Revue de presse Asie - 15 juillet 2016

Attentat de Nice vu d'Asie, mer de Chine du Sud et soutien pakistanais aux Taliban

Après l'attentat de Nice, la coopération en matière de lutte antiterroriste prendra une place de choix dans les discussions du sommet Asie-Europe. Copie d'écran de Channel News Asia, le 15 juillet 2016.
Après l'attentat de Nice, la coopération en matière de lutte antiterroriste prendra une place de choix dans les discussions du sommet Asie-Europe. Copie d'écran de Channel News Asia, le 15 juillet 2016.

L'attentat de Nice vu d'Asie

Un bilan encore provisoire de 84 morts et de 18 blessés en état « d’urgence absolue ». Hier, jeudi 14 juillet, la France a de nouveau été frappée en plein coeur par une attaque terroriste – à Nice, le long de la Promenade des Anglais, où un camion a fendu la foule sur près de deux kilomètres. Huit mois après le 13 novembre, l’histoire semble peut-être se répéter, mais l’effroi est toujours le même. Ce vendredi 15 juillet, la presse asiatique s’en fait aussi l’écho.
Channel News Asia – Une minute de silence. C’est ainsi que s’est ouvert le 11e sommet bisannuel Asie-Europe, organisé cette année en Mongolie, à Oulan Bator. L’attentat de Nice est venu chambouler le planning de la rencontre multilatérale, explique Channel News Asia. Certes, la coopération en matière de lutte anti-terroriste devait être soulevée – mais la tragédie d’hier jeudi 14 juillet lui accorde une résonnance toute particulière… Ce qui fait de l’ombre aux conflits de souveraineté en mer de Chine, trois jours après le verdict de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, ce mardi 12 juillet.

Les chefs d’Etat et de gouvernement asiatiques se sont ainsi succédé en marge du sommet pour exprimer leurs condoléances. Parmi eux, le premier ministre nippon Shinzo Abe a dénoncé « la lâcheté du terrorisme qui, parce qu’il touche des personnes innocentes, est inexcusable ». La présidente sud-coréenne Park Geun-hye a également qualifié l’attentat de Nice d’acte « de haine », rapporte l’agence de presse Yonhap. Le premier ministre chinois Li Keqiang a quant à lui condamné « le terrorisme sous toutes ses formes », d’après des propos rapportés par l’agence de presse officielle Xinhua.

Hors du sommet Asie-Europe, le Premier ministre indien Narendra Modi, son homologue pakistanais Nawaz Sharif, le vice-président malaisien Ahmad Zahid Hamidi ainsi que le gouvernement indonésien, entre autres, ont exprimé leur solidarité et leur soutien à la France.

Firstpost – L’heure n’est pas seulement aux condoléances : elle est aussi à l’analyse. C’est en tout cas l’avis du journaliste Raghavan Jagannathan qui martèle dans le quotidien indien Firstpost : « L’attaque de Nice […] révèle l’échec de la stratégie antiterroriste occidentale. » Le papier s’ouvre sur quatre constats. Les deux premiers semblent convenus : « aucun Etat n’est à même d’éradiquer le terrorisme« , quelle que soit la sophistication de ses renseignements ; une attaque terroriste frappe toujours les esprits et impose des dépenses gouvernementales même en cas d’échec. Raghavan Jagannathan poursuit néanmoins avec un argument plus étonnant : les réponses « musclées » des Etats occidentaux pourraient rendre le terrorisme encore plus « attractif ». Il explique ainsi que des apprentis terroristes seraient plus tentés de perpétrer un attentat « en Amérique ou en Europe » où l’enjeu parait plus important qu’en Inde, par exemple – où la réalisation d’une telle attaque semble « plus simple » et où l’opinion publique n’est pas aussi « obsédée » par la terreur. Enfin, Raghavan Jagannathan conclut sa liste de constats en affirmant que les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans la radicalisation.

Mais alors, existe-t-il une meilleure façon d’éradiquer le terrorisme ? S’il est impossible de se débarrasser de la terreur en elle-même, Raghavan Jagannathan esquisse plusieurs pistes d’action à moyen et long terme. D’abord, réduire la couverture des attaques, qui constituent « l’oxygène » des terroristes. Ensuite, encourager les individus à informer les autorités de toute radicalisation touchant leur entourage car « les proches remarquent souvent un changement bien avant qu’un attentat ne soit perpétré ». A cela s’ajoute la nécessité de réduire la dépendance à la technologie en matière de renseignements, en accordant plus d’importance au renseignement humain. Raghavan Jagannathan dénonce également les « ralentissements » causés par le « politiquement correct » et certaines alliances diplomatiques, comme celle des Etats-Unis avec l’Arabie Saoudite et le Pakistan – que le journaliste décrit comme des « soutiens à l’islamisme et à la culture djihadiste ». Enfin, le journaliste conclut en incitant l’Occident à s’inspirer de l’Inde – c’est-à-dire à développer une « vision karmique » des conséquences du terrorisme, comme celles des « catastrophes naturelles ». Cela permettrait de lui accorder moins de crédit, et donc de le rendre moins attirant.

