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Corée du Nord : où va Kim Jong-un après une décennie au pouvoir ?

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. (Source : Businessinsider)
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un. (Source : Businessinsider)
Déjà dix ans qu’il tient les rênes du pays. Après des rendez-vous ratés avec Donald Trump, que fera Kim Jong-un à l’approche des Jeux olympiques d’hiver à Pékin en février puis de la présidentielle sud-coréenne le 9 mars prochain ? Adoptera-t-il une attitude belliqueuse ou conciliante avec l’administration Biden ? Une décennie de règne du jeune dictateur n’a pas éclairci tous les mystères qui entourent sa personnalité.
Le 18 décembre prochain, les 25 millions de citoyens de la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC) – l’appellation officielle de la dictature nord-coréenne – seront conviés – avec ou sans leur accord – à célébrer le 10e anniversaire de l’arrivée du jeune Kim Jong-un aux commandes de la nation la plus isolée et défiante du concert des nations. Il avait pris les rènes de la Corée du Nord au lendemain du décès de son dictateur de père Kim Jong-il le 17 décembre 2011, disparu de mort naturelle après dix-sept années de règne sans partage mais non sans terreur, pour la population et ses subalternes, entre autres.
* »Le président éternel », toutefois décédé en 1994 après 46 années au pouvoir. **Alors « régent », peu ou prou numéro deux du régime et grand ami de la Chine, il est arrêté et exécuté fin 2013. ***Fils ainé de Kim Jong-il vivant en exil, assassiné en février 2017 en Malaisie par les services secrets nord-coréens. ****A minima trois millions de morts. Depuis l’armistice de 1953, aucun traité de paix n’a été signé et une situation de guerre de jure perdure entre Séoul et Pyongyang.
Voilà donc une décennie que le visage rond, juvénile, agrémenté d’une coupe de cheveux évoquant son grand-père et fondateur du régime* Kim-Il sung, est familier de la population nord-coréenne et de la communauté internationale. Pour le bien ou pour le pire, selon les circonstances et l’humeur de l’ombrageux régime nord-coréen, la dernière dictature totalitaire d’Asie et unique dynastie communiste héréditaire. Le nom de Kim Jong-un, 37 ans, parle plus à l’opinion publique internationale que le fond de sa pensée et le détail de ses ambitions à long terme pour la Corée du Nord. De fait, l’héritier du régime kimiste a au fil des années au sommet de l’État gagné en assurance, en expérience et en autorité. Ce ne sont ni son oncle Jang Song-taek** ni son demi-frère Kim-Jong-nam***, tous deux assassinés sur son ordre, qui diront le contraire. Mais l’homme demeure néanmoins difficile à cerner, mystérieux, insondable. Depuis Séoul, Washington, Tokyo, Pékin ou Paris, les observateurs de l’atypique et imprévisible régime né sur les cendres du conflit intercoréen de 1950-53****, se bornent essentiellement à des exercices incertains de décryptage, d’interprétation aléatoire.

