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Chine : pourquoi Xi Jinping a-t-il promu le fils de Hu Jintao ?

Le nouveau vice-ministre chinois des Affaires civiles, Hu Haifeng, fils de l'ancien président Hu Jintao. (Source : South China Morning Post)
Le nouveau vice-ministre chinois des Affaires civiles, Hu Haifeng, fils de l'ancien président Hu Jintao. (Source : South China Morning Post)
C’était il y a plus d’un an. le 22 octobre 2022, en clôture du XXème Congrès du PCC, Xi Jinping faisait sortir son prédecesseur Hu Jintao. Une humiliation publique inédite dont les images avaient fait le tour du monde. Le 16 janvier dernier, le gouvernement chinois annonçait la nomination du fils de l’ex-président, Hu Haifeng, au poste de vice-ministre des Affaires civiles. Une promotion ou stratégie de sortie ?
*Si on le compare aux nouveaux arrivants du Comité central de 2017 et de 2012 – dont la moyenne d’âge pour le rang préfectoral était respectivement de 41.44 et 40.56 – Hu démontrait déjà qu’il ne ferait pas partie des « stars » de la nouvelle génération.
Depuis maintenant plus de quatre ans, l’Internet chinois enchaîne les rumeurs sur le fils de l’ex-président Hu Jintao. Depuis sa nomination en 2018 au poste de secrétaire du Parti de Lishui, ville du Zhejiang, Hu Haifeng (胡海峰) était considéré comme l’un des laissés-pour-compte de la 7ème génération de cadres du PCC. De fait, la carrière de Hu, coincée au rang préfectoral (正地级, zhengdiji) depuis 2016, soit à 45 ans, n’avait guère progressé sous Xi Jinping. Cependant, malgré son âge déjà trop avancé pour ce rang*, Hu faisait partie à l’époque de la « jeunesse montante » du Zhejiang.
L’absence de promotion de Hu Haifeng a pris un tour problématique à mesure que d’autres cadres de la 7ème génération étaient promus au rang vice-provincial (副省级, fushengji) – et que lui restait derrière. Par la suite, à deux reprises en 2019, en avril et en mai, des rumeurs ont circulé sur une prochaine promotion de Hu. La première fois, la rumeur conduisait à Xi’an pour le poste de secrétaire du Parti de la municipalité. La seconde fois, il fut question du poste de directeur du département de l’organisation de la province du Fujian. Par deux fois, tous voulurent y croire. Et par deux fois, Hu fera du sur place au profit de Wang Hao (王浩) et de Yang Xianjin (杨贤金). En comptant bien, Hu Haifeng avait aussi fait la une des rumeurs lors du transfert du maire de Dalian Tan Chengxu (谭成旭) en décembre 2019, mais aussi suite au limogeage de Xu Liyi (徐立毅), le secrétaire de la ville de Zhengzhou, en 2021, ou encore pendant le transfert du secrétaire général du comité permanent du Zhejiang, Chen Jinbiao (陈金彪), en novembre 2023. Ce faisant, depuis 2019, les rumeurs ont voulu par au moins cinq fois propulser Hu Haifeng vers le haut, sans toutefois y parvenir.
En fait, depuis l’incident du XXème Congrès le 22 octobre 2022, plusieurs pensaient que Hu Haifeng pourrait lui aussi « disparaitre » – faire les frais des luttes intra-Parti – ou bien forcé de terminer sa carrière à Lishui autour de 2026, soit avant le XXIème Congrès. Dans tous les cas, la suite semblaient compromise pour le « jeune cadre » alors âgé de 50 ans.

