Politique
Revue critique

Documentaire : "Revolution of our Times" ou l’effacement des libertés à Hong Kong

Extrait du documentaire "Revolution of our Times" de Kiwi Chow. (Source : Festival de Cannes)
Extrait du documentaire "Revolution of our Times" de Kiwi Chow. (Source : Festival de Cannes)
Ce jeudi 12 mai, Monseigneur Joseph Zen, 90 ans, a été libéré sous caution. Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, l’ancien cardinal aujourd’hui à la retraite est l’une des voix les plus fortes en faveur de la démocratie dans l’ancienne colonie britannique. Cet engagement jamais démenti lui a valu de tomber naturellement sous le coup de la « loi sur la sécurité nationale » imposée par Pékin le 1er juillet 2021. L’arrestation du cardinal avec d’autres figures emblématiques comme la chanteuse et militante LGBT Denise Ho, a marqué un pas de plus vers l’effacement total des libertés dans la cité de 7 millions d’âmes. C’est l’aboutissement d’une profonde crise politique dont l’immense mouvement contre la loi d’extradition en 2019 et pour la démocratie fut l’acmé. C’est l’histoire de cet effacement progressif qu’illustre en 123 minutes le documentaire Revolution of our Times de Kiwi Chow, présenté le 28 avril au Forum des Images à Paris.
Au cours des cinquante dernières années, les Hongkongais se sont battus pour la liberté et la démocratie. En 2019, un « projet de loi sur l’extradition » imposé par les autorités de Pékin a ouvert la boîte de Pandore, transformant Hong Kong en un champ de bataille contre le régime autoritaire chinois. Le réalisateur primé Kiwi Chow (周冠威) a réalisé ce documentaire pour raconter l’histoire du mouvement sur les lignes de front, en suivant sept équipes de manifestants. La démocratie et la liberté sont aujourd’hui confrontées à une crise sans précédent dans le monde. À ce titre, ce documentaire est emblématique de la situation des libertés en Chine et plus particulièrement à Hong Kong.
En effet, Revolution of our Times ne parle pas seulement de la bataille des Hongkongais contre le Parti communiste chinois, mais d’une guerre menée par les autoritarismes contre les défenseurs de la liberté à travers la planète. Ce documentaire, dont le sous-titre signifie « L’époque ne nous a pas choisis, nous avons choisi de changer l’époque », est interdit aux moins de 16 ans. Et pour cause, certaines scènes sont d’une extrême violence. On y voit des manifestants, le visage ensanglanté, allongés sur la chaussée de même que le suicide de jeunes habitants de Hong Kong, poussés au désespoir par l’impitoyable répression des autorités. Revolution of our Times a été primé au Festival de Cannes en 2021. Il a reçu le prix du meilleur documentaire au 58ème Golden Horse à Taipei. Il est évidemment interdit en Chine continentale, de même qu’à Hong Kong.

« Cinq demandes, pas une de moins »

