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Emmanuel Macron en Chine : ambitions battues en brèche

Le président français Emmanuel Macron reçu par son homologue chinois Xi Jinping avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans le Grand Hall du Peuple, à Pékin le 6 avril 2023. (Source : DW)
Le président français Emmanuel Macron reçu par son homologue chinois Xi Jinping avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans le Grand Hall du Peuple, à Pékin le 6 avril 2023. (Source : DW)
Demande raisonnable ? C’était l’une des motivations de sa visite d’État en Chine du 5 au 8 avril : le président français Emmanuel Macron a exhorté son homologue chinois Xi Jinping à intervenir auprès de son « meilleur ami » Vladimir Poutine pour le convaincre de mettre fin à la guerre en Ukraine. En retour, il a obtenu une réponse vague et sans engagement, comme le veut la tradition bien ancrée à Pékin.
Outre la signature de contrats commerciaux, c’était là la priorité affichée du chef de l’État français pour ce premier déplacement en Chine depuis 2019. « Je sais pouvoir compter sur vous pour ramener la Russie à la raison et tout le monde à la table des négociations », a déclaré avec emphase Emmanuel Macron ce jeudi 6 avril au sortir d’un entretien avec le président Xi Jinping.
Avant d’embarquer à bord de son Airbus A-330 officiel, mardi soir 5 avril, il avait pris soin de téléphoner au président américain Joe Biden tandis que l’Élysée faisant savoir que cette visite avait pour but de « bâtir un chemin commun » avec la Chine. Arrivé le lendemain matin mercredi à Pékin et s’adressant à la communauté française, le président français s’était montré optimiste, estimant que la Chine pouvait jouer un « rôle majeur » pour « trouver un chemin de paix » en Ukraine. Il était même allé jusqu’à trouver des « points de convergence » dans le « plan de paix » en douze points de la Chine pour un règlement en Ukraine. Lors de cette rencontre en tête-à-tête jeudi avec le maître de la Chine communiste dans une salle glaciale du Palais du Peuple en bordure de la place Tiananmen, ce dernier lui a répondu en saluant les liens avec la France qui ont, selon lui, connu un « développement positif et régulier » dans un monde en « profonde mutation ».

« Dérisquer »

