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Crise immobilière en Chine : après Evergrande, la contagion s'étend

L'un des chantiers d'Evergrande à Shenzhen, le 26 septembre 2021. (Source : Daily Sabah)
L'un des chantiers d'Evergrande à Shenzhen, le 26 septembre 2021. (Source : Daily Sabah)
La vague n’en est peut-être qu’à ses débuts. Tandis que le numéro deux de l’immobilier chinois Evergrande est maintenant au bord du gouffre, ce que les autorités chinoises redoutaient est en train de se produire : d’autres promoteurs sont à leur tour contaminés.
Lundi 4 octobre, c’est le promoteur Fantasia, spécialisé dans l’immobilier de luxe, qui s’est retrouvé à son tour dans la tourmente après avoir manqué à ses obligations de paiement sur sa dette. Fantasia Holdings n’a pas pu régler les 205,7 millions de dollars (177 millions d’euros) dus à ses créanciers.
Les peurs de contagion à l’économie chinoise se renforcent depuis qu’Evergrande, le promoteur immobilier privé le plus endetté du pays, se débat avec une dette de quelque 260 milliards d’euros et se dirige tout droit vers une restructuration. « Evergrande a suspendu lundi [4 octobre] sa cotation boursière à Hong Kong dans l’attente d’une annonce de « transaction majeure », un média de Hong Kong évoquant un plan du promoteur hongkongais Hopson Development Holdings pour le rachat de 51 % de sa branche de services immobiliers pour plus de 40 milliards de dollars hongkongais (4,43 milliards d’euros).
À ce jour, les autorités chinoises n’ont fait aucun commentaire sur la faillite annoncée d’Evergrande. Un silence qui parle en lui-même du désarroi du régime confronté à un phénomène qui menace de devenir incontrôlé et qui pèse déjà sur la croissance économique du pays. De son côté, la banque centrale chinoise a néanmoins indiqué qu’elle était disposée à protéger les intérêts des petits investisseurs privés.

« Lignes rouges »

Certes Fantasia est un acteur du marché bien moins important qu’Evergrande mais ses difficultés mettent en lumière les inquiétudes croissantes des investisseurs concernant les informations financières des entreprises. Ce lundi, Fitch a dégradé la note de Fantasia de B à CCC-, une décision qui souligne la possibilité d’un défaut. Ce 4 octobre, les obligations libellées en dollars de la compagnie immobilière ont dévissé de 50 % à la bourse de Hong Kong.
Cet incident « jette un doute sur la transparence des informations financières de la société », a indiqué Fitch. Dans le jargon des agences de notation financière, le message est clair : Fantasia risque à son tour la faillite.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là puisque l’agence S&Standard and Poor’s (S&P) a dégradé la note d’un autre promoteur chinois, Sinic Holdings, estimant que sa « capacité de service de la dette est presque épuisée ». Sinic est une société holding d’investissement principalement engagée dans la promotion immobilière et la location de biens immobiliers. Elle n’a pas pu honorer les paiements d’intérêts, ce qui pourrait entraîner une « accélération des remboursements des autres obligations de Sinic », a précisé S&P. Zhang Yuanlin, le patron de Sinic, basé à Shanghai, avait fait les gros titres de la presse le mois dernier lorsqu’il avait perdu plus d’un milliard de dollars dans l’effondrement du marché dû aux inquiétudes entourant Evergrande.
Alarmées par la détérioration de la santé financière de l’immobilier, les autorités chinoises avaient l’an dernier déjà placé ce secteur sous haute surveillance. L’an passé, les régulateurs chinois ont imposé « trois lignes rouges », des ratios prudentiels qui visent à réduire leur recours à l’emprunt.

Pékin ne va pas rester les bras croisés

L’affaire devient donc très grave. Pourquoi ? Evergrande ne peut plus compter sur l’argent frais de futurs propriétaires pour financer les appartements déjà en construction. Dans le même temps, il doit payer les chantiers pour achever 1,4 million de logements. Et le piège se referme.
« En voyant que la dette était beaucoup trop importante, les agences de notation ont fortement dégradé sa notation, ce qui fait qu’il est devenu très compliqué de convaincre les banques de prêter de l’argent », explique Mary-Françoise Renard, professeure à l’université de Clermont-Auvergne et économiste spécialiste de la Chine, citée par le journal 20 minutes.
« Si Evergrande fait faillite, il y a deux risques principaux dans le pays », estime Jean-François Dufour, directeur du cabinet de conseil DCA Chine-Analyse. D’abord, le risque économique. Les banques chinoises verraient que l’État ne souhaite plus intervenir en dernier recours et pourraient décider de durcir l’accès au crédit, ce qui conduirait à un fort ralentissement de l’économie. Ensuite, le risque social : « Si demain, des personnes qui ont tout investi se retrouvent à la rue, elles pourraient vouloir remettre en cause le système », souligne Jean-François Dufour. Or des millions de propriétaires chinois ont investi dans l’entreprise. Et c’est bien là ce que redoute le plus le régime chinois.
Pour ces raisons, les spécialistes interrogés pensent que Pékin ne va pas rester les bras croisés. « La Chine va probablement mettre Evergrande sous tutelle de l’État, avec à la clé une vente des actifs et des reprises des programmes immobiliers par d’autres sociétés. À l’arrivée, ce sont les banques chinoises qui vont supporter le coût de cette dépréciation », poursuit Jean-François Dufour.

Montagnes de la dette

Cette spirale infernale cache en réalité un problème autrement plus gigantesque : la dette publique et privée chinoise est colossale. La bulle n’a cessé de gonfler depuis une dizaine d’années. Elle est alimentée par la spéculation qui, si elle explose, provoquera une déflagration énorme.
Selon des analystes de Goldman Sachs, le niveau de l’endettement des gouvernements locaux, que l’administration du président Xi Jinping s’efforce de dissimuler, s’élève à la somme astronomique de 8 200 milliards de dollars. Et ce chiffre est certainement très en-dessous de la réalité.
Il y a dix mois, selon ces mêmes analystes, les investissements « toxiques » des gouvernements locaux représentaient à eux seuls 53 000 milliards de yuans (6 800 milliards d’euros), à comparer à 16 000 milliards de yuans (2 080 milliards d’euros) en 2013, une somme qui représente maintenant 52 % du PIB chinois. Le seuil d’alerte est donc déjà très largement dépassé. En d’autres termes, bien que gigantesques, les 300 milliards de dollars de la dette d’Evergrande ne sont rien comparés aux montagnes de la dette du pays dans son ensemble, qui donne le tournis.
Ce risque systémique en vient dorénavant à entamer la confiance des milieux internationaux et à peser sur la croissance chinoise. Or, celle-ci montre depuis deux ans des signes inquiétants d’essoufflement. Après trois décennies de croissance à deux chiffres, celle de 2021 devrait être inférieure à 6 %.
La bulle immobilière chinoise ne date pas d’hier. L’immobilier et la construction représentaient déjà environ 15 % du PIB chinois en 2017. L’année d’avant, Wang Jianlin, patron du conglomérat immobilier Wanda, avait été l’un des premiers lanceurs d’alerte lorsqu’il avait dit sa « profonde inquiétude » envers un marché devenu « incontrôlable » face à l’appétit vorace des épargnants pour la pierre, plus rémunératrice que la Bourse et les dépôts bancaires. « Je ne vois pas de bonne solution, avait-il lâché. Le gouvernement a mis en place toutes sortes de mesures, limitant les achats et le crédit, mais rien n’a fonctionné. » La bulle et la spéculation effrénée sont-elles devenues une bombe à retardement pour la Chine et, par contagion, pour le monde ?
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).