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Chine : l’écrivain australien Yang Hengjun condamné à mort avec sursis à Pékin

L'écrivain australien Yang Hengjun. (Source : CNN)
L'écrivain australien Yang Hengjun. (Source : CNN)
Célèbre pour ses textes en faveur de la démocratie et du respect des droits humains, l’auteur australien d’origine chinoise Yang Hengjun a été condamné à la peine de mort avec sursis pour espionnage, le 5 février dernier à Pékin.
Wang Wenbin, l’une des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a indiqué que la justice « l’a condamné à mort avec un sursis de deux ans et a confisqué tous ses biens personnels ». La presse chinoise, aux ordres du pouvoir, n’en a évidemment soufflé mot mais cette sentence « épouvantable » a immédiatement fait la Une des journaux en Australie. Car la mort en prison est bien ce qui attend l’écrivain Yang Hengjun (楊恒均) puisqu’une peine capitale avec sursis signifie qu’il ne sera jamais libéré.
Le sursis en question, fixé à deux ans, signifie aussi que s’il « récidive » pendant la période de suspension de deux ans, il sera exécuté par injection létale, comme l’explique le Sydney Morning Herald. « L’écrivain pro-démocratie passera le reste de sa vie en prison, à moins qu’il ne fasse appel et que son recours aboutisse, précise le quotidien australien. Mais, dans le système judiciaire opaque de la Chine, les tribunaux à huis clos ont un taux [de confirmation] des condamnations de 99 %. »
Du côté de la presse chinoise, silence radio donc. Sur les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, la requête « Yang Hengjun » ne mène à rien. Il faut chercher dans la presse de Hong Kong pour trouver des commentaires lapidaires. Ainsi le site de la Radio Television Hong Kong (RTHK) se contente de préciser que « Yang Hengjun, 58 ans, universitaire et romancier, avait initialement été arrêté à l’aéroport de Canton en janvier 2019, puis accusé d’espionnage, ce qu’il a toujours nié ».
À Taïwan, le quotidien de centre gauche Ziyou Shibao (自由時報) précise les attendus de cette condamnation, pour des « activités mettant en danger la sécurité nationale de la Chine ». Or en fait d’atteinte à la sécurité nationale, Yang Hengjun s’était contenté de « commenter depuis longtemps l’actualité avec son regard chinois » sur son blog personnel extrêmement lu. Un regard qui n’avait pas plu à Pékin, comme l’explique un proche de l’écrivain, Feng Chongyi (冯崇义) qui, basé lui aussi en Australie, a réagi auprès du Sydney Morning Herald : « Le blog de Yang Hengjun était critique à l’égard de Pékin simplement parce qu’il promouvait l’état de droit, l’équité, la justice sociale, la liberté et la démocratie. » Le quotidien précise que « la sévérité de la décision a stupéfié les diplomates australiens », ajoutant que le ministère des Affaires étrangères avait convoqué l’ambassadeur de Chine le même 5 février « afin de lui passer un savon qui a duré une bonne vingtaine de minutes ».

