thermale avec vue sur le Mont Fuji. Des fumerolles blanches et une élévation du sol dans la vallée d’Owakudani attenante à la montagne signalaient une possible éruption mineure du volcan.

« Sur la faille la plus active du Japon »

Accéder en haut du mont Fuji sain et sauf a un prix, celui de la sécurité. Il faut être prêt, physiquement et mentalement, à affronter des conditions météo changeantes et des pentes abruptes. Voire à renoncer en cas de rafales de vent et de fortes précipitations. Pour l’année 2014, la police de Shizuoka a recensé 131 victimes d’accidents, dont 41 blessés, 8 morts et 1 disparu. Les causes des accidents sont surtout les faux pas et dérapages, le mal des montagnes, les chutes et l’hypothermie.

Si la quasi-totalité des grimpeurs ne rencontrent aucun problème, combien sont conscients des risques naturels ? Les avalanches de neige mouillée sont fréquentes. « Sur le mont Fuji, de l’hiver au printemps, l’eau pénètre difficilement dans le sol gelé, explique Kazuki Nakamura, chercheur au Centre de recherche sur la neige et la glace. Suite à la fonte des neiges ou à de fortes pluies, une grande quantité d’eau s’accumule dans la neige, les deux matières se mélangent et dévalent la montagne. » Le 20 mars 1972, un tel phénomène avait tué une vingtaine d’alpinistes sur le Fuji-san. Les éboulis de pierre, qui se produisent surtout hors des sentiers balisés, sont aussi potentiellement meurtriers : le 14 août 1980, ils avaient causé la mort de 12 grimpeurs.

Une avalanche de débris, très rare, serait toutefois plus destructrice. Ce glissement de terrain, déclenché notamment par un séisme, entraînerait de la boue chargée de blocs et de troncs d’arbres sur plusieurs kilomètres, jusqu’à 350 km/h. Le phénomène peut se produire sur la plupart des montagnes.

« Or le mont Fuji se trouve pile sur la faille la plus active du Japon. Le danger est donc plus grand que sur d’autres volcans », estime Takahiro Yamamoto, directeur de recherche à l’Institut d’études géologiques du Japon.
Photo du Mont Fuji
Une éruption du Mont Fuji aurait une influence sur la vie plus de 25 millions de personnes, dans le périmètre de 100 km autour de la montagne sacrée (Crédit : Eurasia Press / Photononstop / AFP).

Les risques volcaniques

Mais l’aléa le plus extrême reste l’éruption. « Ce volcan est dangereux ! », titrait un magazine sorti en librairie début 2015. La couverture en papier glacé fait « froid » dans le dos : un mont Fuji crachant une colonne de fumée, parcourue d’éclairs, et vomissant des coulées de lave.

Absorbés par sa beauté, les grimpeurs en oublieraient pourtant que cette majestueuse montagne est un volcan actif. Et pas n’importe lequel : l’un des 47 sous surveillance constante depuis 2007, parmi les 110 répartis sur le territoire. Autrement dit, il fait partie de ceux qui auraient plus de chance que les autres de faire une éruption dans les 100 ans à venir. « Il n’y aura pas d’éruption aujourd’hui ou demain, mais je ne serai pas étonné s’il s’en produisait une dans une semaine ou dans un mois », indique Takahiro Yamamoto.

Une auscultation permanente est donc de mise. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des dizaines d’instruments enregistrent les moindres secousses, déformations et inclinaisons des pentes. Transmises en direct, les données sont analysées par divers organismes, dont l’Agence météorologique du Japon, également chargée d’informer la population.

La dernière éruption du mont Fuji s’est produite il y a plus de trois siècles, en 1707. Les séismes de basse fréquence, qui ont connu un pic en 2000 et 2001, indiquent un mouvement du magma. Quatre jours après le grand tremblement de terre du 11 mars 2011, un séisme de magnitude 6,4 s’est produit juste en-dessous de la montagne. Ce qui n’a pas manqué de provoquer un petit vent de panique.