Cité par le quotidien anglophone de Hong Kong, le South China Morning Post, Xi a été un peu plus disert : « La Chine est désireuse d’inviter la communauté internationale, avec la France, à demeurer rationnelle et mesurée et à éviter de prendre toute action qui pourrait mener à accélérer encore l’escalade dans la crise et à la rendre hors de contrôle. » Formules des plus vagues qui n’engagent à rien sur ce que voudra et surtout sur ce que pourra faire Xi Jinping auprès de Vladimir Poutine pour tenter de le « ramener à la raison ».
Reçue par le Premier ministre Li Qiang, Ursula von der Leyen a été on ne peut plus franche : « Les relations UE-Chine sont devenus complexes ces dernières années. Il est important qu’on discute ensemble de tous les aspects de cette relation aujourd’hui [surtout dans cet] environnement géopolitique volatile. »
Emmanuel Macron avait précisément invité la présidente de la Commission europénne à se joindre à lui à Pékin dans le but de montrer à ses interlocuteurs chinois que désormais, l’UE entend parler à la Chine d’une seule voix, même si c’est sur un ton différencié. Or Ursula von der Leyen ne s’était justement pas privée d’une sévère mise en garde à l’adresse des dirigeants chinois la semaine dernière à Bruxelles : « La manière dont la Chine continuera de réagir face à la guerre de Poutine sera un facteur déterminant de l’avenir des relations entre la Chine et l’Union européenne. L’objectif clair du Parti communiste chinois est un changement systémique de l’ordre international, avec la Chine en son centre. Nous l’avons vu avec les positions de la Chine dans les organismes internationaux multilatéraux, qui montrent sa détermination à promouvoir une vision alternative de l’ordre mondial. »
Ces déclarations avaient, évidemment, jeté un froid dans les allées du pouvoir à Pékin, ceci d’autant plus que le commissaire européen au marché intérieur, le Français Thierry Breton, n’y était pas allé de main morte non plus. Relevant que lors de son discours du XXe congrès du PCC le 23 octobre dernier, Xi Jinping « n’a pas parlé que d’économie, mais surtout de sécurité », il avait ajouté qu’il était nécessaire pour l’UE de « dérisquer » ses relations avec la Chine.
Le terme « dérisquer », qui signifie mesurer les risques et les conséquences d’un investissement ou d’échanges économiques, est à comparer avec celui, beaucoup plus fort et prôné par certains milieux américains, de « découplage », qui lui signifie la fin de l’interdépendance entre les économies. En d’autre termes, désormais il appartient à l’Union européenne, « un grand continent et puissance économique [de dire que la Chine] est un débouché commercial important pour nous, qui sommes, pour [elle] un débouché vital. Si pour une raison ou une autre [l’Union européenne devait] restreindre ou fermer [son] marché intérieur, [cela engendrerait] 5 à 6 points de produits intérieur brut (PIB) en moins [pour la Chine]. » Thierry Breton a ajouté, comme l’on fait les responsables américains, japonais et ceux de l’Otan que s’agissant d’éventuelles livraisons d’armes par la Chine à la Russie en guerre en Ukraine, « il y a des lignes rouges à ne pas dépasser ».
Pour bien marquer le coup, Thierry Breton avait encore souligné que le « plan de paix » chinois n’en est pas un, « mais dix recommandations très larges et pleines de bons sentiments ». Quant aux droits humains, si « chacun doit rester à sa place », « nous n’avons pas l’intention de dire à la Chine ce qu’elle doit faire. [En revanche], nous serons explicites sur les valeurs fondamentales. […] Ce sujet des Ouïghours est très haut dans la liste des préoccupations [d’Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen]. »
On ne peut guère imaginer que le président français n’avait pas anticipé ces déclarations avant d’inviter la présidente de la Commission européenne à le suivre à Pékin. Tout ceci semble donc dénoter l’abandon d’une certaine naïveté au sommet de l’État français à l’égard de cette Chine avec qui Emmanuel Macron, il y a peu encore, entendait forger un « partenariat stratégique ». Il avait également fait savoir que pendant cette visite, il souhaitait « nouer une relation particulière » avec Xi Jinping.

Rencontre Tsai-McCarthy

D’autre part, le président français avait été averti avant son déplacement que celui-ci allait coïncider avec un entretien mercredi soir sur le sol américain entre la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen et le président de la chambre américaine des représentants Kevin McCarthy, un « faucon » dans l’appareil politique américain, partisan de mesures plus énergiques pour « contenir » la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale. Cette rencontre n’a pas manqué de susciter les foudres de Pékin, la question de Taïwan s’invitant donc à l’agenda de la visite d’Emmanuel Macron alors que ce dernier avait dit avant son départ ne pas souhaiter en parler, sauf si ses interlocuteurs l’invitaient à le faire.
La présidente de Taïwan s’est bornée à déclarer lors de cette rencontre qu’elle « vient rassurer le peuple de Taïwan sur le fait que nous ne sommes pas isolés ». « Ce n’est un secret pour personne qu’aujourd’hui, la paix à laquelle nous sommes attachés et la démocratie pour laquelle nous avons travaillé durement sont confrontées à des défis sans précédent. Nous sommes forts lorsque nous sommes ensemble », a dit Tsai Iging-wen à son interlocuteur américain qui représente la personnalité américaine la plus importante jamais rencontrée sur le sol des États-Unis par une personnalité de Taïwan depuis 1979, date de l’établissement des relations diplomatiques entre Washington et Pékin et de la rupture concomitante des Américains avec Taipei.
Après la rencontre entre Tsai Ing-wen et Kevin McCarthy en Californie, la Chine a, comme cela pouvait être anticipé, immédiatement répliqué en envoyant des navires de guerre mener des « inspections » dans le détroit de Taïwan ainsi que sur les routes maritimes entre l’île principale de Taïwan et les îles sous son contrôle. Une opération qui « pourrait conduire à une confrontation », a commenté, sur Twitter, Bonnie Glaser, directrice du programme Indo-Pacifique du cercle de réflexion américain German Marshall Fund, spécialiste des relations sino-taïwanaises.
Selon Reuters, la « zone d’inspection » inclurait en outre les routes de passagers entre les îles secondaires de Taïwan proches du continent (Matsu et Kinmen) mais aussi les routes commerciales majeures entre la province du Fujian et l’île principale de Taïwan. Inclus également, le chenal central du détroit, l’un des plus stratégiques au monde, pourtant dans les eaux internationales et théoriquement protégé par le droit de la mer, mais que Pékin considère comme faisant partie de ses eaux territoriales. En outre, le porte-avions chinois Shandong, l’un des trois que possède la marine chinoise mais premier construit en Chine, a contourné Taïwan par le sud pour se positionner à 370 kilomètres des côtes taïwanaises, côté océan Pacifique, selon le ministère de la Défense taïwanais.