Faire peur aux Chinois

Né en Chine en 1965, Yang Hengjun le savait sans doute : il était surveillé par les services de renseignement chinois où travaillent quelque 110 000 agents, ce qui fait de ce service d’espionnage placé sous la tutelle du ministère de la Sécurité d’État (MMS) sans doute le plus étoffé au monde. Il y a une vingtaine d’années, Yang Hengjun avait publié trois nouvelles romancées sur la rivalité que se livrent le renseignement chinois et la CIA américaine. Il y avait ajouté des éléments piquants liés au sexe et à la corruption dans lesquels trempaient des espions de haut niveau.
Publiées à Hong Kong et Taïwan et vendues sous le manteau en Chine, ces nouvelles étaient lues par des dizaines de milliers de lecteurs. Ces écrits ont évidemment contribué à son arrestation il y a cinq ans par des fonctionnaires de ce même ministère lorsqu’il avait débarqué d’un vol à Canton en provenance de New York. Il comptait y rencontrer des membres de sa famille. Depuis cette date, il était détenu au secret dans une prison où il a subi des centaines d’interrogatoires, soupçonné d’espionnage.
Yang Hengjun avait affirmé en mai 2021 avoir été torturé dans un lieu tenu secret durant sa détention, craignant que des aveux forcés ne soient utilisés contre lui. De leur côté, les autorités chinoises avaient rejeté les accusations. En août 2023, Yang Jun s’était à nouveau exprimé, affirmant qu’il craignait pour sa vie en détention, notamment à cause d’un gros kyste sur un rein.
Pour les experts de la Chine en Australie, le but recherché par Pékin est de faire peur. Mais tous ne sont pas d’accord. Pour Richard McGregor, un spécialiste de la Chine au Lowy Institute de Sydney, cité par le média japonais Nikkei Asia, l’objectif est différent. « Il s’agit moins de l’Australie que des Chinois eux-mêmes. D’un côté, le MMS est probablement indifférent quant à l’impact négatif qu’aura cette sentence sur les relations [de la Chine] avec l’Australie. Mais vous pouvez imaginer que la Sécurité d’État exigeait une condamnation la plus sévère possible pour qu’elle serve d’avertissement aux activistes pro-démocratie sur le fait qu’ils risquent leur vie. »
Autre raison de la sévérité de ce jugement : Yang Hengjun, 58 ans, avait été lui-même une recrue de la Sécurité d’État. Il avait rejoint le MMS après avoir été diplômé de l’université Fudan de Shanghai. Ensuite, il avait été posté à Hong Kong sous un nom d’emprunt de 1994 à 1997 où il avait pour mission d’observer le déroulement de la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine en janvier 1997.
Puis, après deux ans passés à l’Atlantic Council, think tank américain spécialisé dans les relations internationales à Washington, il s’était établi en Australie où il avait reçu la nationalité australienne. Il y avait obtenu un doctorat à l’Université de Technologie de Sydney en 2007 avec une étude portant sur les moyens utilisés par les dissidents politiques chinois pour contourner la censure chinoise sur Internet et pouvoir échanger ainsi des messages avec le monde extérieur. C’est grâce à cette thèse qu’il avait réussi à discuter des réformes politiques en Chine avec des dissidents chinois.
Mais très vite, le climat de tolérance relative en Chine avait disparu. Son maître de thèse, le professeur Feng Chongyi qui était considéré comme un libéral en Chine, avait lui-même été arrêté par la Sécurité d’État en 2017. Ce dernier, finalement libéré à l’issue de pressions diplomatiques des autorités australiennes, avait plus tard raconté comment il avait été interrogé de façon intensive sur les activités de Yang et ses relations. « Ils m’avaient dit : nous allons nous débarrasser de lui », se souvient-il.
Bien vite, Yang perdit tous ses contacts en Chine. Grâce à l’aide de Feng, il obtint alors une bourse d’études de deux ans à l’Université Columbia à New York. Au terme de ces études, Yang et sa seconde femme retournèrent en Australie. Mais il commit alors l’erreur fatale de vouloir rendre visite à ses parents à Canton, pensant poursuivre ensuite sa route pour l’Australie. « Je lui avais dit de ne pas retourner en Chine. Mais il m’avait répondu : s’ils avaient voulu m’arrêter, ils l’auraient fait bien avant. »

