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France-Chine : quand l’Élysée entrouvre ses portes au Tibet avant de recevoir Xi Jinping

Le Sikyong Penpa Tsering, chef du gouvernement tibétain en exil, offre au président français Emmanuel Macron une photo du Dalai-lama et du locataire de l'Élysée, le 30 avril 2024, à Paris. (Source : RFA)
Le Sikyong Penpa Tsering, chef du gouvernement tibétain en exil, offre au président français Emmanuel Macron une photo du Dalai-lama et du locataire de l'Élysée, le 30 avril 2024, à Paris. (Source : RFA)
Avant de recevoir le président chinois les 6 et 7 mai en France, Emmanuel Macron a accueilli le chef du gouvernement tibétain en exil le 30 avril.
*Universitaire français, et infatigable défenseur – entre autres activités – de la question tibétaine.
L’événement n’a pas mobilisé outre mesure l’habituelle frénésie médiatique de l’Hexagone. Il n’a pas braqué trop hardiment sur l’Élysée, pourtant objet d’une saturation quotidienne savamment dosée, les lumières sur cette trop rare mais si symbolique attention que l’on s’empresse de saluer dans les premières lignes de cette tribune. Mardi 30 avril en fin de journée, alors que le pays se tournait déjà vers la trêve annuelle bienvenue du 1er mai, Emmanuel Macron accueillait à l’occasion de la remise de la Légion d’Honneur à l’ancien sénateur André Gattolin* un invité somme toute assez exceptionnel : le Sikyong Penpa Tsering, le chef du gouvernement tibétain en exil (officiellement la Central Tibetan Administration ou CTA), en escale éphémère dans la ville lumière.
*À 88 ans, le Dalaï-lama a cédé en 2011 sa mission représentant politique des Tibétains en exil à un Sikyong. Penpa Tsering, ancien président du parlement tibétain en exil entre 2008 et 2016, élu Sikyong en mai 2021.
Loin de Lassa et de son Palais du Potala, l’Elysée fut donc le théâtre inédit d’une courte interaction entre le leader politique* des Tibétains en exil, et le président français. Penpa Tsering remis au locataire élyséen de la part du Dalaï-lama une photo dédicacée de leur rencontre de septembre 2016 à Paris, lorsque l’actuel président de la République était alors ministre de l’Économie de François Hollande.
*Notons à ce propos qu’à Strasbourg, le Parlement européen organisait fin avril une exposition photographique sur la pensée du Dalaï-lama. **Pour rappel, un an plus tôt, en avril 2023, c’était le président Macron qui était reçu à Pékin.
Le Sikyong Penpa Tsering accompagna de quelques mots choisis la transmission de ce cliché historique, devant une foule de quelques 300 invités, enjoignant notamment le chef de l’État français à « ne pas oublier le Tibet »*. Une recommandation autant qu’un souhait sincère et au timing opportun, six jours avant qu’Emmanuel Macron ne s’apprête à accueillir en grandes pompes à Paris et dans les Pyrénées, les 6 et 7 mai, le président chinois Xi Jinping. Pour sa première tournée européenne depuis 2019 et la pandémie de Covid, le numéro un du Parti communiste vient notamment en France « célébrer » le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la République française et la Chine populaire**. Autre invité, autre ambiance, autres enjeux.
*La deuxième plus haute autorité spirituelle du bouddhisme tibétain, après le Dalaï-lama. Pour les Tibétains, le Dalaï-lama incarne le soleil, le Panchen lama la lune.
Relevons qu’en ce printemps 2024, ces derniers jours d’avril et premiers jours de mai, résonnent bien au-delà de Paris de l’écho tumultueux et douloureux de la question tibétaine. Nous n’insisterons guère ici ni sur le détail exhaustif du périple du Sikyong le menant de Dharamsala à Paris, en passant par la Confédération helvétique, ni sur le déplacement d’une délégation de parlementaires estoniens en visite le 26 avril au siège indien du gouvernement tibétain en exil, pas davantage sur l’appel du Parlement fédéral belge le 25 avril à la libération immédiate du 11ème Panchen lama* disparu depuis 1995.
*Laquelle honore en 2024 les 65 ans de résistance et résilience non violente tibétaine, après le soulèvement contre la férule chinoise en 1959.
Au milieu de ces diverses escales européennes, évoquons à présent un chapitre nord-américain se conjuguant parfaitement à l’actualité tibétaine. En effet, clin d’œil ou malice de hasard, le récent déplacement en Chine du Secrétaire d’État américain Antony Blinken débutait le 26 avril, le jour même où les Tibétains célébraient, le cœur lourd, le 35ème anniversaire du 11e Panchen Lama, Gedhun Choekyi Nyima. Reconnu un jour de 1995 par le Dalaï-lama en personne comme la réincarnation du défunt précédent Panchen Lama, il fut enlevé trois jours plus tard, le 17 mai 1995, par des agents chinois, pour ne plus jamais depuis lors être revu en public. Dans la foulée de ce kidnapping, les autorités chinoises nommaient unilatéralement leur propre Panchen Lama, Gyaltsen Norbu), que l’ONG International Campaign for Tibet* présente depuis lors comme une marionnette pékinoise sans légitimité et un agent politique chinois.