Les témoignages se bousculent à l’écran. La plupart de ces jeunes qui parlent devant la caméra dissimulent leur visage derrière un masque, une cagoule ou un casque car ils sont encore à Hong Kong et risquent l’emprisonnement s’ils sont identifiés. D’autres, partis à l’étranger, témoignent à visage découvert. « Nous avions cru aux promesses de Pékin, déclare l’un d’entre eux. Nous avons été trahis. » Quelques semaines après le début des manifestations, un premier suicide est filmé en direct. Un jeune se jette dans le vide du haut d’un immeuble. Quelques minutes plus tard, une ambulance arrive sur les lieux et emporte son cadavre.
Les manifestants scandent leurs « cinq demandes, pas une de moins » : retrait complet du projet de loi d’extradition, retrait de la caractérisation juridique du mouvement comme « émeute », amnistie des personnes arrêtées, mise en place d’une commission d’enquête indépendante sur les violences policières et mise en place du suffrage universel direct pour les élections du chef de l’exécutif et du conseil législatif.
Quelques dizaines d’entre eux arrivent à occuper les locaux du Legco, abréviation de Legislative Council, le parlement de Hong Kong. Les forces de l’ordre interviennent. Leurs parents arrivent sur les lieux et implorent la clémence des autorités. « Ce ne sont pas des voyous, ce sont des enfants innocents », crie une mère, les yeux embués de larmes. Peu après, les « cinq demandes » sont, sans surprise, rejetées par le gouvernement. Cette décision, bien qu’attendue, renforce la détermination des manifestants qui sont de plus en plus nombreux dans la rue. Commence alors un jeu du chat et de la souris. Les manifestants sont traqués par la police.
Bientôt, plus de 200 d’entre eux sont arrêtés et incarcérés, dont Claudia Mo, une ancienne journaliste de l’Agence France-Presse devenue une élue du Legco qui déclare publiquement que les manifestations sont légitimes. Mais ce mouvement qui prend de l’ampleur chaque jour est sans leader. « Nous n’avons pas besoin de leader car chacun de nous est un leader », souligne un manifestant.
Cependant, les parents de ces jeunes un peu naïfs prennent conscience du danger auxquels ils s’exposent. « Je fais appel à ces jeunes, sauvez vos vies, s’esclame un grand-père en larmes devant une caméra. Mais je veux néanmoins réveiller les habitants de Hong Kong. Le moment est vital pour l’avenir de Hong Kong. » Les manifestants scandent de plus en fort : « Nous voulons le suffrage universel ! » Quiconque en Chine connaît la nature du régime, sait très bien que cette demande est tout simplement impossible à satisfaire. Dans les rues et les galeries marchandes, des milliers de petites notes sont collées avec des messages expliquant le sens de leur mouvement de protestation. Cette initiative est baptisée « le mur Lennon », du nom du chanteur britannique John Lennon.
« Il nous faut mettre la société de Hong Kong à l’arrêt pour faire bouger le gouvernement », explique l’une des affichettes de couleur jaune. « Si les adultes se mettaient en grève, leurs enfants n’auraient pas à se battre », souligne une autre. Un vieillard, qui se donne pour nom « Oncle Chan », devient l’un des porte-voix de ces milliers de parents inquiets. Il intervient chaque jour aux côtés des jeunes activistes dans les rues. « N’allez pas trop loin, c’est dangereux », appelle-t-il à travers un mégaphone.
Les médias de Hong Kong jouent un rôle capital pendant ces semaines de fièvre dans les rues de la ville. Les chaînes de télévision, les radios rendent compte heure par heure de la situation qui prend un tour de plus en plus inquiétant. Nathan Law Kwun-chung (羅冠聰), activiste et homme politique connu et respecté, un des leaders étudiants pendant le mouvement des parapluies en 2014, résume la situation devant les jeunes rassemblés : « Ces jeunes veulent changer un monde assassiné. » Oncle Chan prend alors la parole : « Voilà pourquoi l’oncle Chan fera tout pour la jeunesse. »

« J’ai le cœur brisé car la police s’attaque maintenant même à des vieillards »