Accusé d’espionnage pour Taïwan

Pour le professeur Feng, les services de sécurité ont arrêté Yang pour l’empêcher de s’exprimer à l’approche de deux anniversaires ultra sensibles en Chine : le centenaire du mouvement du 4 mai 1919, lorsque des milliers d’étudiants chinois avaient manifesté à Pékin contre l’ouverture permise par le régime chinois aux puissances occidentales des concessions étrangères et le 30ème anniversaire du massacre de la place Tiananmen le 4 juin 1989.
Mais pour justifier son arrestation, les services du ministère de la Sécurité d’État l’ont accusé d’espionnage au profit de Taïwan alors que, selon Feng Chongyi, le MMS lui avait en réalité donné pour instruction d’entrer en contact avec les agents du renseignement taïwanais avant la rétrocession de Hong Kong par le Royaume-Uni en 1997.
Il avait d’ailleurs si bien réussi dans cette tâche qu’il avait obtenu de sa hiérarchie la possibilité de rejoindre l’Atlantic Council tout en restant secrètement un agent du MMS.
Sa condamnation a été rendue alors que le gouvernement chinois a adopté récemment une loi sur l’espionnage qui vise les étrangers, en particulier les hommes d’affaires occidentaux. Cette loi a eu pour conséquence d’effrayer les investisseurs étrangers qui sont nombreux à faire leurs valises pour investir dans d’autres pays plus sûrs.
Désormais, les chances sont bien minces pour l’Australie d’obtenir sa libération. En effet, « dans tout système politique, il est difficile de renverser une décision prise par les services de sécurité, estime Richard McGregor. Avec la diplomatie des loups guerriers [suivie par le régime chinois], il y a eu une intervention politique venue d’en haut. Or jusqu’à présent, le rôle du MMS semble bien en ligne avec la direction que [le président] Xi Jinping a décidé d’imposer à son pays. Le seul ressort qui reste en Chine est [pour tout fonctionnaire souhaitant assurer sa propre sécurité] d’aller au-delà de ce que veut le dirigeant. »
« Le gouvernement australien est effaré par cette décision », a déclaré la ministre australienne des Affaires étrangères, Penny Wong, lors d’une conférence de presse, soulignant que Canberra réagirait « dans les termes les plus forts ». « Je tiens à souligner la détresse aiguë que le Dr Yang et sa famille doivent ressentir aujourd’hui, après des années d’incertitude, a encore insisté la cheffe de la diplomatie australienne. Tous les Australiens souhaitent que le Dr Yang puisse retrouver sa famille. »

Ingérence

Depuis 2018, les liens entre la Chine et l’Australie s’étaient nettement dégradés après la décision prise par l’Australie d’exclure le géant chinois des télécommunications Huawei de son réseau de téléphonie 5G. Quelques mois plus tard, Canberra avait à nouveau provoqué la fureur de Pékin lorsque l’Australie avait demandé l’ouverture d’une enquête internationale sur l’origine du Covid-19 dont les premiers cas ont été détectés dans la ville de Wuhan à l’automne 2019. Pékin avait immédiatement imposé des représailles contre l’Australie sous la forme de taxes douanières punitives sur de nombreux produits d’exportation australiens dont la viande, le vin et l’orge et interrompu ses importations de charbon.
Après cette période extrêmement tendue, les relations entre Pékin et Canberra s’étaient récemment réchauffées, notamment après la libération, en octobre 2023, de la journaliste de télévision australienne d’origine chinoise Cheng Lei, qui avait, elle aussi, été arrêtée pour des accusations d’espionnage. Cette dernière, accusée par la Chine d’avoir « fourni des secrets d’État à l’étranger », avait passé trois ans en résidence surveillée avant d’être finalement libérée. Symbole du rapprochement entre les deux pays, le Premier ministre Anthony Albanese avait été accueilli par Xi Jinping lors d’une visite à Pékin en novembre dernier.
L’Australie, qui a formé avec les États-Unis et le Royaume-Uni l’alliance militaire Aukus, s’efforce de contrecarrer l’influence croissante de la Chine dans le Pacifique Sud. Dans le cadre de cet accord tripartite, Canberra a fait l’acquisition de trois sous-marins à propulsion nucléaire aux Américains, qui seront livrés au cours des années 2030. Canberra a de surcroît conclu en décembre un accord de sécurité avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, que courtisait également la Chine.
Plus de 1,4 million de Chinois sont établis en Australie, la plupart venus de Chine continentale pour des raisons essentiellement économiques. Cette population d’origine chinoise n’est pas sans poser des problèmes sociaux mais aussi politiques. L’une des raisons des tensions entre Pékin et Canberra est l’ingérence politique exercée par des Chinois dans les universités et les milieux politiques. Les autorités australiennes ont tardé à prendre conscience de l’étendue de cette ingérence mais ont finalement pris des mesures pour lutter contre cette mainmise qui avait pour principal objectif de retourner l’opinion publique australienne, comme cela a d’ailleurs été les cas dans d’autres pays occidentaux tels que les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et, bien sûr, la France.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).