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Résilients face au Covid-19, les migrants asiatiques contribuent peu à l'intégration régionale en Asie

Distribution d'autotests de dépistage du Covid-19 dans les dortoirs pour travailleurs immigrés à Singapour, le 13 septembre 2021. (Source : Nation Thailand)
Distribution d'autotests de dépistage du Covid-19 dans les dortoirs pour travailleurs immigrés à Singapour, le 13 septembre 2021. (Source : Nation Thailand)
La pandémie de Covid-19 a eu un impact à la fois violent et de courte durée sur le sort des migrants asiatiques. Non seulement leurs transferts financiers vers les pays d’origine n’ont pas diminué, mais ils ont même légèrement progressé en 2020. Pour autant, les mouvements de main-d’œuvre intra-asiatiques restent limités et ne jouent pas du tout le même rôle qu’en Europe pour accompagner l’intégration régionale. Ce sont principalement les besoins des pays du Moyen-Orient et des Occidentaux qui déterminent la dynamique des migrations asiatiques.
*Tous les chiffres cités dans cet article sont ceux des Nations Unies et ne concernent que l’immigration officielle. Ce qui laisse de côté certains flux informels ou illégaux, parfois très importants pour certains pays comme la Birmanie.
L’Asie n’est pas une terre d’immigration. Les migrants représentent moins d’1 % de sa population. Hormis l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Kazakhstan et Singapour, où les immigrés dépassent 20 % du nombre des résidents (45 % pour Singapour), le reste de la région n’en accueille que très peu. Les immigrés représentent par exemple moins de 0,1 % de la population en Chine ou au Vietnam*. Les émigrants asiatiques sont plus nombreux – 91,5 millions en 2020 – et représentent à peu près un tiers des migrants dans le monde. Leur nombre reste cependant faible par rapport à la population du continent – moins de 2 %.

L’émigration asiatique a bien résisté au choc de la pandémie

L’impact de la crise sanitaire sur les migrants a été brutal. En particulier au Moyen Orient où les filets de sécurité sociale étaient inexistants. De nombreux migrants ont perdu leur emploi, et souvent leur logement. Ils ont été mis en quarantaine, parfois expulsés en masse, et sont devenus les premières victimes de la pandémie. D’après la Banque asiatique de développement, plus de 3 millions de migrants d’Asie ont dû retourner dans leur pays au printemps 2020, en particulier en Inde (1,6 millions), au Bangladesh, en Ouzbékistan, aux Philippines et en Indonésie.
Mais ce choc a été relativement court et les flux de migrants sont repartis à la hausse dès l’automne. Alors que la Banque mondiale prévoyait en mai 2020 une chute considérable des transferts des migrants dans le monde, de l’ordre de 20 %, elle constate un an plus tard qu’il n’en a rien été. Les transferts n’auront en définitive diminué que de 2 % à l’échelle mondiale, et auront même continué de progresser légèrement en Asie. L’une des explications de cette résilience tient à l’augmentation des transferts individuels réalisés par ceux qui ont conservé leur emploi pour venir en aide aux familles, confrontées aux conséquences dramatiques de la pandémie.
Globalement, la progression de l’immigration internationale asiatique a été freinée, mais pas interrompue par la pandémie. Exemple avec les Émirats arabes unis, dont 88 % de la population est immigrée : le pays du golfe Persique termine l’année 2020 avec un bilan migratoire en légère progression malgré le chaos qui avait marqué la période du premier confinement.

La dynamique des migrations en Asie tirée par l’émigration vers les pays riches

Au cours des vingt dernières années, l’émigration connaît la dynamique la plus forte. Elle est en lien avec les besoins des pays occidentaux et des États du Moyen-Orient, qui accueillent majoritairement des migrants asiatiques dont ils sont fortement dépendants.
L’axe Asie du Sud-Moyen Orient est le plus dynamique. Le nombre d’émigrés sud-asiatiques dans les pays du Golfe a grimpé de 6 à 20 millions entre 2000 et 2020. Pour faire simple, l’émigration asiatique se répartit entre quatre pôles – Asie, Moyen Orient, Amérique du Nord et Europe -, parmi lesquels le pôle asiatique reste minoritaire.

Les migrations internes marquées par les logiques de voisinage

L’immigration en Asie même est largement déterminée par des logiques de proximité et de liens historiques ou ethniques. Ainsi à Singapour, les deux tiers des migrants proviennent de l’un des trois pays composant l’équilibre ethnique de la cité-État : la Malaisie, la Chine et l’Inde. L’écrasante majorité, 95 %, des immigrés en Thaïlande vient de Birmanie, du Laos et du Cambodge. Pas moins de 90 % des immigrés en Inde sont des citoyens des pays voisins : le Bangladesh, le Pakistan, le Népal et le Sri Lanka. Même l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne s’écartent pas totalement de ce schéma : les immigrés asiatiques ne représentent que 40 % de l’immigration totale dans ces deux pays, mais en raison des liens historiques forts avec le monde anglo-Saxon, les immigrés en provenance du Royaume-Uni, des États-Unis ou d’Irlande représentent plus du quart de l’immigration totale.
En général, l’immigration intra-asiatique s’organise à l’intérieur de chaque sous-région – Asie de l’Est, Asie du Sud-Est et Asie du Sud. Les échanges entre ces différentes sous-régions sont assez limités. Cette immigration contribue peu au développement économique, sauf dans quelques pays d’Asie du Sud-Est comme la Malaisie, la Thaïlande ou Singapour. Un schéma qui tranche avec celui de l’Europe pour qui l’immigration est une composante très importante de l’emploi et de la diversité ethnique, avec une dimension intra-européenne forte – la moitié des immigrés proviennent d’autres pays du Vieux Continent – liée à la politique européenne de libre-circulation des personnes.
Les accords de libre-échange asiatiques n’incluent que très peu de dispositions favorables à la libre circulation des personnes. L’ASEAN a mené de longues négociations internes sur le sujet, avec des résultats très modestes. Pour prendre un exemple caricatural, les diplômes d’architecte nationaux sont désormais reconnus au sein de l’ASEAN, mais la pratique de la langue du pays reste une obligation.
À long terme, deux questions vont se poser. La montée en puissance de l’économie numérique peut être un facteur de diminution des besoins en emplois non qualifiés, dont les travailleurs immigrés sont une source importante. Par ailleurs, la politique d’immigration chinoise peut évoluer. La diminution du nombre d’actifs est une tendance lourde qui va s’accentuer dans les prochaines années en Chine. Retarder l’âge de départ en retraite et réduire les besoins d’emplois par la robotique et l’intelligence artificielle sont les deux axes principaux retenus par Pékin pour ajuster l’offre et la demande d’emploi. Le recours à la main-d’œuvre régionale, pourtant abondante et bon marché, n’est pas une option à ce stade. Elle pourrait cependant le devenir à terme. Si l’immigration chinoise s’ouvre, même modestement, l’impact sur les flux d’émigration intrarégionaux sera considérable.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.