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Climat: l’Asie-Pacifique face au défi de la COP26

Manifestation de jeunes militants pour le climat en Inde à l'occasion de "Fridays for future", le 1er octobre 2021. (Source : Eco-business)
Manifestation de jeunes militants pour le climat en Inde à l'occasion de "Fridays for future", le 1er octobre 2021. (Source : Eco-business)
L’Asie-Pacifique est en première ligne dans le rebond des émissions de gaz à effet de serre en 2021, comme le montrent les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). En cette période de relance de la croissance asiatique, la boulimie de consommation de charbon, de pétrole et de gaz ne touche pas que la Chine. Elle s’étend à l’Inde et à l’Asie du Sud-Est. En tendance, l’Asie-Pacifique représente désormais plus des trois quarts de la progression des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Face à cette réalité, les gouvernements asiatiques préparent avec une certaine fébrilité la COP26 qui va se tenir à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre. L’Asie de l’Est – Chine, Corée, Japon – s’est donné des ambitions plus fortes, tandis que le reste de l’Asie-Pacifique cherche à faire bonne figure à moindres frais. Globalement, on reste loin de l’objectif d’une limitation à 1,5 degrés de la hausse des températures fixé par les Nations Unies.
La COP26 va se dérouler à un moment où la demande mondiale d’énergie connaît une croissance sans précédent de 4,6 % pour l’année 2021, qui fait plus qu’annuler le recul de 4 % provoqué par la pandémie en 2020. Les émissions de CO2 devraient terminer l’année 2021 presque au niveau de 2019 (-1 %). Un rebond qui renforce les doutes sur la capacité des États à tenir leurs engagements à long terme pour une neutralité carbone. L’Asie est au cœur de cette explosion de la demande mondiale.

L’Agence internationale de l’énergie tire la sonnette d’alarme

« Le rebond économique qui succède à la pandémie nous place dans une situation qui est tout sauf soutenable en matière d’émission de CO2 », déclare le directeur exécutif de l’AIE au moment de la présentation des prévisions de l’Agence pour l’année 2021.
L’Asie figure en toute première place dans les analyses de l’AIE. Alors que la demande d’énergies primaires se situera fin 2021 à 0,5 % au-dessus de 2019 à l’échelle mondiale, celle de la Chine bondit de 8 % tandis que celles de l’Inde et de l’Asean progressent de 2 %. Cette demande en Europe et aux États-Unis reste pour sa part 3 à 4 % en dessous du niveau de 2019.
L’Asie est à l’origine du rebond de la demande de charbon (+4,5 %, soit 640 millions de tonnes d’émissions de CO2 supplémentaires). La Chine représente à elle seule 55 % de cette progression, voire davantage si l’on en juge par les mesures prises récemment par Pékin afin de lutter contre les pénuries d’électricité – réouverture de 60 mines de charbon, progression de 75 % des importations sur le seul mois de septembre. La demande indienne de charbon devrait également progresser de 9 % cette année.
Les émissions de CO2 chinoises d’origine énergétique pourraient se situer en 2021 à 600 millions de tonnes au-dessus du niveau de 2019, une progression équivalente à deux fois le total des émissions d’un pays comme la France. En Inde, la progression de la production d’électricité à base de charbon sera trois fois supérieure à celle liée aux énergies renouvelables. La seule bonne nouvelle de ce tableau déprimant est la forte poussée des énergies renouvelables dans la production d’électricité, qui atteint 15 % sur deux ans, portant la part des énergies renouvelables à 30 % de la production électrique mondiale (contre 27 % en 2019). La Chine représente à elle seule la moitié de cette progression.

