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Actant leurs divergences, Joe Biden et Xi Jinping s’engagent à "travailler ensemble pour la paix"

Le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping lors de leur rencontre virtuelle, le 15 novembre 2021. (Source : Lesechos)
Le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping lors de leur rencontre virtuelle, le 15 novembre 2021. (Source : Lesechos)
Ce lundi 15 novembre, le président américain Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping se sont parlé pendant plus de trois heures en visioconférence. Après deux coups de fil en février et en octobre, c’est la première fois qu’ils se parlaient « face à face », même virtuellement depuis l’arrivée du démocrate à la Maison Blanche en janvier dernier. Résultat de l’entretien : il ne faudrait pas que la compétition stratégique engendre une guerre totale.
« Il me semble que notre responsabilité en tant que dirigeants de la Chine et des États-Unis est de garantir que la concurrence entre nos deux pays ne doit pas dégénérer en un conflit, qu’il soit intentionnel ou non intentionnel, a lancé Joe Biden. Il ne s’agit que d’une compétition, rien d’autre. »
Qualifiant Joe Biden de « vieil ami », Xi Jinping a rétorqué que la Chine et les États-Unis devaient dorénavant approfondir leur communication et leur coopération pour résoudre ensemble les nombreux défis auxquels ils sont confrontés. « Nos pays sont les deux plus grandes économies de la planète et tous les deux sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. La Chine et les États-Unis ont besoin d’approfondir leur communication et leur coopération », a-t-il précisé, reprenant ainsi presque mot pour mot ce que venait de lui dire Joe Biden. Ce dernier a néanmoins promis de se saisir avec détermination des sujets d’inquiétude, y compris les droits humains et d’autres questions dans la région Indo-Pacifique. « Vous et moi n’avons jamais été aussi francs l’un envers l’autre, » a ainsi ponctué le président américain.
Cet entretien, organisé à la demande de Joe Biden, a commencé à 19h46 lundi heure de Washington, soit en début de matinée mardi à Pékin. Après environ deux heures d’entretien, Biden et Xi se sont accordés une pause de quinze minutes pour reprendre ensuite leur dialogue. Lorsque Xi Jinping est apparu sur l’écran géant installé dans la salle de conférence de la Maison Blanche, Joe Biden a immédiatement esquissé un large sourire. Cet entretien bilatéral était le troisième organisé depuis l’arrivée du démocrate à la Maison Blanche en janvier dernier, mais aussi le plus long et de loin le plus approfondi.
La Maison Blanche a toutefois refusé de répondre aux questions des journalistes sur le fait de savoir si les États-Unis enverraient ou non des responsables politiques à Pékin pour les Jeux Olympiques d’hiver qui doivent se tenir en février. Des activistes et des élus au Congrès américain exhortent l’administration Biden à boycotter les Jeux.

« Ligne rouge ultime pour la Chine »

« Les deux parties tentent de réussir à atteindre les objectifs définis lors de cette conversation qui sont en priorité de retrouver les fondements de la stabilité dans les relations sino-américaines, a estimé Scott Kennedy, expert de la Chine au Center for Strategic and International Studies (CSIS) basé à Washington, cité par l’agence Reuters. La question posée est de savoir s’ils parviendront à un accord sur un sujet ou un autre, ou au moins de tomber d’accord sur le fait de ne pas être d’accord et d’éviter ainsi l’escalade. »
Même interprétation à Pékin. « Nous espérons que les États-Unis et la Chine sauront se mettre d’accord, l’un et l’autre à mi-chemin afin de renforcer le dialogue et la coopération, afin de parvenir à gérer de façon efficace les sujets sensibles et aussi à explorer les voies menant à un respect mutuel et à une coexistence pacifique », a indiqué Zhao Lijian, l’un des porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, lors du point de presse habituel ce lundi. Le même jour, le Global Times, quotidien anglophone officiel du Parti, a qualifié Taïwan de « ligne rouge ultime pour la Chine ».
« Il y a là une opportunité pour le président Biden de montrer une attitude dure comme l’acier, de montrer la puissance de l’Amérique, de dire clairement que nous allons nous tenir du côté de nos alliés et que nous n’allons pas permettre à la Chine de poursuivre sa conduite néfaste », a déclaré pour sa part le sénateur Bill Hagerty, cité par Reuters. L’élu républicain a été l’ambassadeur des États-Unis au Japon pendant le mandat de Donald Trump.
À propos de Taïwan, Xi Jinping a été on ne peut plus clair. Encourager l’indépendance de « l’île rebelle » revient à « jouer avec le feu », a-t-il averti, cité par la BBC. Le président chinois, a glosé le même Global Times, sera intraitable pour s’opposer aux « tentatives répétées des autorités taïwanaises de rechercher le soutien des États-Unis pour rechercher l’indépendance de Taïwan. Ces manœuvres sont extrêmement dangereuses. C’est comme jouer avec le feu. Quiconque joue avec le feu sera lui-même brûlé. »
La Maison Blanche a toutefois affirmé que le président américain « s’oppose fermement à tous les efforts unilatéraux visant à changer le statu quo ou à saboter la paix et la stabilité des deux côtés du détroit de Taïwan ».