Posture agressive mais habilement calibrée

*Un concept par ailleurs interprété différemment à Washington et au nord du 38ème parallèle.
Non pas que l’individu demeure cloîtré en permanence depuis dix ans dans les sombres couloirs du pouvoir de Pyongyang ou reclus loin de ses administrés et de la capitale dans une de ses résidences secrètes ultra-sécurisées. Même si ses disparitions impromptues, pour raisons de santé, tactique politique ou par précaution, parfois pour de longues semaines, n’ont pas été rares lors de la décennie écoulée. Ses sorties dans les médias d’État nord-coréens, essentiellement, ses interventions publiques annuelles, comme son discours à la nation du 1er janvier, ou plus ponctuelles, lors de la convocation des différents organes du régime, ses sorties sur le terrain, qui pour inspecter un chantier en cours – ville, station de ski, usine -, qui pour assister au tir d’un missile balistique, ne sont pas rares, loin s’en faut. On a même vu à deux reprises ce trentenaire – que l’on dit volontiers irascible, appréciant la bonne chair et de santé fragile – gagner une capitale étrangère – Singapour en 2018 ou Hanoï en février 2019 – pour y rencontrer, le temps de deux « sommets historiques » aux dividendes finalement aussi modestes que décevants, l’ancien locataire de la Maison Blanche Donald Trump, « grand ami » du leader nord-coréen à la recherche lui aussi d’un accord historique entre Washington et Pyongyang sur la très délicate thématique de la dénucléarisation*.
*Jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang, en Corée du Sud, du 9 au 25 février 2018, présentés comme les « jeux de la paix » par Moon Jae-in. **Entre 2011 et 2021, la Corée du Nord a procédé à une longue série de tirs de missiles de portées diverses dont trois intercontinentaux ou ICBM, en 2017 notamment. ***Quatre essais atomiques en 2013, 2016 et 2017 (a priori, l’essai de septembre 2017 était une bombe thermonucléaire). ****Ainsi que Moscou, dans une moindre mesure cependant.
Ayant passé une partie de ses jeunes années en Suisse, l’héritier de la dynastie kimiste ne s’est pas pour autant imprégné outre mesure des notions de paix, de neutralité, de coexistence pacifique chères à ses hôtes helvétiques. Bien au contraire. Il est vrai certes que Kim Jong-un autorisa les athlètes nord-coréens à participer en 2018 aux XXIIIe Olympiades d’hiver* organisées chez le voisin méridional et dépêcha sur place Kim Yo-jong, sa jeune sœur, principale conseillère et émissaire personnelle, pour représenter la Corée du Nord lors de la cérémonie d’ouverture. Mais l’esprit olympique n’a pas opéré sa magie sur le jeune trentenaire. La défiance, la provocation et le ton belliqueux à l’endroit de la Maison Blanche comme de la Maison Bleue à Séoul, les aventurismes balistiques** et nucléaires***, ont davantage balisé la feuille de route de Pyongyang ces dernières années. Une posture agressive, mais habilement calibrée, s’employant à ne pas dépasser une certaine mesure, adoptée par Kim Jong-un, éreintant au passage le président sud-coréen Moon Jae-in et ses aspirations à la décrispation Nord-Sud, embarrassant par son irrédentisme l’ancien chef de l’exécutif américain, indisposant dans une certaine manière Pékin, allié stratégique, partenaire commercial privilégié et paratonnerre diplomatique**** de Pyongyang.
*Celles qui affectent l’économie sont de toute évidence les plus gênantes pour la population, mais également pour le régime, car contrariant durement ses plans.
Dans un environnement économique marqué depuis deux ans par les conséquences multiples de la pandémie de Covid-19, qui, officiellement selon Pyongyang, aurait jusqu’alors épargné le territoire nord-coréen, aucun décès n’y étant signalé, le poids des sanctions onusiennes* et unilatérales définies par certains États, États-Unis et Japon en tête, condamnant la poursuite des programmes balistiques et nucléaires, se fait durement sentir, au point que Kim Jong-un a reconnu lui-même à plusieurs reprises l’ampleur du problème. Fallait-il espérer grand-chose du sommet de Hanoï avec Donald Trump en février 2019, que le jeune dirigeant nord-coréen avait rejoint après un interminable périple ferroviaire de deux jours, la « diplomatie du train » selon l’expression du journal Le Monde ? Il s’agissait de donner plus de corps et de perspective à l’improbable détente Washington-Pyongyang engagée un an plus tôt à Singapour. Mais Kim Jong-un peine encore, près de trois ans et un changement de locataire à la Maison Blanche plus tard, à réenclencher le dialogue avec l’interlocuteur américain.

Fenêtre de tir pour le dialogue

Aujourd’hui sous bannière démocrate et visiblement bien moins pressée que sa devancière républicaine de conclure à tout prix un « deal » avec la résiliente dictature kimiste, la nouvelle administration américaine ne ferme aucunement la porte à une reprise des discussions avec les émissaires de Pyongyang. Mais Joe Biden se montre moins disposé à précipiter les choses, à suivre un tempo dicté par le Nord, à se laisser endormir sinon berner par les promesses et engagements de la Corée du Nord, généralement suivis d’aucun effet concret…
*La Constitution sud-coréenne limite à un mandat unique la fonction présidentielle. Au libéral Moon jae-in pourrait succéder un président conservateur avec une feuille de route bien moins conciliante à l’égard de Pyongyang.
Ce changement d’approche voulu par le président Biden n’augure pas nécessairement pour autant à court terme la poursuite de l’impasse. D’autant plus que son homologue sud-coréen Moon Jae-in, inlassable promoteur d’un « printemps intercoréen » et d’un esprit de paix avec le Nord depuis son entrée en fonction en 2017, quittera au printemps prochain la présidence*. Avec de nouvelles olympiades hivernales organisées sous peu sur le sol chinois à Pékin du 4 au 20 février prochains et le scrutin présidentiel sud-coréen du 9 mars, Pyongyang et Washington disposent semble-t-il d’une fenêtre de tir intéressante pour exhumer les reliques de leurs négociations interrompues et leur impulser un souffle nouveau, revu et corrigé. Si l’on peut ici espérer par les Américains une gestion pondérée de ce créneau possible de reprise du dialogue, l’anticipation de la posture de Pyongyang et de son énigmatique trentenaire demeure par définition plus difficile, incertaine. À deux mois de leur rendez-vous olympique hivernal pékinois – déjà contrarié par la pandémie de Covid-19 et ses divers variants -, on imagine bien les autorités chinoises suggérer à Pyongyang la discrétion et la raison plutôt que la provocation. Mais, cela suffit-il seulement à nous rassurer pleinement ?
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Birmanie 2020 : de l’état des lieux aux perspectives" (IRIS/Dalloz), de ''L'inquiétante République islamique du Pakistan'' (L'Harmattan, Paris, décembre 2021) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.