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Birmanie : le Covid-19, aubaine pour la junte ? Une campagne de désinformation bien orchestrée

Un homme assis sur des bonbonnes d'oxygène vides dans l'attente de les remplir devant une usine à Mandalay, le 13 juillet 2021. (Source : Wowkeren)
Un homme assis sur des bonbonnes d'oxygène vides dans l'attente de les remplir devant une usine à Mandalay, le 13 juillet 2021. (Source : Wowkeren)
Depuis plusieurs semaines circulent à bas bruit des « informations » sur les effets politiques de la troisième vague de la pandémie de Covid-19 en Birmanie, qui se manifeste de plus en plus cruellement depuis la fin juin. Ces effets politiques seraient, selon les auteurs et les propagateurs de ces rumeurs, un renforcement quasi automatique de l’influence de l’administration militaire (State Administration Council ou SAC), mise en place depuis le coup d’État du 1er février.

Une dépêche de l’AFP fabriquée par les réseaux d’influence de la junte ?

Le 26 juillet était publié dans un journal français ce qui était présenté comme un extrait d’une dépêche de l’Agence France-Presse, sans date ni lieu d’émission :
« Alors que le variant delta fait des ravages en Birmanie, la junte militaire au pouvoir instrumentalise la crise sanitaire pour asseoir sa légitimité.
Seuls les hôpitaux militaires disposent de bouteilles d’oxygène et continuent d’être en mesure d’apporter des soins aux malades. Ce qui permet aux généraux de se présenter comme des bienfaiteurs. » (AFP)
Les clients de l’agence, selon les conditions de vente des services de l’agence, ne sont pas censés tronquer des dépêches en faisant disparaitre la dateline. Des recherches approfondies menées à partir de ce jeudi 29 juillet au service central de documentation de l’AFP à Paris n’ont pas permis de trouver la trace dans une ou plusieurs dépêches émises en français et en anglais par l’agence depuis un mois des phrases qui lui sont attribuées dans le texte ci-dessus.
Des vérifications sont en cours auprès des deux responsables du bureau de l’AFP à Rangoun, qui ont été transplantés en Thaïlande. Leur réponse n’est pas connue au moment du bouclage de cet article. Asialiyst ne manquera pas de faire connaitre à ses lecteurs les suites qui seront éventuellement données à cette possible affaire de « dépêche fantôme ».
En l’état, l’hypothèse de la diffusion d’une fausse dépêche de l’AFP ne peut être écartée. Ce ne serait pas la première fois que des lobbyistes en charge de l’amélioration de l’image de régimes particulièrement sanguinaires et éloignés de l’État de droit, recourent à ce genre de méthodes. C’est même une spécialité connue du conseiller en communication israélo-canadien recruté début février par les généraux putschistes, Ari Ben-Menashe, qui se présente toujours comme un ancien haut gradé du service de renseignement israélien, le Mossad.

Un faux parallèle avec la situation de 1988-89

Depuis le démarrage dans le pays de la troisième vague de Covid-19, nombre d’universitaires et autres « spécialistes » de la Birmanie se répandent dans les médias, les forums et autres sessions Zoom pour insister, comme ladite « dépêche AFP », sur « l’aubaine » que représente pour les généraux du SAC cette troisième vague.
Cette « analyse » repose sur un faux postulat : en 1988-1989, beaucoup de jeunes résistants au sanglant coup d’État de généraux s’étant baptisés SLORC (State Law and Order Restauration Council) ont quitté les villes et ont tenté de se former auprès des minorités armées aux techniques de guérilla. Il y eût parmi ces résistants plus de morts de malaria que de faits de guerre.
Selon une analogie entre malaria et Covid-19, le coronavirus emporterait surtout les civils et donc les opposants au putsch du 1er février. C’est ainsi que profiterait la pandémie aux généraux menés par Min Aung Hlaing. Cette comparaison n’a aucune justification médicale car l’exposition au virus n’est pas la même. En 1989, les jeunes urbains se sont montrés très vulnérables à la malaria dans la mesure où ils découvraient la jungle et ses maladies. À la différence des soldats aguerris de la Tatmadaw qui évoluaient dans ce milieu depuis longtemps en raison de la guerre avec les groupes ethniques armés. Cette analyse est communément admise. Or aujourd’hui, le Covid-19 frappe indistinctement civils et militaires.
Par Francis Christophe

Rectificatif

L’hypothèse d’une fausse dépêche de l’AFP évoquée ci-dessus s’avère infondée. Après que le service de documentation de l’AFP a effectué des recherches – sans résultat – sur une ou plusieurs dépêches de l’agence d’où auraient été extraites les phrases citées, la rédaction en chef de l’AFP a suggéré à Asialyst d’interroger le bureau de Bangkok (qui couvre la Birmanie). Celui-ci a répondu que l’AFP était absolument étrangère au texte visé.

La confusion provient de ce que l’article était illustré par une photo, dont l’AFP était – à juste titre – créditée. Or, dans la version électronique du journal du 26 juillet, la photo avait sauté, seul figurait (AFP), donnant l’illusion que les deux paragraphes précédant la « signature » de l’Agence, lui étaient attribuables, ce qui n’était pas le cas. Cette malencontreuse confusion ne retire rien à la réalité de la campagne de désinformation sur les conséquences de la pandémie de Covid-19, qui frappe très durement l’ensemble de la population birmane, militaires inclus.

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.