Asie du Nord-Est

South China Morning Post – Trois jours après le verdict de La Haye, l’heure est aux premières actions concrètes de Pékin en mer de Chine du Sud. Les médias chinois ont ainsi révélé que deux avions civils avaient atterri sur les pistes des récifs de Subi et de Mischief mercredi 13 juillet, dans l’archipel des Spratleys. Les médias philippins ont quant à eux annoncé hier jeudi 14 juillet que des gardes-côtes chinois avaient bloqué un chalutier philippin s’approchant du récif Scarborough, contrôlé par Pékin mais revendiqué par Manille. Les pêcheurs de l’archipel auraient voulu « tester la conformité des actions chinoises » par rapport au verdict de la Cour permanente d’arbitrage de la Haye, qui avait tranché en faveur de Manille ce mardi 12 juillet, rapporte le South China Morning Post.

Depuis, le gouvernement de Pékin s’est efforcé de discréditer l’instance judiciaire internationale et de rappeler que la Chine jouit de « droits historiques » dans la région. « Bien que la Chine soit grande, nous ne cèderons pas un centimètre de l’héritage légué par nos ancêtres », a ainsi déclaré le conseiller d’Etat Yang Jiechi cité par le China Daily. De son côté, le vice-ministre des Affaires étrangères Kong Xuanyou a affirmé que le sommet Asie-Europe – qui s’ouvre ce vendredi 15 juillet à Oulan Bator en présence du Premier ministre chinois Li Keqiang – ne constitue pas une « enceinte appropriée » pour discuter des conflits de souveraineté en mer de Chine du Sud. Pékin a toujours privilégié une approche bilatérale à un règlement multilatéral des différends. Le Premier ministre laotien, qui s’est entretenu avec Li Keqiang, a d’ailleurs déjà annoncé son soutien à la position chinoise, rapporte Channel News Asia.

Global Times – De bons chiffres « en dépit des vents contraires », c’est ce qu’assure le Global Times. Le journal fait référence à la croissance chinoise, qui reste stable à 6,7% sur l’année. Pour rappel, le gouvernement visait entre 6,5% et 7%. Cependant, comme l’indique le quotidien d’Etat, ces chiffres sont « les plus bas depuis le début de la crise économique ». Pour le porte-parole du bureau national des statistiques, selon les indicateurs et grâce aux réformes et restructurations économiques, « la stabilisation va continuer ». D’après ce dernier rapport, le secteur tertiaire est celui qui progresse le plus. Il représente maintenant 54,1% du PIB de la deuxième économie mondiale, après une hausse de 1,8 points cette année.
The Japan Times – Est-ce bientôt la fin du règne d’Akihito ? Le gouvernement nippon a commencé les préparatifs pour réviser, lors d’une session de la Diète l’année prochaine, la loi concernant le système du règne de la famille impériale. Le souhait de l’Empereur Akihito d’abdiquer serait alors exaucé. L’Agence de la Maison impériale envisage également d’organiser un événement où l’Empereur pourrait exposer la raison d’un tel souhait – qu’il n’exprime pas pour la première fois. Son fils le prince Naruhito, âgé de 56 ans, prendrait alors sa succession.

D’après une source gouvernementale, l’Empereur a indiqué cette année qu’il ne garderait le trône que s’il pouvait « accomplir ses responsabilités cérémoniales », préférant abdiquer dans le cas contraire. Il s’est opposé à la proposition de l’Agence de la Maison Impériale de réduire ses prérogatives – qui étaient au nombre de 270 l’année dernière -, affirmant qu’il ne pourrait être un symbole de l’Etat s’il ne pouvait les accomplir. Des mesures avaient pourtant été mises en place à cet effet depuis 2009 étant donné son âge (82 ans).

Une révision de la législation de la Maison impériale est nécessaire afin que l’Empereur abdique et cède le trône à son fils tout en étant en vie. La loi ne prévoit en effet pour l’instant aucune abdication. Aucune succession d’un empereur vivant n’a ainsi eu lieu depuis 200 ans. Une révision avait déjà été envisagée par le gouvernement de Junichiro Koizumi concernant la succession par une personne de sexe masculin. L’ébauche de la révision devrait être rendue publique pour l’anniversaire de l’Empereur le 23 décembre prochain. Le Premier ministre Shinzo Abe n’a encore émis aucun commentaire à ce sujet.

