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COP27 : pourquoi l'Asie ne montre plus d'audace contre le changement climatique

Le négociateur chinois pour le climat, Xie Zhenhua, à la tribune de la COP27 à Charm el-sheikh, en Égypte, le 8 novembre 2022. (Source : SCMP)
Le négociateur chinois pour le climat, Xie Zhenhua, à la tribune de la COP27 à Charm el-sheikh, en Égypte, le 8 novembre 2022. (Source : SCMP)
Après beaucoup d’annonces importantes lors de la COP26, les pays d’Asie-Pacifique en ont fait bien peu avant le début de la COP27. Seuls l’Inde, l’Australie et l’Indonésie ont présenté de nouvelles contributions d’importance relative. Il est vrai que l’agenda de la COP27, qui se concentre sur la mise en œuvre des engagements antérieurs, les questions de financement et l’adaptation au changement climatique, met l’Asie en développement en position assez confortable. La Chine et le groupe des 77, présidé par le Pakistan, peuvent exercer une pression maximale sur les pays développés pour qu’ils augmentent leur effort de financement des pays en développement, et qu’ils acceptent de débattre des compensations pour les pays les plus vulnérables. La Chine tire par ailleurs prétexte de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan pour suspendre sa coopération avec les États-Unis sur le climat et retarder l’annonce d’un plan de lutte contre les émissions de méthane.
La COP26 avait été l’occasion d’une série d’annonces importantes par les principaux pays d’Asie-Pacifique. Une majorité de pays avaient adopté l’objectif de la neutralité carbone, dont les trois plus importants (Chine, Inde et Indonésie), avec un horizon variant entre 2050 et 2070. Assez peu de précisions sont venues renforcer la crédibilité de ces nouveaux objectifs dans la phase de préparation de la COP27. Par ailleurs, l’Asie en développement est surtout en position de demandeur sur les questions de financement et de compensation.

L’Australie, l’Inde et l’Indonésie ont pris de nouveaux engagements en 2022

*Le Climate Action Tracker est devenu le site de référence au plan mondial pour l’analyse des engagements pris par les principaux pays en matière de lutte contre le changement climatique.
L’Australie commence à devenir plus crédible dans sa politique de lutte contre le changement climatique depuis le départ de Scott Morrison le 21 mai dernier et l’élection du chef du parti travailliste, Anthony Albanese. La nouvelle contribution nationale transmise dès le mois de juin 2022 aux Nations Unies par le gouvernement travailliste porte l’engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre du pays à 43 % en 2030 sur la base du niveau enregistré en 2005 (qui est aussi le niveau de 2020), contre 26 à 28 % dans la contribution précédente. C’est nettement mieux, mais encore insuffisant selon le Climate Action Tracker (CAT)*, qui estime nécessaire une réduction proche de 60 % pour être en ligne avec l’objectif d’une neutralité carbone à l’horizon 2050. Le CAT émet par ailleurs des doutes sur la façon dont l’Australie comptabilise la contribution de son effort de reforestation pour parvenir à l’objectif qu’elle se fixe d’ici 2030.
L’Inde a présenté en août 2022 une contribution additionnelle qui reste dans la logique précédente et se focalise sur l’intensité carbone par unité de PIB. Il s’agit d’un critère relatif qui n’empêche pas une progression globale des émissions de gaz à effet de serre du pays. L’objectif fixé dans cette nouvelle contribution s’améliore par rapport au précédent : la réduction de l’intensité carbone est fixée à 45 % par rapport à 2005, contre 33 à 35 % précédemment. Une autre cible importante est celle de la capacité installée de production d’électricité, dont la moitié devra être composée de sources non fossiles (renouvelables, hydroélectriques et nucléaires) d’ici 2030. Mais d’autres cibles plus précises ou plus ambitieuses qui avaient été mentionnées par le gouvernement indien ne figurent plus dans cette proposition (Narendra Modi avait évoqué une capacité installée de 50 % d’ici 2030 sur la base des seules énergies renouvelables). Par ailleurs, si l’objectif d’une neutralité carbone en 2070 est confirmé, il n’est assorti d’aucun plan d’action à long terme, et la date du pic d’émissions pour l’Inde reste à déterminer. La nouvelle contribution indienne n’a donc rien de révolutionnaire.
L’Indonésie a déposé aux Nations Unies une nouvelle contribution nationale deux mois avant la COP27. Celle-ci comporte une légère amélioration de son objectif principal d’atténuation des émissions qui, comme pour l’Inde, est exprimé en intensité carbone par unité de PIB. La cible de réduction de cette intensité carbone passe de 29 à 32 % d’ici 2030 par rapport à 2010 sans aide internationale, et à 43 % avec une aide internationale. Un objectif très peu ambitieux, souligne le Climate Action Tracke, en particulier parce qu’il se fonde sur une modélisation des prolongations de tendances (qualifiées de « business as usual »), qui est fortement exagérée. Le scénario le plus ambitieux (une réduction de 43 % de l’intensité carbone par rapport au « business as usual ») se traduit en réalité par une augmentation absolue des émissions de 22 % entre 2010 et 2030. Le problème principal de l’Indonésie est celui de la déforestation, qui représente environ la moitié des émissions de gaz à effet de serre du pays sur les vingt dernières années. Par ailleurs le plan d’action actuel sur la production d’électricité prévoit le maintien d’une priorité aux centrales à charbon, qui représenteront encore les deux tiers de la production d’électricité en 2030. L’Indonésie est toutefois plus précise que l’Inde sur l’objectif d’un pic des émissions, dont la date est fixée à 2030.