L’Asie de l’Est se mobilise

Le plus important reste les deux annonces successives d’une dimension primordiale faites cette année par Xi Jinping : l’engagement d’atteindre la neutralité carbone en 2060, et l’arrêt du financement par la Chine des centrales à charbon dans le reste du monde. Les engagements chinois ne constituent pas un simple exercice de communication. L’ensemble des administrations du pays sont mobilisées pour résoudre l’équation extrêmement difficile de la neutralité carbone, et franchir les deux étapes du « 30/60 » – avant 2030 pour inverser la courbe des émissions chinoises, 2060 pour atteindre la neutralité carbone. Le désordre actuel de la production électrique tient pour une part à la pandémie et à des chocs climatiques, mais repose aussi largement sur les limites de consommation de CO2 et d’intensité énergétique fixées pour cette année dans le cadre du 14ème plan quinquennal, limites qui n’ont pas été levées malgré les très fortes tensions du moment. Reste pour le gouvernement à publier son plan de bataille des prochaines années pour inverser la courbe des émissions. Une publication qui pourrait intervenir avant ou pendant la COP26 si la Chine veut conforter une image d’acteur responsable et de leader dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Le Japon était jusqu’à présent considéré comme un pays peu ambitieux dans sa politique climatique. Ses émissions de gaz à effet de serre n’ont diminué que de 2,3 % entre 1990 et 2018, contre 21 % pour l’Union européenne, bien que la croissance japonaise sur longue durée ait été la plus faible du G7. Les engagements pris par le pays lors de la COP21 à Paris restaient modestes, avec une réduction programmée des émissions de 26 % en 2030 par rapport à 2013, qui était une année de forte consommation d’énergie dans le pays.
Depuis un an, le Japon change d’approche. Son Premier ministre annonce en octobre 2020 l’adoption d’un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. En mai 2021, le Japon annonce sa décision de cesser le financement de centrales à charbon dans le monde. En septembre dernier, le gouvernement nippon publie de nouveaux objectifs climatiques nettement plus ambitieux qui commencent à accréditer la perspective d’une neutralité carbone. La baisse des émissions est portée à -46 % d’ici 2030, avec une politique beaucoup plus volontariste en matière d’énergies renouvelables.
L’un des points faibles de ce nouveau plan concerne le rôle du charbon dans la production d’électricité, avec une part qui resterait à 19 % en 2030 (contre 26 % dans le plan précédent). Une proportion jugée encore beaucoup trop importante par les experts du climat, à un moment où l’Allemagne semble s’orienter vers une élimination du charbon dès 2030, au lieu de 2038.
La Corée du Sud de Moon Jae-In s’est également donné de nouvelles ambitions dans le cadre du « green new deal » élaboré pour relancer l’économie après la pandémie. Il était temps, car la Corée est longtemps restée à l’écart de la lutte contre le changement climatique. Les émissions de gaz à effet de serre du pays ont été multipliées par 2,4 entre 1990 et 2018, et ses émissions par habitant atteignent 14,6 tonnes équivalent carbone contre 9,7 tonnes en Chine et un peu moins de 7 tonnes en France.
Les engagements pris par la Corée lors de la COP21 à Paris étaient très modestes pour un pays déjà développé. S’alignant sur les pays en développement, Séoul ne prenait pas d’engagements en niveau absolu d’émissions, mais simplement en inflexion des tendances antérieures, ce qui n’empêchait pas une poursuite de la progression de ses émissions.
Le changement de la politique climat du pays est presque parallèle à celui du Japon, comme si les deux pays étaient lancés dans une compétition d’image. Moon Jae-In s’engage sur l’objectif de la neutralité carbone en 2050 lors du sommet des Nations Unies d’octobre 2020. Il brûle la politesse à son homologue japonais en annonçant dès avril 2021, lors du sommet pour le climat organisé par Joe Biden, que la Corée renonçait à financer des centrales à charbon dans le monde. Le 8 octobre dernier le ministre sud-coréen de l’Énergie annonce la mise au point d’un nouvel objectif de réduction des émissions de CO2 de 40 % en 2030 par rapport à 2018, objectif qui devrait être confirmé lors de la COP26. Cette fois-ci, la Corée s’engage en faveur d’une réduction absolue des émissions à un niveau presque deux fois supérieur à ce qui résulte des politiques antérieures.
L’Asie de l’Est représente 32 % des émissions globales de gaz à effet de serre en 2018. D’une manière générale, elle affronte désormais la lutte contre le changement climatique avec un volontarisme nouveau qui devrait contribuer au succès de la COP26.