Asie du Sud-Est

Myanmar Times – Le groupe extrémiste bouddhiste sera-t-il dissous prochainement ? « Le futur de Ma Ba Tha pourrait être incertain s’il diffuse des discours de haine créant des conflits interreligieux […] ou interraciaux. » C’est ce qu’à déclaré le ministre birman des Affaires religieuses, Thura U Aung Ko, hier jeudi 14 juillet à l’issue de deux jours de réunion avec les représentants des supérieurs bouddhistes. Le Comité Sangha Maha Nayaka, autorité de l’État bouddhiste, a désavoué Ma Ba Tha en maintenant son refus de le reconnaître comme un groupe officiel. Celui-ci avait clarifié son statut le 12 juillet en se déclarant « groupe de missionnaires religieux ».

En trois années d’existence, l’organisation extrémiste bouddhiste a été accusée d’attiser un sentiment anti-musulman en proférant des discours de haine dans le pays. elle a également mené plusieurs protestations anti-musulmanes. Le ministre des Affaires religieuses a cependant averti le groupe que la nouvelle législation donnerait plus de pouvoir au gouvernement pour empêcher de telles incitations. « Nous sommes en train d’essayer de finaliser le projet de loi contre les discours de haine qui a impliqué la consultation des leaders de groupes et d’organisations interreligieux représentant chaque religion. »

Des charges pour diffamation pèsent déjà sur le moine Wirathu, leader et porte-voix très agressif de Ma Ba Tha, U Wirathu. D’après le Myanmar Times, Wirathu avait déjà été attaqué en justice par l’organisme caritatif Thet Daw Saunt pour avoir traité de « pute » le rapporteur des Nations Unies sur les droits de l’homme. Il a également accusé le Comité Sangha d’être sous l’influence d’un « gouvernement d’une dictatrice », faisant référence à Aung San Suu Kyi.

Si elle parait bien claire, la répudiation du Ma Ba Tha par le ministre des Affaires religieuses n’en est pas moins surprenante, commente le Myanmar Times. Thura U Aung Ko avait en effet déclaré dans une interview à Voice of America que les musulmans et hindous n’avaient pas le droit à une citoyenneté birmane complète.

Channel News Asia – C’est la « plus forte réaction à ce jour » de Manille sur le verdict de la Haye. La décision de la Cour permanente d’arbitrage, qui a remis en cause les prétentions territoriales chinoises en mer de Chine, a été qualifiée de « grande gloire » par Jose Calida, solliciteur général des Philippines – principal conseiller juridique et défenseur des droits du pays. « Cela confirme qu’aucun Etat ne peut virtuellement revendiquer sa souveraineté sur une mer toute entière, commente Jose Calida. Ce verdict ne représente pas seulement une victoire historique pour les Philippines. […] Il ravive l’espoir de l’humanité dans un ordre mondial fondé sur le droit. »

Le ministre philippin des Affaires étangères, Perfecto Yasay, a néanmoins appelé à la « retenue » dans le cadre du forum Asie-Europe, qui s’est ouvert ce vendredi 15 juillet à Oulan Bator. Le Straits Times reprend ainsi la transcription de son discours fournie par Reuters : « Les Philippines s’engagent à une résolution pacifique des différends et continueront à inciter les parties concernées à apaiser les tensions régionales. » De son côté, le président philippin Rodrigo Duterte a demandé son prédécesseur Fidel Ramos (1992-1998) d’aider à ouvrir des pourparlers bilatéraux avec Pékin, rapporte le quotidien singapourien dans un second article. Mais l’ancien président a déclaré être trop âgé (88 ans) pour se lancer dans une telle entreprise…

The Jakarta Post« Notre but est simple, nous voulons changer le gouvernement. » L’ancien Premier ministre malaisien Mahatir Mohamad a annoncé vouloir fonder un nouveau parti politique ce vendredi 15 juillet. Pour contrer les conservateurs au pouvoir, il s’alliera avec les trois partis d’opposition Parti Keadilan Rakyat (PKR), Democratic Action Party (DAP) et Amanah : « Nous nous sommes mis d’accord pour mettre de côté nos différences et former une coalition. »

La future formation, créée avec 3 anciens membres de la coalition UMNO (United Malays National Organisation), espère mobiliser les électeurs dans un contexte où les partis d’oppositions ne sont « pas si attractifs », juge Mahatir. Interrogé sur sa participation aux futures élections, l’ex-Premier ministre reste vague. L’homme politique a assuré qu’il « n’avait pas besoin de concourir » mais qu’il « jouera le rôle de leader, aussi bien dans le parti que dans la coalition ». « Je serai un membre fondateur, mais ça ne veut pas dire que je serai président ou Premier ministre », a-t-il précisé.