Lors de son déplacement à Pékin et Shanghai, il fut rappelé par le pays hôte au chef de la diplomatie américaine que la question tibétaine relevait des affaires domestiques chinoises, et qu’insister sur cette thématique par le truchement de la protection des droits de l’homme serait fort malvenu. Pas davantage question de faire état de l’implacable politique de sinisation à marche forcée plus que jamais à l’œuvre sur les hauts plateaux tibétains – Pékin désigne le Tibet par le mot chinois Xizang -, ou encore de l’interférence grossière autant que maladroite des autorités chinoises dans le processus de sélection du futur 15ème Dalaï-lama.
*Entre 2002 et 2010, le gouvernement chinois et des représentants tibétains se sont rencontrés à dix reprises pour tenter de parvenir à une compréhension commune des divers enjeux de la minorité tibétaine – sans guère avancer.
Les autorités américaines avaient fort heureusement pris un peu d’avance sur ce calendrier chinois contraint pour jouer leur partition tibétaine : en recevant d’abord mi-avril à Washington le très itinérant Sikyong Penpa Tsering, alors même que le Sénat américain approuvait le Resolve Tibet Act, un texte renforçant les efforts américains visant à ramener Pékin à la table des discussions avec les représentants tibétains, une dynamique interrompue en 2010*.
*Focus Taiwan, 22 avril 2024.
Une semaine plus tard, l’ambassadeur chinois en poste à Washington intervenait à la tribune de la Harvard Kennedy School China Conference 2024 lorsqu’un groupe d’étudiants américano-taïwanais et tibétains déploya des bannières éloquentes (« China Lies, People Die ») et retarda le discours du représentant de Pékin, courroucé par cette intervention impromptue haute en couleurs*.
Il est vrai que les autorités chinoises n’avaient dernièrement guère ménagé leur peine pour rudoyer les sensibilités tibétaines, sur les hauts plateaux et en dehors. Parmi un florilège de postures et de décisions unilatérales censées peser chaque jour davantage sur la minorité tibétaine et fondre cette dernière dans l’univers Han et les dogmes du PCC, relevons une information relayée début avril par le gouvernement tibétain en exil. Selon un manuel de formation que les autorités chinoises ont distribué aux monastères de la province de Gansu au nord-ouest de la Chine, listant une dizaine de préconisations – d’ordres serait plus juste -, dans l’hypothèse d’une éventuelle disparition du Dalaï-lama, il sera interdit aux moines bouddhistes d’afficher des photos du chef spirituel tibétain, de se livrer à d’autres « activités et rituels religieux illégaux », ou encore d’interférer dans le processus de reconnaissance, par les autorités chinoises, de la réincarnation du Dalaï-lama.
Afin d’ôter une éventuelle ultime once de doute – une initiative bien superflue tant la politique pékinoise sur le sujet est limpide -, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères précisait fin avril le détail des conditions préalables à une très hypothétique reprise des discussions. : « Tout d’abord, nous n’aurons de contacts et de discussions qu’avec le représentant personnel du 14ème Dalaï-lama, et non avec le soi-disant « gouvernement tibétain en exil » ou « l’administration centrale tibétaine ». Le gouvernement chinois ne traitera pas avec ce dernier. Deuxièmement, tout contact ou toute discussion ne portera que sur l’avenir personnel du 14ème Dalaï-lama lui-même ou, tout au plus, d’une poignée de personnes proches de lui, et non sur le soi-disant « haut degré d’autonomie pour le Tibet ». »
Ces propos plus lapidaires que surprenants ne laissent guère de doute sur les intentions du gouvernement central chinois sur le sujet, si tant est que les Tibétains et les lecteurs pouvaient encore en avoir. Fidèles à leur approche de toujours autrement plus constructive et équilibrée, respectueuse des uns et des autres, les autorités tibétaines en exil ont tenu à réagir à la saillie de la diplomatie chinoise en assénant, tout en mesure, leur vérité, pour mieux la faire entendre au monde extérieur – moins sourd que les autorités de l’ancien Empire du Milieu. « Sa Sainteté le Dalaï-lama a répété à maintes reprises que la question du Tibet concerne six millions de Tibétains et n’est pas une affaire personnelle, a ainsi déclaré Tenzin Lekshay, porte-parole de la Central Tibetan Administration, cité par Radio Free Asia. La Middle Way policy de l’administration centrale tibétaine cherche à obtenir une autonomie authentique et significative pour le peuple tibétain dans le cadre de la constitution chinoise et de la loi sur l’autonomie nationale régionale de la Chine. La résolution du conflit sino-tibétain par la Middle Way policy est mutuellement bénéfique. »
En décembre dernier, le Parlement européen adoptait une résolution enjoignant le gouvernement chinois à réamorcer des pourparlers avec des représentants du Dalaï-lama en vue d’obtenir une véritable autonomie pour les Tibétains vivant en République populaire de Chine. Cette résolution européenne pressait également les autorités chinoises de rendre la liberté au 11ème Panchen lama. Avec le succès que l’on connaît. Par définition, il serait en conséquence vain hélas d’attendre de la visite parisienne de Xi Jinping quelque inflexion ou souplesse sur le sujet.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.