L’Asie du Sud-Est commence à se réveiller

Les pays de l’Asean étaient jusqu’à présent peu mobilisés dans la lutte contre les dérèglements du climat. Les émissions de gaz à effet de serre de la région ont été multipliées par 2,7 entre 1990 et 2018 et représentent 5,5 % du total mondial. Lors de la conférence de Paris en 2015, les membres de l’Asean ont pris des engagements modestes exprimés en valeur relative, qui ne se traduisaient pas par un retournement des courbes d’émission.
L’exemple le plus caricatural est celui du Vietnam qui a fait des hypothèses de croissance extrêmement optimistes en proposant une réduction de 8 % des émissions par rapport aux tendances antérieures. Selon les experts du Climate action tracker, cet engagement implique une nouvelle multiplication par 2,2 des émissions vietnamiennes entre 2010 et 2030. Pour mémoire, les émissions de gaz à effet de serre du Vietnam ont été multipliées par quatre entre 1990 et 2018 et celles de CO2 par quinze entre 1990 et 2020 en raison de l’industrialisation rapide du pays.
Le pays le plus développé de la région, Singapour, s’est lui aussi contenté de proposer une simple inflexion de courbe de ses émissions et s’est aligné sur la Chine pour envisager un pic d’émissions en 2030. Les émissions de GES singapouriennes ont été multipliées par 2,1 entre 1990 et 2018.
L’Indonésie, géant économique du Sud-Est asiatique, a été un peu plus créative en proposant un engagement différencié en fonction des financements que les pays développés seront en mesure de lui accorder : soit 29 % ou 41 % de réduction par rapport au scénario « business as usual ». Dans le meilleur des scénarios incluant des financements extérieurs à hauteur de 6 milliards de dollars par an, les émissions de GES indonésiennes progresseront encore de 44 % entre 2010 et 2030.
Le choc de la pandémie, les derniers rapports du GIEC et le sentiment d’urgence qui s’empare de la communauté internationale sont en train de faire bouger certains pays de l’Asean. En Indonésie, l’opinion publique se mobilise : selon un sondage récent, 97 % de la population urbaine estime que le changement climatique constitue une menace équivalente ou supérieure à celle de la pandémie. En mars 2021, le président Jokowi évoque la perspective d’une neutralité carbone pour l’Indonésie en 2070. Quelques mois plus tard, cette cible est ramenée à 2060 sur le modèle chinois. Mais la trajectoire pour 2030 n’a pas encore été modifiée, la place du charbon dans le mixte énergétique reste importante jusqu’en 2050 et les destructions de forêts orchestrées par le lobby de l’huile de palme ne ralentissent pas.
Quant à la Malaisie, son nouveau Premier ministre Ismail Sabri Yaacob a annoncé le 28 septembre dernier que le pays s’engagerait à son tour sur l’objectif d’une neutralité carbone à l’horizon 2050 et allait cesser la construction de nouvelles centrales à charbon – le combustible représente actuellement 50 % de la production d’électricité nationale. À l’horizon 2030, les engagements malaisiens restent fondés sur une diminution de 45 % des émissions par unité de PIB qui ne garantit pas un retournement de la courbe. La stratégie d’inversion des courbes reste donc à bâtir et doit faire l’objet d’un plan détaillé d’ici la fin 2022.
De son côté, Singapour reste obstinément moins ambitieux que ses voisins. La cité-État se contente d’annoncer une division par deux de ses émissions d’ici 2050 et une neutralité carbone dans la seconde moitié de ce siècle.
Ce sont à court terme les décisions prises par l’Asie de l’Est qui vont avoir l’impact le plus important sur le mixte énergétique en Asean. La Chine, la Corée du Sud et le Japon représentaient ces dernières années 95 % des financements internationaux pour les centrales à charbon dans le monde. L’annonce du moratoire chinois est particulièrement importante. Elle remet en question le financement de 18 nouvelles centrales à charbon au Vietnam, qui est forcé de revoir en urgence l’ensemble de sa politique énergétique.
Les entreprises chinoises étaient également très actives en Indonésie. Elles ont construit 41 % du parc installé de centrales à charbon, et sont présentes sur plus d’un quart des nouveaux projets. Si l’annonce de Xi Jinping s’applique aux projets déjà engagés – ce qui reste à confirmer -, l’impact pour l’Indonésie sera majeur. La compagnie nationale d’électricité PNL est déjà en train de revoir fortement à la hausse ses projets d’énergie renouvelable. Le Laos et le Cambodge sont, eux, presque entièrement dépendants de l’industrie chinoise pour la poursuite de leur programme de construction de centrales à charbon. Dans l’ensemble de l’Asean, d’intenses négociations avec la Chine vont avoir lieu pour trouver un nouveau point d’équilibre plus favorable aux énergies renouvelables.

