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Analyse

XXème Congrès du PCC : "l'incident Hu Jintao" et le nouveau Comité central

L'ancien président Hu Jintao forcé de quitter la session de clôture du XXème Congrès du Parti communiste chinois, sous les yeux du président Xi Jinping et du Premier ministre Li Keqiang, le samedi 22 octobre 2022. (Source : Le Temps)
L'ancien président Hu Jintao forcé de quitter la session de clôture du XXème Congrès du Parti communiste chinois, sous les yeux du président Xi Jinping et du Premier ministre Li Keqiang, le samedi 22 octobre 2022. (Source : Le Temps)
Que penser de la session de clôture du XXème Congrès du Parti ce samedi 22 octobre ? Juste avant l’annonce du nouveau Comité central du Parti, dont le Premier ministre Li Keqiang n’est plus membre, une scène impensable sous les yeux des journalistes s’est produite. L’ancien président et prédécesseur de Xi Jinping, Hu Jintao a été forcé de quitter la séance. Douze heures plus tard, la presse officielle a parlé d’un « malaise ». Retour sur une journée édifiante et déjà riche en indications sur les manœuvres finales de Xi Jinping.
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C’est vers 13h à Pékin, ce samedi 22 octobre, qu’ont été dévoilées les listes des nouveaux membres du comité central puis de la commission disciplinaire du Parti, qui supervise la « lutte anti-corruption ». Mais l’annonce n’a pas su faire oublier l’incident survenu un peu plus tôt impliquant l’ancien président Hu Jintao. Alors que le 16 octobre à l’ouverture du Congrès, Xi Jinping avait aidé Hu à s’asseoir, il en fut autrement ce samedi. Quelques heures avant la clôture de la première rencontre, des membres du personnel viennent prendre les lunettes de l’ancien numéro un chinois et commencent à « l’aider » à se lever, bien malgré lui. Hu tente alors de prendre le porte-folio en face lui, mais il est intercepté par Li Zhanshu, président de l’Assemblée nationale populaire. L’ex-président tente de se s’asseoir de nouveau, il est remis debout et progressivement escorté à l’extérieur. Sur son chemin, il interpelle Xi Jinping qui hoche la tête, et met sa main sur l’épaule du Premier ministre Li Keqiang, son protégé. Peu après, les journalistes sont appelés à quitter les lieux et on voit Li Zhanshu s’essuyer le front. Wang Huning, l’idéologue du Parti semble un peu ébahi, tandis que les autres dirigeants assis au premier rang baissent les yeux – y compris l’ancien chef du gouvernement Wen Jiabao, Zeng Qinghong, bras droit de Jiang Zemin, ou le vétéran Song Ping, mentor de Hu et Wen.
Cependant, avant de juger trop vite la situation – qui pourrait s’interpréter comme un signe clair des tensions au sein du Parti -, il faut faire un arrêt sur image, au tout début de l’altercation. Hu semble avoir les yeux presque complètement fermés et être quelque peu « instable » physiquement. N’oublions pas qu’il a eu besoin de l’aide de deux personnes pour se rendre au Congrès. En ce sens, malgré les signes de désunion, il ne faut pas écarter l’âge et la condition physique de certains de ces dirigeants. Il n’empêche, voir Hu Jintao se faire escorter hors de du Congrès ne donne pas une belle image de la direction du Parti. Et si le geste de Hu Jintao refusant de quitter son siège était une tentative de résistance publique, alors l’ex-président a bien choisi son moment et pourrait inciter d’autres hauts cadres à résister. Pour l’heure, nous n’avons pas le fin mot de l’histoire.

Comité central vieillissant

Cet incident qui glaça l’ambiance fut immédiatement suivi de l’annonce des promotions. La nouvelle liste des 205 membres du Comité central représente une alternance qui respecte les normes pour le Parti, à quelques détails près bien entendu. Environ 50 % des membres ont été renouvelés – proportion très similaire aux rotations du XVIIIème et XIXème Congrès. Les caractéristiques de ces membres sont elles aussi très proches de leurs prédécesseurs : en grande partie des dirigeants locaux – gouverneurs, secrétaires provinciaux et de régions autonomes ainsi que des secrétaires adjoints du Parti, des représentants des divers ministères et commissions, mais aussi des organes du Parti.
La transition est claire vers la 6ème génération dont sont issus près de 80 % des membres du Comité central. Cependant, aucune trace de la 7ème génération. Il s’agit donc d’une alternance certes accélérée – comparée au XIXème Congrès, mais encore un peu lente à regarder les tendances sur vingt ou trente ans : plus de 75 % des nouveaux venus proviennent de la première cohorte de la 6ème génération (1960-1964), un peu moins de 20 % de la deuxième cohorte (1965-1969). En matière de rajeunissement ou encore de stagnation – sujet souvent de premier plan lorsque l’on parle des nouveaux venus, leur différence d’âge n’excède pas six mois d’écart. Cette différence n’est pas significative d’un point de vue statistique. Mais si l’on compare avec le nouvel arrivage du XVIIIème Congrès, grandement structuré par « l’Ancien régime » – le réseau de Jiang Zemin -, la différence est là. Résultat : même si ces nouveaux venus proviennent de la 6ème génération et qu’ils soient nombreux, le Comité central stagne et vieillit progressivement depuis 2012.
Outre ces considérations statistiques, que faut-il retenir de la nouvelle composition du Comité central et de la commission disciplinaire du Parti ? Premier point : le premier ministre Li Keqiang, Wang Yang, le président de la Conférence consultative du peuple, le vice-Premier ministre Han Zheng, Li Zhanshu, et l’ancien chef du Parti au Xinjiang, Chen Quanguo, quittent le Comité central et donc leur siège au Politburo. Cependant, Wang Huning et Li Hongzhong, des représentants de « l’ancien régime » proche de la faction de Jiang Zemin, demeurent en poste. Ce changement majeur vire au scénario du « winner takes all », le vainqueur emporte toute la mise. Seul problème : trouver un poste pour Wang Huning sans trop affecter la carrière de Huang Kunming et de Li Shulei.