« Jamais éloignés l’un de l’autre »

Taïwan est le sujet le plus sensible entre les États-Unis et la Chine. Washington s’est sensiblement rapproché de Taipei depuis 2020, avec une série de voyages et de contacts semi-officiels de responsables américains avec les autorités taïwanaises. La présidente Tsai Ing-wen a elle-même reconnu la semaine dernière la présence dans l’île de soldats américains depuis plus d’an an, avec pour mission d’entraîner l’armée taïwanaise au combat.
Xi Jinping a plusieurs fois annoncé que la réunification de Taïwan au continent chinois était inéluctable, menaçant d’user de la force si nécessaire. L’armée chinoise a quant a elle multiplié les opérations d’intimidation envers l’île, avec un record de plusieurs centaines d’intrusions d’avions de combat chinois dans la Zone d’identification de défense aérienne de Taiwan ces dernières semaines.
Les menaces chinoises sont telles qu’elles ont fait surgir le spectre d’une guerre entre la Chine et les États-Unis, Pékin étant toutefois plus isolé que jamais sur cette question. Le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et même l’Inde n’ont pas caché ces derniers mois qu’ils se rangeraient aux côtés des Etats-Unis en cas de conflit armé. Pourtant, Joe Biden a dit à son interlocuteur chinois que les deux hommes « ont toujours communiqué de façon honnête et franche. Nous ne nous sommes jamais éloignés l’un de l’autre en nous demandant que ce l’autre pouvait penser. »
« L’humanité vit dans un village global et est confrontée à de nombreux défis. La Chine et les Etats-Unis ont besoin d’approfondie leurs échanges et leur coopération », a répété le président chinois. Mais Xi Jinping a aussi tancé Joe Biden sur le front de la guerre technologique. Selon ses propos cités par Reuters, les États-Unis devraient cesser « d’abuser du concept de sécurité nationale pour s’en prendre aux entreprises chinoises ».

Un certain degré d’apaisement

Les deux hommes ont également abordé la grave question du changement climatique, deux jours après que la Chine et les Etats-Unis ont, à la surprise générale, annoncé dans une déclaration commune vouloir travailler ensemble sur ce sujet, alors que la COP26 terminait ses travaux à Glasgow. Joe Biden a aussi exprimé ses « préoccupations à propos des pratiques [de la Chine] au Xinjiang, au Tibet et à Hong Kong et des droits humains en général ». « Ce n’est jamais, jamais une bonne idée de parier contre le peuple américain », a-t-il par ailleurs conclu.
Xi Jinping n’a pas quitté la Chine depuis presque deux ans, soit depuis le début de la pandémie de Covid-19. Mais au-delà des restrictions sanitaires et de la quasi fermeture des frontières chinoises au monde extérieur, certains observateurs y voient surtout sa crainte d’un coup d’État visant à l’éliminer s’il devait quitter la Chine.
Ce sommet virtuel était très attendu par la communauté internationale. Si ses résultats apparaissent bien maigres au regard des enjeux sécuritaires, géostratégiques, technologiques et commerciaux, le fait même que Joe Biden et Xi Jinping se soient parlé pendant trois heures et demie illustre leur volonté commune de retrouver un certain degré d’apaisement dans les relations très tendues entre les deux superpuissances.
Est-ce là l’amorce d’une véritable détente entre Washington et Pékin après plusieurs années de tensions extrêmes faites d’hostilité et de menaces de guerre ouverte faisant penser à une guerre froide entre les deux pays ? Il est bien sûr beaucoup trop tôt pour se prononcer tant sont graves les désaccords entre Washington et Pékin.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).