L’Asie du Sud préserve ses marges de manœuvre pour le développement économique

Les cinq principaux pays de l’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Bangladesh, Népal et Sri Lanka) représentaient 8,7 % des émissions mondiales de GES en 2018, soit un peu plus que l’Union européenne. Composée de pays pauvres au stade initial du développement économique, avec une population en croissance encore rapide, cette sous-région place les enjeux du développement économique en toute première priorité.
L’Inde, particulièrement dévastée par la pandémie, a réagi en 2020 par un programme de relance massif faisant la part belle aux énergies fossiles avant de verdir ses projets d’investissements en 2021. Sa vision de la lutte contre le changement climatique repose sur deux axes. Le premier vise à souligner la responsabilité particulière des pays développés dans le financement des politiques climatiques, en rappelant que les émissions de GES par habitant du pays restent faibles (2,6 tonnes en 2018, soit le tiers de l’Union européenne et le septième des États-Unis) et que ses besoins de développement sont énormes. Le second consiste à affirmer le leadership international du pays à travers un programme ambitieux d’énergie solaire, incluant la création en 2015 avec la France de l’Alliance internationale pour le solaire.
Jugés « hautement insuffisants » par les experts du Climate action tracker, les engagements indiens pris lors de la COP21 en 2015 n’ont pas encore été révisés. Mais Narendra Modi soulignait lors du dernier sommet des Nations Unies en septembre son ambition de créer 450 gigawatts de nouvelles capacités électriques à base d’énergies renouvelables d’ici 2025. Ce qui revient à doubler le niveau d’ambition de l’Inde dans ce domaine. Elle n’est en revanche pas prête à s’engager sur une cible de neutralité carbone qui lui paraît incompatible avec les exigences de son développement économique.
Le Bangladesh, lui, améliore à la marge ses propositions de 2015 en août 2021. Sa logique est similaire à celle de l’Indonésie mais avec un niveau d’ambition faible qui, dans le meilleur scénario, conduit à plus que doubler le niveau des émissions du pays en 2030 par rapport à celui de 2012. Quant au Pakistan, il se montre plus ambitieux : sa nouvelle proposition pour la COP26 publiée le 12 octobre prévoit de porter à 60 % la part des énergies renouvelables dans le mixte énergétique et de mettre un terme à ses importations de charbon d’ici 2030.

L’Océanie se fait prier

L’Australie et la Nouvelle-Zélande font partie des pays dont le niveau d’émissions de GES par habitant est le plus élevé au monde, avec respectivement 23,5 et 19 tonnes. Leurs émissions ont par ailleurs poursuivi leur progression entre 1990 et 2018 : +30 % pour l’Australie et +20 % pour la Nouvelle-Zélande.
Le Premier ministre australien Scott Morrison traîne des pieds dès qu’on lui parle de changement climatique. Il a récemment déclaré que l’Australie continuerait à creuser pour extraire du charbon tant qu’il y en aura à vendre. Il n’a aucune envie de s’engager sur l’objectif d’une neutralité carbone à l’horizon 2050 qui tend à devenir la norme pour les pays développés. Scott Morrison doit toutefois composer avec une opinion publique de plus en plus inquiète et traumatisée par les méga-incendies que le pays subit depuis deux ans. Ayant accepté de participer à la COP26, il pourrait se voir contraint d’accepter du bout des lèvres cet objectif de neutralité carbone.
La Nouvelle-Zélande, elle, est politiquement plus correcte. Elle a adopté une loi prévoyant la neutralité carbone du pays à l’horizon 2050, mais avec un gros trou dans la raquette : les émissions de méthane liées à l’élevage de mouton, qui représentent 40 % des émissions totales du pays, sont traitées à part et ne donnent lieu qu’à un objectif de réduction de 24 % à 47 %. Par ailleurs, les engagements pris à l’horizon 2030 n’ont pas encore été améliorés. Ils prévoient facialement une réduction nette des émissions, mais avec un mode de calcul qui, selon les experts du Climate action tracker, permet en réalité une poursuite de leur hausse à hauteur de 4 % d’ici 2030.
Si l’Asie est dans l’ensemble en plein mouvement dans la bataille contre le changement climatique, l’évolution des politiques gouvernementales est inégale. Plus grave : elle reste clairement insuffisante pour contenir la hausse des températures mondiales à 1,5 degrés ou 2 degrés d’ici la fin du siècle. Elle est également pleine d’incertitudes avec une bataille majeure à mener : affronter les lobbies du charbon, très puissants dans toute l’Asie-Pacifique, pour réussir une transition rapide vers les énergies renouvelables.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.