Une fausse promotion

*On avait d’ailleurs remarqué l’absence de Hu lors d’une réunion d’étude spéciale du centre d’études théoriques le 3 janvier alors que pourtant, c’est lui qui avait présidé la 5ème session du comité permanent de Lishui le 27 décembre 2023. **Il est intéressant de noter que la nouvelle – annoncée par le Conseil d’État – tombe alors que Li Qiang est à Davos.
Cependant, depuis la fin décembre dernier*, de nouvelles rumeurs ont commencé à circuler sur la carrière du fils de Hu Jintao. Dans un premier temps, le nom de Hu Haifeng a été étouffé sur Weibo par les censeurs. On s’est alors demandé où il se trouvait, ou si les luttes intra-Parti vait eu finalement raison de sa carrière. Or, environ deux semaines plus tard, le 16 janvier, Hu est réapparu en tant que de vice-ministre des Affaires civiles**.
C’est un fait : Hu Haifeng, âgé de 51 ans, est « le plus jeune » vice-ministre au sein de son ministère. Mais il reste en fin de peloton pour la suite. Après tout, la moyenne d’âge à ce niveau pour l’ensemble des nouveaux cadres ayant rejoint le Comité central entre 2002 et 2017 se situe à 46,74 ans. Ainsi, pour demeurer dans la course vers le sommet, Hu aurait dû être promu en 2018-2019. Même avec un peu de bonne volonté de la part de Xi Jinping, Hu Haifeng pourra difficilement rattraper le temps perdu.
En ce sens, cette affectation risque d’être la fin de son parcours au sein de la structure du Parti-État. Il faut aussi dire que cette promotion n’en est pas vraiment une. Les cadres du Parti ne se bousculent pas pour monter en grade au sein du ministère des Affaires civiles. En fait, c’est plutôt l’inverse. Les cadres essayent de quitter ce ministère et y être transféré n’est jamais perçu comme une bonne nouvelle.
Même le ministre actuel, Lu Zhiyuan, qui avait échappé à « l’affaire des villas de Qinling » par la grâce de son ancien patron, Zhao Leji, devenu secrétaire du Parti de la commission disciplinaire en 2017, a sûrement perçu cette promotion comme une rétrogradation. Après tout, Lu avait servi trois ans dans la province du Liaoning afin de se faire oublier. Il avait été remis en selle en septembre 2021 à la tête de la ville portuaire de Qingdao puis nommé en juin 2022 secrétaire provincial adjoint du Shandong. En ce sens, avec l’aide de Zhao Leji, Lu Zhiyuan semblait pouvoir prétendre à un poste provincial (正省级, zhengshengji) en 2024-2025. De fait, être transféré d’une province portuaire de la côte est vers l’un des ministères les plus corrompus est le signe d’une mise au placard et non d’une promotion.

Une triple faveur

Depuis le 19 septembre dernier, les règles de promotions des cadres ont changé. Elles favorisent à présent la loyauté et non pas les accomplissements ni les performances en matière de développement économique. Il est ainsi devenu de plus en plus difficile de monter en grade et de franchir la barrière entre les rangs préfectoral et vice-ministériel/provincial.
Aux yeux de Xi Jinping, Hu Haifeng ne remplit déjà pas vraiment ces nouvelles conditions – il est associé à Hu Jintao. Hu ne peut pas non plus faire valoir des « accomplissements politiques » dans la ville de Lishui depuis son arrivée en 2018. Son passage à Jiaxing entre 2013 et 2018 a lui aussi laissé peu de résultats à mettre en valeur. Hormis association à Hu Jintao, le raisonnement du département de l’organisation provincial du Zhejiang paraît justifié : Hu n’est pas un cadre dit « remarquable » et donc il ne doit pas recevoir de traitement de faveur.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que Hu Haifeng n’a pas été trop gêné par les déboires de Nuctech (同方威视), fabricant chinois de scanners à rayons x et de portiques de sécurité, ou encore par les affaires de corruption liées au géant chinois de la mémoire électronique et de semi-conducteurs Unigroup (紫光集团), une filiale du conglomérat public Tsinghua Holdings (清华控股有限公司) dont Hu était le secrétaire du Parti en 2008. Il aurait été facile pour Xi Jinping de s’en prendre à au fils de Hu Jintao en le faisant passer au grill de la Commission disciplinaire. Le président chinois a plutôt choisi de le mettre en observation au Zhejiang et de ralentir sa progression au sein du Parti. En ce sens, Hu Haifeng, contrairement à d’autres enfants de hauts cadres mis en examen, avait déjà reçu un traitement de faveur en étant transféré à Jiaxing en 2013.
Enfin, Xi Jinping aurait également pu, dans un élan de sévérité, démettre Hu directement après l’incident du 22 octobre 2022. Considérant les affaires Nuctech et Unigroup, il aurait été facile pour le numéro un chinois de justifier la chute des deux Hu. Il est permis de penser que Xi a préféré la clémence à la sévérité pour Hu Haifeng dans la mesure où faire sortir Hu Jintao et l’humilier publiquement lors du XXème Congrès était loin de faire l’unanimité. Aller trop loin, alors que les divisions au sein du Parti au sujet de la réélection de Xi se faisaient sentir, auraient déclenché encore plus de colère au sein de l’élite communiste.
Mais alors, au regard de l’incident du XXème Congrès, des affaires de corruption et des performances très moyennes de Hu dans le Zhejiang, pourquoi lui accorder une promotion ? C’est que du point de vue de Xi Jinping, il fallait d’abord libérer le poste de Lishui occupé déjà depuis trop longtemps par Hu Haifeng. Puis l’autoriser à revenir à Pékin pour être en quelque sorte réuni avec son père Hu Jintao – ce qui facilite la surveillance de la famille Hu pour Xi. Enfin, en le plaçant au ministère des Affaires civiles, le secrétaire général du PCC s’assure également une neutralisation complète du fils de son prédécesseur. H uHaifeng voudra sûrement éviter tout commentaire et action irréfléchis afin de pouvoir bénéficier pleinement du régime de retraite et des avantages associés à son nouveau rang dans la hiérarchie communiste.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.