Confrontées à ce qui devient une véritable marée humaine, les autorités appellent au calme, mais sans succès. Vient alors ce moment tragique d’une collusion entre la police et les gangsters de Hong Kong. Les caméras filment ainsi une échauffourée où l’on voit clairement des hommes habillés de blanc qui passent à tabac des manifestants. Une journaliste de Hong Kong témoigne comment elle a été elle-même battue par ces gangsters.
Désormais, les manifestations ont atteint un point de non-retour. « Je sens bien qu’un plus grand sacrifice nous attend, confie-t-elle. Lorsque j’ai été battue, j’ai composé le numéro d’appel de la police. » Personne ne décroche. « Le plus dur dans tout cela, c’est l’injustice car ces gangsters ne seront jamais poursuivis et il peuvent faire n’importe quoi car ils ne sont jamais inquiétés ni jamais punis », dénonce un jeune manifestant anonyme. « À Hong Kong, l’État de droit est mort, souligne un autre. Beaucoup de ces policiers ont rejoint les rangs de la police car ils avaient de mauvais résultats à l’école et étaient donc sans avenir. »
Puis un jour, Oncle Chan se fait tabasser à son tour. « Aujourd’hui, j’ai le cœur brisé car la police s’attaque maintenant même à des vieillards, déplore-t-il, les larmes coulant sur son visage tordu de douleur. Avant, j’étais plein d’amour pour Hong Kong. Maintenant, c’est fini. Il soupire tandis qu’une infirmière lui tend son propre masque à gaz pour lui permettre de respirer dans une atmosphère chargée de gaz au poivre dans cette station de métro fermée par les autorités. Les manifestations à Hong Kong réunirent jusqu’à deux millions de personnes alors que la population totale de l’ancienne colonie ne dépasse pas 7,2 millions d’âmes, soit le chiffre le plus élevé dans toute l’histoire de la cité.
Pour le président Xi Jinping, l’enjeu à Hong Kong était de taille. Bien que la ville ne soit qu’un minuscule confetti sur la carte de l’immense Chine, il lui était intolérable que s’y installe une véritable démocratie où seraient acceptées les valeurs universelles que sont des élections libres, une justice indépendante ou une presse elle aussi libre.

Histoires d’amour

Mais dans les rues de Hong Kong, une partie des manifestants s’en prennent maintenant aux symboles du pouvoir chinois. Des banques, des magasins liés de près ou de loin au pouvoir chinois deviennent leurs cibles. Ils sont pillés et les vitrines détruites. Parmi elles, celle de la Bank of China. Des slogans apparaissent sur les murs : « Chinazi », « XiTler », des termes particulièrement provocateurs qui ont pour conséquence de discréditer l’ensemble du mouvement de contestation auprès d’une partie de la population.
Mais l’autre conséquence de ces semaines de mobilisation a été pour ces jeunes manifestants de trouver une grande complicité entre eux ainsi qu’une profonde solidarité. Beaucoup ont, en outre, reçu le soutien de leur famille. Des histoires d’amour naissent entre ces jeunes. Certains dont les liens avec leur copain ou leur compagne étaient superficiels découvrent dans leur activisme à quel point ils s’aiment. « Avec ma petite amie, nous ne savions pas très bien où nous en étions, souffle l’un de ces jeunes manifestants. En sa compagnie, à travers toutes ces épreuves, j’ai réalisé à quel point je l’aime. »
La presse de Hong Kong a fait mention de nombreux suicides, dont celui d’une adolescente dont le corps nu a été retrouvé dans les eaux de la baie de Hong Kong. Il portait des traces de violences sexuelles. Plusieurs jeunes Hongkongaises ont accusé les forces de l’ordre d’agressions de cet ordre.
Quel enseignement tirer de ces semaines d’espoir puis de désillusion ? « Nous avons quelque peu écrit l’Histoire. Nous étions tout près du but », estime une jeune fille de 15 ans. Au total, plus de 10 250 étudiants, employés et ouvriers ont été arrêtés. Plus de 280 ont depuis été jugés et, pour nombre d’entre eux, condamnés à de lourdes de peines de prison. D’autres ont choisi l’exil, principalement vers Taïwan, le Royaume-Uni, l’Australie ou les États-Unis.

Naïveté et désespoir

Un Français qui vit à Hong Kong depuis plus de cinq ans a assisté à l’ensemble de ces manifestations. Voici ses réponses à nos questions – il a préféré garder l’anonymat.

Vous avez été aux premières loges de ces années de contestation puis de répression à Hong Kong. Quel enseignement tirez-vous de cette période ?