Les autres pays d’Asie n’ont pas précisé leurs ambitions depuis la COP26

La Chine prend du retard dans la publication détaillée des objectifs pour le climat contenus dans son 14éme plan quinquennal, qui couvre la période 2021-2025, en dépit d’une forte progression de ses émissions de gaz à effet de serre en 2021 (+3,4%, soit davantage que la totalité des émissions françaises). Le plan méthane du pays, annoncé lors de la dernière déclaration conjointe sur le climat avec les États-Unis publiée lors de la COP26, n’a pas été détaillé depuis. Ce retard est un dommage collatéral de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan l’été dernier, qui a conduit à un gel de la coopération sino-américaine sur les questions climatiques.
*Le « Fossil Award » ou « prix fossile » est attribué chaque jour par le Climate Action Network pendant la durée de la COP27 aux pays qui sont « les meilleurs à faire le pire et les plus motivés à en faire le moins possible ».
Le Japon vient de décider le report de la nouvelle taxe carbone qui devait être adoptée en avril 2023, au nom de la lutte contre l’inflation. Il s’est vu par ailleurs décerner, dans le cadre de la COP27, le « prix fossile du jour »* le 9 novembre par le Climate Action Network, pour son incapacité à mettre un terme à ses financements nationaux et internationaux de projets fondés sur les énergies fossiles.
Le Vietnam avait surpris lors de la COP26 en annonçant des plans à long terme très ambitieux pour le climat, alors que son bilan carbone des trente dernières années est le pire d’Asie. Il avait fixé l’objectif d’un pic des émissions du pays en 2035 et d’une neutralité carbone dès 2050, soit 10 ans avant la Chine et l’Indonésie. Depuis, le pays commence à s’organiser au plan interne pour fixer une trajectoire de long terme. Mais ses engagements à l’horizon 2030 n’ont pas été modifiés et le Climate Action Tracker qualifie la politique du Vietnam pour le changement climatique de « gravement insuffisante ».

L’Asie en développement garde une position confortable dans les débats de la COP27

La faiblesse des nouvelles contributions asiatiques est passée inaperçue lors de la COP27 car celle-ci se focalise sur d’autres enjeux que les engagements en matière d’atténuation. La priorité donnée par la présidence égyptienne à la mise en œuvre des engagements met au premier plan deux sujets où l’Asie en développement est dans une position de négociation offensive : le financement par les pays développés et la question des compensations pour les pays les plus vulnérables.
Les pays développés s’étaient engagés à fournir une aide financière annuelle de 100 milliards de dollars à partir de 2020 jusqu’en 2025 pour les politiques d’atténuation, et de 40 milliards de dollars par an à l’horizon 2025 pour les politiques d’adaptation. Aucun de ces deux objectifs n’est atteint à ce jour. Le groupe des 77, auquel appartiennent les principaux pays en développement d’Asie, demande aux pays riches d’honorer ces engagements sans délai supplémentaire, et réclame la définition rapide d’un objectif plus ambitieux pour la période 2025-2030.
Sur la question des compensations, le Pakistan, qui préside actuellement le groupe des 77 et qui co-préside la COP27 avec l’Egypte, arrive à la conférence de l’ONU avec un « cas d’école ». Les inondations qui ont frappé le pays au cours de l’été 2022 ont créé des dommages gigantesques : près de 2 000 morts, huit millions de personnes déplacées et plus de 30 milliards de dollars de coûts pour la reconstruction. Le Pakistan produit moins de 1 % des émissions globales de gaz à effet de serre. Il peut légitimement réclamer une aide internationale massive et demander la mise en place du régime de « compensations » réclamé jusqu’à présent par l’alliance des petits États insulaires (AOSIS en anglais). Comme le souligne l’Ambassadeur du Pakistan auprès des Nations Unies dans son intervention devant la COP27 au nom du groupe des 77, « une solidarité et une coopération accrue pour faire face aux pertes et dommages liées au changement climatique n’est pas une œuvre de charité, c’est de la justice climatique ».
La Chine, par la voix de son représentant à la COP27, Xie Zhenhua, a indiqué qu’elle soutenait la mise en place d’un mécanisme de compensation au profit des pays pauvres, tout en précisant qu’elle n’avait pas l’intention d’y contribuer financièrement (au motif qu’elle n’est pas encore un pays développé…). La position chinoise risque cependant d’être fragilisée par la conjonction croissante entre les débats sur la dette des pays pauvres et la question des compensations climatiques. Devenu l’un des principaux créanciers des pays pauvres avec les grands projets des « Nouvelles routes de la soie », l’empire du milieu ne pourra pas se désolidariser des efforts que devront faire les pays créanciers pour éviter la banqueroute d’un certain nombre d’États en Asie, en Afrique ou en Amérique Latine.
Au total, la COP27 ne sera pas un grand cru pour la mobilisation des pays d’Asie-Pacifique, qui restent focalisés sur les enjeux de court terme : l’inflation, la crise énergétique et les conséquences de la guerre en Ukraine.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.