« Piège taïwanais »

Il n’en fallait pas plus pour placer le voyage de Macron, sous un angle qu’il aurait assurément voulu éviter. Ce qui montre bien les limites de l’exercice compliqué et risqué de la diplomatie française en Chine. Car, en réalité, que pouvait bien recueillir de vraiment concret le président français de son homologue chinois à propos de l’Ukraine, sachant que jamais la Chine n’a condamné l’agression russe que Pékin n’a jamais qualifié de « guerre » ? Au contraire, la propagande chinoise n’a cessé d’accuser les États-Unis d’être les seuls responsables du conflit. Même avec la présence à ses côtés de la présidente de la Commission européenne, que pèse en fait la diplomatie européenne dans les tensions entre la Chine et les États-Unis et le rapprochement très net de Pékin avec Moscou ?
Lors d’une rencontre le 17 mars entre Emmanuel Macron et quelques spécialistes de la Chine avant son départ pour Pékin, le chercheur français Antoine Bondaz, cité par Le Point avait pourtant spécifiquement pointé la question : « Je lui ai juste dit de rappeler en Chine, ou à l’étranger, que la France, l’Union européenne et les autres avaient un intérêt au maintien de la stabilité dans le détroit de Taïwan. »
Le sénateur André Gattolin, connaisseur de la réalité politique à Taïwan, a quant à lui expliqué qu’il y a une semaine, il avait envoyé un message à Emmanuel Macron pour l’avertir que la rencontre Tsai/McCarthy tomberait « le jour même de sa rencontre avec Xi Jinping ». « Je n’ai eu aucune réponse », a-t-il assuré au même magazine. Déplorant le fait que le président français soit, selon lui, tombé dans « le piège taïwanais » et le fait que des parlementaires rompus aux affaires chinoises n’aient pas été reçus à l’Élysée, il ajoute : « C’est ce qui s’appelle se mettre dans la nasse. » Avec les députés André Vallini (Parti socialiste) et Constance Le Grip (Renaissance) ainsi que le sénateur Olivier Cadic (Union centriste), André Gattolin avait fait paraître une tribune dans Le Monde appelant Emmanuel Macron à envoyer un « message de fermeté » à Pékin. « Xi Jinping pourrait conclure que si les Européens ignorent les attaques à l’encontre de Hong Kong, il pourrait attaquer Taïwan sans craindre de sanctions, avertissait le texte. L’heure n’est donc ni à la faiblesse ni au silence. »
Pour sa part, Dilnur Reyan, présidente de l’Institut ouïghour d’Europe, avait elle aussi publié une tribune dans le même journal demandant au président français de la recevoir afin de lui présenter l’étendue de la tragédie des Ouïghours. Demande laissée sans suite. « Début avril, Monsieur le président de la République, vous allez vous rendre en Chine pour rencontrer Xi Jinping. D’ici quelques jours, vous aurez donc l’occasion de défendre les vies et les droits des millions de Ouïghours qui sont victimes des crimes contre l’humanité commis par le régime chinois. D’ici quelques jours, vous aurez l’occasion d’être notre voix et de porter haut la résolution de l’Assemblée nationale votée en janvier 2022 qui reconnaît le caractère génocidaire des crimes commis par le Parti communiste chinois contre les Ouïghours », avait-elle écrit.
« Lors de votre dernière visite en Chine, je vous ai écrit, Monsieur le président, avec l’eurodéputé (Place publique) Raphaël Glucksmann dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien Libération. Nous vous demandions de mentionner les camps de concentration et de faire pression sur vos hôtes pour que cessent ces crimes innommables. Vous n’avez jamais répondu à cette lettre. Je vous ai aussi demandé de me recevoir et de recevoir les deux rescapées de camps chinois vivant en France, ce que vous avez toujours refusé de faire. Pour quelle raison ? Je vous réitère ma demande et j’espère vous rencontrer avant votre voyage en Chine afin de vous faire part de nos revendications. Votre visite ne doit pas servir à blanchir les crimes du régime chinois, ou pis, elle ne doit pas apparaître comme un soutien au génocide du peuple ouïgour. » Supplique donc restée sans réponse.