Xi Jinping à la manoeuvre pour garder le contrôle de l’armée, Taïwan priorité absolue du Parti

Autre remarque : le général Zhang Youxia, deuxième vice-président de la Commission militaire centrale et à présent le doyen du comité central, n’a pas quitté la scène politique. Au contraire du général Li Zuocheng, un favori dans la course à la vice-présidence de la commission militaire sort du jeu. Ne reste alors que les généraux Liu Zhenli, Miao Hua, Zhang Shengmin, Li Qiaoming, He Weidong, et Chang Dingqiu comme candidats pour la Commission militaire.
On peut également penser que si Zhang Youxia demeure en poste, alors, au lieu de deux sièges vacants à la vice-présidence, il pourrait n’y en avoir qu’un seul. Ainsi, dans la mesure où Zhang est membre de la clique des vétérans du Vietnam, Xi Jinping cherchera sûrement à promouvoir Miao Hua, membre de la clique très belliqueuse du « Détroit de Taïwan ».
Le fait que Zhang demeure en poste indique que Xi n’est pas encore à même de tenir tout seul en laisse l’appareil militaire et qu’il doit s’en remettre à sa prestance du général afin de « contrôler le fusil ». La présence de Zhang Youxia pourrait également être perçue comme « modératrice » face à la présence accrue des idéologues bellicistes.
Par ailleurs, le secrétaire particulier militaire de Xi, Zhong Shaojun, a été promu au Comité central. La promotion de Zhong confirme l’intention de continuer le mouvement de recentralisation de l’appareil militaire autour du président de la Commission militaire afin de détruire les derniers espaces plus ou moins « indépendants » au sein de l’Armée populaire de libération.
Il est aussi notable que plusieurs cadres militaires, comme He Weidong, appartiennent désormais à la clique du « Détroit de Taïwan ». Cela suggère que Taïwan est à présent l’une des priorités absolues du Parti dans les années à venir.

Les États-Unis toujours au cœur des préoccupations

Autre champ de manœuvre pour Xi Jinping : la Ligue des Jeunesses communistes, l’une des factions rivales, dont Hu Jintao et Li Keqiang sont les figures de proue. Ce samedi, He Junke, premier secrétaire des Jeunesses communistes, a été promu au Comité central, ce qui pourrait indiquer un regain d’intérêt de la part de Xi Jinping. Après la débâcle en 2014 de Ling Jihua, ancien bras droit de Hu Jintao, la structure des Jeunesses communistes a été mise de côté et ses principaux membres, comme Lu Hao (toujours dans le Comité central), n’ont pas été autorisés à atteindre le sommet (comme Li Keqiang avant eux). He Junke, né en 1969, est un fervent partisan de Xi et pourrait, à terme, faire partie d’une équipe de transition post-Xi Jinping.
Wang Yi, quant à lui, est toujours membre du Comité central. Cela pourrait indiquer que l’actuel chef de la diplomatie chinoise viendra remplacer Yang Jiechi à la commission des Affaires étrangères du Parti, le rang supérieur. Cependant, Song Tao, Liu Jieyi et Deng Hengbo, qui étaient les principaux candidats appelés à remplacer Wang Yi n’ont pas été retenus. Ainsi, dans l’état actuel des choses, on pourrait voir Liu Haixing (également membre de l’unité de travail du comité de la sécurité nationale), ou encore Qin Gang (l’actuel ambassadeur à Washington) venir remplacer Wang Yi au ministère en 2023. Choisir Wang Yi et Qin Gang pourrait indiquer que l’attention du Parti demeure centrée sur les États-Unis.
Dernière observation : Li Xi, chef du Parti dans le Guangdong, figure dans la liste pour la commission disciplinaire. Il est donc fortement probable que Li soit choisi pour diriger sous peu cette commission très redoutée.
Ce ne sont ici que quelques observations préliminaires et incomplètes, écrites à la veille de la présentation du comité permanent du Politburo. Cette présentation ce dimanche 23 octobre puis la double session parlementaire de mars prochain donneront plus précisément les orientations du régime de Xi Jinping dans la « nouvelle ère ». Ce qui permettra de jauger ce qu’il reste d’opposition au sein du Parti – et si bien sûr « l’incident Hu Jintao » était lié aux luttes intra-Parti – alors que Xi continue d’essayer de tenter de se débarrasser des cadres « problématiques » pour la mise en œuvre de son programme politique.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.