Politique
Analyse

Attentats de Bombay : la ligne trouble du Pakistan

Hafiz Saeed, l'un des cerveaux des attentats de Bomaby en 2088 et fondateur de l'organisation terroriste pakistanaise Lashkar-e-Taiba, ici lors d'une manifestaiton anti-gouvernementale à Lahore, le 25 mai 2012. (Source : FT)
Hafiz Saeed, l'un des cerveaux des attentats de Bomaby en 2088 et fondateur de l'organisation terroriste pakistanaise Lashkar-e-Taiba, ici lors d'une manifestaiton anti-gouvernementale à Lahore, le 25 mai 2012. (Source : FT)
Alors que le procès des attentats du 13 novembre 2015 dans sa 7ème semaine au Palais de Justice de Paris, l’Inde commémorait ce vendredi 26 novembre son « 11-Septembre ». Dans le souvenir pénible des 166 disparus emportés dans l’épouvantable déferlement de violence terroriste méthodiquement mis en œuvre du 26 au 29 novembre 2008 par un commando terroriste pakistanais à Bombay. Treize ans plus tard, le gouvernement d’Imran Khan n’a toujours pas condamné tous les responsables de cette tragédie.
Depuis, d’aveux divers en preuves accablantes, de promesses de coopération non tenues en processus dilatoires à répétition, l’empreinte pakistanaise dans les événements sombres de novembre 2008 est un fait bien établi. La totalité des membres du commando terroriste sont de nationalité pakistanaise, affiliés au groupe terroriste pakistanais Lashkar-e-Taiba (LeT). Face à un drame humain de cette envergure, et nonobstant la fragilité et la complexité de la relation indo-pakistanaise, les autorités indiennes, la population du pays de Gandhi et de Nehru, escomptaient d’Islamabad a minima compassion et coopération, fut-elle partielle. Des desiderata de bon sens en pareille situation mais qui, ainsi que le montre depuis lors l’Histoire, étaient visiblement hors de portée, les autorités du « pays des purs » tournant délibérément le dos à cette opportunité de rapprochement. Sans véritablement surprendre les observateurs.
Depuis lors, le positionnement d’Islamabad sur le sujet est scruté à la loupe par les parties prenantes – au premier desquelles les autorités indiennes – et les observateurs extérieurs. Tous sont dans l’attente – l’espérance mesurée serait plus juste – d’avancées convaincantes, de preuves tangibles, qui attesteraient d’un début de changement de paradigme du gouvernement pakistanais en la matière. Ces treize dernières années, on ne croule pas précisément sous une avalanche de points positifs, sous une quelconque inflexion. On parlera plutôt de désillusion et de frustration confinant au courroux. Revenons sommairement sur une poignée d’éléments qui attestent de l’absence de volonté politique d’Islamabad d’avancer de quelque manière que ce soit en direction du voisin indien, dont l’amertume, la colère et la douleur ne sauraient s’estomper treize ans après la tragédie.

« Paix durable dans le pays »