Plusieurs enseignements. Le premier est d’évidence la formidable ferveur politique et l’engagement pour la démocratie de la population hongkongaise et en particulier de sa jeunesse. Cette contestation a réveillé une force endormie que je ne soupçonnais pas. Le second enseignement est que cette force, lorsqu’elle est utilisée avec adresse, peut gagner de belles batailles, même face au régime totalitaire du Parti communiste chinois. En effet, le 4 Septembre 2020, Carrie Lam annonce le retrait de la loi d’extradition, cette loi controversée qui a mis le feu aux poudres. Ce retrait fut une vraie surprise pour moi. J’estime que c’est une grande victoire qui honore la lutte du peuple hongkongais. Elle prouve que même en Chine, le peuple a son mot à dire. Enfin, le troisième enseignement, c’est la force terrible de l’information et de sa manipulation. La contestation politique s’est graduellement transformée en une bataille rangée entre manifestants et policiers dans les rues mais surtout sur les réseaux sociaux. Vidéos tronquées, images sans contexte ou modifiées… Ces infox se propagent de manière virale sur tous les téléphones et influencent l’opinion presque en temps réel. Cette manipulation de l’information a eu lieu d’un côté comme de l’autre de la barricade. Malheureusement, elle aura noyé les justes revendications politiques au point de les rendre inaudibles.

Ne pensez-vous pas que ces jeunes ont fait preuve d’une grande naïveté ?

À l’époque, j’ai regretté la formulation de ces « Cinq demandes, pas une de moins » qui ne laisse aucune place à la négociation. Mais il faut se rappeler que le gouvernement hongkongais n’aura pas non plus brillé par son esprit de conciliation. On se souviendra des « grands débats » ou les citoyens étaient triés sur le volet pour poser de timides questions à un gouvernement qui se distinguait par une langue de bois éhontée. Un simulacre de débat qui n’a fait qu’encourager les manifestants dans leur lutte. La contestation a changé de nature au fil des mois. D’une démonstration populaire et pacifique qui a réuni près du tiers de la population hongkongaise, elle s’est transformée en une « Révolution de notre temps » : une ultime bataille pour sauver coûte que coûte la Liberté. Cette radicalité peut être interprétée comme de la naïveté mais elle aura eu le mérite d’être claire et d’être probablement la plus juste représentation du désespoir de la jeunesse engagée de Hong Kong.

Cette contestation s’est terminée par une répression implacable. Croyez-vous qu’une autre issue était possible ?

C’est peut-être à mon tour d’être naïf mais je pense que si la contestation s’était arrêtée après le retrait de la loi d’extradition, alors celle-ci aurait été enterrée pour bien longtemps. La loi de sécurité nationale, la véritable faucheuse qui aura tué Hong Kong, n’aurait peut-être pas vu le jour avant longtemps. Cela dit, le véritable cygne noir de cette période aura été le Covid-19. Cette pandémie a mis un coup d’arrêt aux manifestations et a permis au PCC d’imposer la loi de sécurité nationale.

Le soir de de la projection du documentaire, la salle était pleine à craquer. Plus de la moitié de l’assistance était composée de jeunes Chinois, essentiellement des ressortissants de Hong Kong. Lorsque la projection s’est terminée, ils ont longuement applaudi. Certains hurlant la fameuse formule d’encouragement « Jia you » (加油), littéralement : « ajoute de l’huile », autrement dit, « mets les gaz » ou « encore un effort ».
Ce mercredi 11 mai, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, un homme très respecté à Hong Kong, a été arrêté par la police en même temps que l’ancienne élue d’opposition Margaret Ng Ngoi-yee et la chanteuse de Hong Kong Denise Ho Wan-sze, elle aussi très connue dans la ville. Selon le South China Morning Post, les trois personnes sont soupçonnées de « collusion avec des forces étrangères », un « crime » passible de la prison à perpétuité en vertu de la loi sur la sécurité nationale.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).