Amadouer l’Europe

Sur le plan commercial, le bilan est plus positif. Le groupe européen Airbus a obtenu de pouvoir doubler sa capacité de production d’avions en Chine, grâce à une deuxième ligne d’assemblage sur son site de Tianjin, près de Pékin. Elle doit entrer en service au second semestre 2025. Airbus en dispose déjà d’une depuis 2008, qui a produit plus de 600 A320. Le marché aérien chinois est le deuxième plus important du monde.
Le groupe énergétique EDF a, pour sa part, reconduit avec le géant chinois du nucléaire CGN leur accord de partenariat global, en vigueur depuis 2007. Il couvre la conception, la construction et l’exploitation des centrales nucléaires. Cette entente avait notamment permis à EDF de réaliser avec CGN la seule installation EPR actuellement en service dans le monde, à Taishan, dans le sud de la Chine. Mais ceci ne saurait faire oublier que grâce aux transferts de technologie massifs de la France, la Chine maîtrise dorénavant toute la technologie dans ce secteur, au point d’exporter des centrales au détriment des centrales françaises plus chères.
Quant à l’armateur marseillais CMA-CGM, numéro trois mondial, il a signé un accord avec Cosco, le numéro un chinois, et le port de Shanghai pour la fourniture de bio-méthanol. Le champion de la gestion de l’eau et des déchets Suez a obtenu un contrat via un consortium pour un projet de désalinisation d’eau de mer, dont le montant n’a pas été précisé. En 2019, Suez avait déjà décroché un contrat d’un milliard d’euros, afin d’assurer le traitement des eaux usées d’un site industriel chimique en Chine pour une durée de 50 ans.
Tout bien considéré, si cette visite est présentée à Pékin et Paris comme un succès, à l’évidence elle n’en est pas un. Or sur le fond, plus que jamais la Chine a besoin de l’Europe pour son développement économique au vu des tensions extrêmes avec les États-Unis et les effets négatifs de la guerre en Ukraine sur l’économie mondiale. Elle en a grand besoin aussi comme d’un partenaire, en vérité le seul, qui puisse intercéder en sa faveur auprès des Américains pour que soient jetées les bases d’un retour au dialogue entre Washington et Pékin. Dialogue rompu en février dernier par l’affaire désastreuse pour Pékin du ballon espion chinois qui s’était « aventuré » en territoire américain au-dessus de zones sensibles sur le plan militaire avant d’être abattu par la chasse américaine.
Sans doute Paris et Bruxelles sont-ils disposés à jouer ce rôle d’intermédiaire. Mais le « piège taïwanais » montre l’étendue des difficultés qui subsistent avec un partenaire chinois qui, bien que sérieusement affaibli par des années de gestion catastrophique du Covid-19, une croissance économique qui s’enfonce, un chômage en forte hausse, une démographie en chute libre et une front de facto de pays occidentaux et asiatiques alliés des États-Unis et décidés à faire face, n’en est pas encore au stade où l’Europe pourrait lui dicter ses volontés. Le Parti communiste chinois et son maître Xi Jinping ne sont certainement pas prêts à des concessions politiques qui feraient perdre la face à ce dernier. Car il en va de la crédibilité même du régime à Pékin.
Par Pierre-Antoine Donnet
Cet article a été réactualisé le samedi 25 février 2023.

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).