*Lequel s’est depuis lors illustré sur la scène domestique pakistanaise en menant depuis 2020 une mobilisation populaire violente contre la France et ses intérêts au Pakistan, réclamant aux autorités l’expulsion de l’ambassadeur de France à Islamabad et la rupture des relations diplomatiques avec Paris.
Ainsi, depuis 2008, les partis politico-religieux et les entités islamistes radicales pakistanaises – dont on ne présente plus le prisme anti-indien – ont nettement consolidé leurs positions sur l’échiquier national et leur influence dans la société, au vu et au su de tous, des autorités notamment. Lors du dernier scrutin législatif national l’été 2018, certaines structures islamistes interdites ont été autorisées à présenter des candidats et comptent désormais des élus dans l’hémicycle parlementaire. Parmi elles, le Lashkar-e-Taiba, en rejoignant les rangs de la Milli Muslim League, et l’Ahle Sunnat Wal Jamaat, en se rapprochant du Rah-e-Haq party. Sans oublier le très radical Tehrik-e-Labbaik Pakistan TLP*.
*Le Groupe d’action financière (GAFI), un organisme intergouvernemental basé à Paris et créé en 1989 par les ministres de ses États membres œuvrant à l’élaboration des normes et à la promotion de mesures sanctionnant le financement du terrorisme. **The Hindu, 9 novembre 2021.
Le 7 novembre dernier, soit deux semaines après que le Pakistan eut été maintenu sur la liste grise du GAFI*, la Haute Cour de Lahore acquittait six terroristes impliqués dans une affaire de financement du terrorisme. Tous étaient affiliés au groupe Jamaat-ud Dawa (JuD), la vitrine caritative du groupe terroriste Lashkar-e-Taiba (LeT) de Hafiz Saeed, un des cerveaux des attentats de Bombay. Ces six personnes avaient été condamnées précédemment par un tribunal antiterroriste. Deux jours plus tard, le 9 novembre, le gouvernement d’Imran Kahn négociait un cessez-le-feu temporaire avec les talibans pakistanais du Tehreek-e-taliban Pakistan (TTP, une organisation terroriste interdite) afin de permettre, selon le communiqué officiel, « l’instauration d’une paix durable dans le pays »**. Une décision d’une confondante naïveté tant le TTP n’a aucune velléité de paix dans son agenda à court terme, préférant de loin s’inspirer du « succès » estival des talibans afghans recouvrant le pouvoir à Kaboul le 15 août dernier pour redonner un élan à leur programme agressif et aux attaques contre les forces de sécurité pakistanaises.
Le 19 novembre dernier, les autorités pakistanaises ont remis en liberté à Lahore Saad Rizvi, le dirigeant du TLP, après des semaines de mobilisation violente de ses sympathisants donnant lieu à des victimes. Douze jours plus tôt, le 7 novembre, le gouvernement Khan levait l’interdiction frappant ce groupe radical, sans expliciter le détail de cet accord entouré d’opacité.

« Terrorisme transfrontalier »

*The New Indian Express, 12 novembre 2020. **Fondée en 2000, « l’armée de Mohammed » est une entité islamo-terroriste basée au Pakistan opérant pour l’essentiel en Inde, au Cachemire indien notamment. ***Inscrit sur la liste onusienne des terroristes internationaux depuis l’attentat de février 2019 au Jammu-et-Cachemire contre un convoi des forces sécurité, qui fit une cinquantaine de morts.
Certes, voilà un an, la Federal Investigation Agency (FIA), le principal organe d’enquête du Pakistan, reconnaissait que 11 terroristes impliqués dans les attentats de Bombay étaient des citoyens pakistanais*. Toutefois, dans la liste établie par la FIA – longue des 1 200 individus classés comme terroristes sur le sol national -, si l’on retrouve bien les noms des membres du sinistre commando de Bombay, celui de Hafiz Saeed n’y figure toujours pas. Ni d’ailleurs celui du dirigeant d’un autre groupe terroriste pakistanais de triste réputation, la Jaish-e-Mohammed (JeM**) de Masood Azhar***.
*Ou plus officiellement le Dialogue de sécurité quadrilatéral, avec l’Australie, les États-Unis et le Japon.
Rappelons enfin que le 26 septembre dernier, l’Inde et ses trois autres partenaires du Quad* dénonçaient fermement le « terrorisme transfrontalier » – dans une référence subliminale au Pakistan -, l’utilisation de supplétifs terroristes et insistaient sur la nécessité de couper le soutien logistique, financier et militaire aux groupes terroristes quels qu’ils soient. La veille, la politique pakistanaise actuelle en matière de lutte anti-terroriste avait du reste été évoquée par la vice-présidente américaine Kamala Harris lors de son entretien avec le Premier ministre indien Narendra Modi. Les délégations indienne et américaine se rejoignaient sur le fait que les responsables des attentats de Bombay devaient être traduits en justice. Un constat tout autant qu’un souhait légitime. Treize longues années après les faits, ce ne serait effectivement pas trop tôt. Mais cela interviendra-t-il seulement un jour ? Il est permis d’en douter.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.