Asie du Sud

Times of India – Liberté conditionnelle pour Hardik Patel. Le leader de la révolte des Patel l’an dernier est sorti de la prison centrale de Lajpore ce vendredi 15 juillet après 9 mois d’incarcération. Il a maintenant 48 heures pour quitter l’État du Gujarat pour une durée de 6 mois minimum. Hardik Patel doit effectuer une tournée dans la ville de Surat avant de sortir des frontières de l’État fédéré. Il passera dans différents quartiers majoritairement habités par des membres de la caste des Patels. La police, qui a autorisé cette apparition, à tout de même demandé au militant de « ne pas inciter à des activités illégales ou pouvant troubler l’ordre public ».

En août 2015, Hardik Patel avait mené des manifestations pour la mise en place de quota dans l’enseignement et l’administration pour la caste supérieure des Patels. Cette communauté voyait comme une injustice les quotas du même type réservées aux castes les plus basses. Son arrestation avait provoqué une vague d’émeutes où 12 personnes avaient trouvé la mort.

Reuters – C’est le genre de révélation dont Islamabad se passerait volontiers. Rahmatullah Nabil, ancien chef des renseignements afghans, a indiqué avoir collecté des documents qui fourniraient la preuve concrète d’un soutien du gouvernement pakistanais aux Talibans et au groupe Haqqani, accusé d’une série de kidnapping et d’attentats-suicides à Kaboul. La parution de ces documents intervient dans un contexte de fortes tensions entre le Pakistan et l’Aghanistan.

Rahmatullah Nabil s’était retiré en décembre dernier de la Direction nationale de la Sécurité afghane après s’être opposé aux efforts du président afghan Ashraf Ghani d’améliorer les relations du pays avec le Pakistan et d’inclure Islamabad dans les négociations de paix avec les Talibans. Il avait alors été fortement critiqué par le gouvernement pakistanais.

Une des lettres datant d’août 2014 et adressée par une section des services de renseignement militaire du Pakistan s’intitule « Arrangements concernant la sécurité des maisons et la protection des Talibans afghans et de leurs chefs ». Une autre datant de mars 2015 demande un envoi de membres de Haqqani à Nowshera, Mardan et Swabi, à la frontière de la province pakistanaise du Khyber Pakhtunkhwa. Une troisième datant de juillet 2014, intitulée « Attaques de l’aéroport de Kaboul et de l’émission des paiements », indique que 4 membres Haqqani seront payés 2,5 millions de roupies pakistanaises chacun pour « l’exécution réussie et complète de l’assaut ».

Les Talibans afghans avaient pourtant déclaré par le passé qu’ils n’avaient pas besoin de soutien extérieur dans leur luttre contre le gouvernement de Kaboul et ses alliés occidentaux, disposant déjà du « soutien de la population afghane ». Les autorités d’Islamabad nient depuis longtemps les accusations une aisde quelconque aux Talibans, arguant être aussi victime du terrorisme.

The Express Tribune – Au tour des sermons d’être contrôlés. Le Bangladesh a mis en place vendredi 15 juillet la surveillance des sermons hebdomadaires prononcés dans des centaines de mosquées du pays. Avec le renvoi du prédicateur Zakir Naik de la chaîne Peace TV (voir notre revue de presse du 11 juillet) et le contrôle des réseaux sociaux, cette mesure s’ajoute à la campagne accélérée de lutte contre l’extrémisme. Elle survient à la suite de l’attaque d’un café à Dacca le vendredi 1er juillet, qui a causé 20 morts (voir notre revue de presse du 4 juillet).

Le gouvernement bangladais, afin d’affirmer sa lutte contre les extrémistes religieux, a fait rédiger un nouveau sermon qui devra être diffusé dans les mosquées du pays. La Fondation islamique, considérée comme gardienne des mosquées et établissements religieux et dirigée par l’État, l’a publié vendredi. Celui-ci invoque des versets et traditions du prophète Mohammed critiquant l’extrémisme. Les partis islamiques, qui avaient fortement dénoncé l’attentat de Dacca et les attaques récentes sur les minorités, rejettent cependant cette régulation des sermons qu’ils considèrent comme « indésirable ».

Par Joris Zylberman, Alexandre Gandil, Nicolas Baranowski et Marie Bonnamy

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