L’éruption phréatique du mont Ontake du 27 septembre 2014, la plus meurtrière au Japon depuis 1926, a de nouveau fait frissonner les Japonais. Ce type d’explosion, impossible à prévoir, est cependant très peu probable sur le mont Fuji. « Comme il n’y a presque pas d’accumulation de solution hydrothermale à l’intérieur du Fuji-san, je pense qu’une explosion soudaine de nappes phréatiques, comme celle du mont Ontake en 2014, ne se produira pas, d’autant plus qu’il n’existe aucun précédent d’une telle éruption », explique Takahiro Yamamoto.

Se préparer au pire

Les municipalités aux alentours élaborent des plans d’évacuation en cas d’éruption. Et pour cause : près d’un million de personnes vivent à moins de 30 km du volcan. Pour anticiper, des exercices sont régulièrement organisés. Un système, mis en place début 2015 dans le département de Shizuoka, permettra aussi de prévenir les grimpeurs par mail en cas de rehaussement de l’alerte volcanique au niveau 3, 4 ou 5. À ce propos, une enquête du quotidien Asahi Shimbun, publiée le 23 mars 2015, indiquait que la zone au sommet du Fuji-san est couverte par les trois opérateurs de téléphonie mobile (Docomo, Softbank et KDDI). Une chance que n’ont pas encore tous les volcans actifs hautement surveillés.

L’information du grand public est aussi un excellent moyen d’éviter les accidents et catastrophes.

« L’éducation pour la prévention des désastres n’est pas suffisante, indique toutefois Takehiko Suzuki, professeur au département de géographie de l’Université métropolitaine de Tokyo. Il est nécessaire de mentionner dans les programmes d’enseignement, du primaire au lycée, les dégâts causés par les volcans, les séismes et les tempêtes dans les matières de sciences sociales et de sciences dures. »

25 millions d’habitants à 100 km à la ronde

L’influence d’une éruption pourrait être sans pareille dans les grandes métropoles situées à moins de 100 km du Fuji-san, périmètre qui compte plus de 25 millions d’habitants. Que se passerait-il en cas d’événement volcanique majeur, équivalent à celui de 1707 ? Yokohama et Tokyo, où aucun plan d’évacuation n’a été envisagé, seraient recouvertes d’une couche de cendres de 2 à 10 cm. « Même si une éruption plus grande que prévue se produisait au mont Fuji, il est difficile d’imaginer des victimes directs à Yokohama ou Tokyo », pense le professeur Suzuki.

« Toutefois, il pourrait y avoir des victimes indirectes en cas de fortes chutes de cendres, qui provoqueraient des dérapages et pannes de feux de signalisation, donc des accidents de la circulation, et auraient une influence sur les soins médicaux du fait des coupures d’électricité. »

De nombreuses personnes souffriraient en plus d’inflammations du nez et de la gorge, mais aussi de décollement de la cornée et de pneumoconiose.

L’économie serait, elle aussi, durement impactée. En 2004, le gouvernement avait évalué les pertes économiques entre 1 200 et 2 500 milliards de yens (entre 100 et 200 milliards de dollars), en fonction de la saison et des conditions climatiques. Bâtiments, véhicules et appareils électroniques endommagés, lignes de circulation coupées, aéroports fermés, récoltes compromises. Les Tokyoïtes pourraient aussi vivre sans eau courante ni électricité. Les centrales thermiques, vulnérables lors de pluies de cendres, sont concentrées dans la baie de Tokyo. « Si les turbines à gaz de TEPCO étaient endommagées, il sera nécessaire de remplacer les installations, ce qui prendrait plusieurs années avant de tout rétablir », avertit Takahiro Yamamoto. « Des dégâts de boue se produiront fréquemment dans le département de Kanagawa, pendant plusieurs décennies. »

Depuis l’éruption cataclysmale du Hokkaidô-Komagatake en juin 1929, aucun volcan du Japon n’a connu une activité d’une telle intensité. Alors que la prochaine ne devrait plus tarder, à Fujinomiya, les adeptes du sanctuaire Asama continuent de prier le dieu du feu pour que le mont Fuji reste calme.

Par Jean-François Heimburger

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Jean-François Heimburger est journaliste indépendant et chercheur associé au CRESAT (laboratoire de l’Université de Haute-Alsace). Spécialiste du Japon, il est auteur de l’ouvrage "Le Japon face aux catastrophes naturelles" (ISTE Éditions, 2018).