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"Un risque systémique" : Biden rallie l'OTAN contre la Chine et sa coopération avec la Russie

Le président américain Joe Biden lors du sommet de l'OtAN à Bruxelles, le 14 juin 2021. (Source : Euronews)
Le président américain Joe Biden lors du sommet de l'OtAN à Bruxelles, le 14 juin 2021. (Source : Euronews)
Le président américain Joe Biden est parvenu à rassembler à Bruxelles le soutien unanime des trente pays membres de l’OTAN pour qui la Chine est désormais « un risque systémique ». Un événement qui va sans doute laisser sa marque dans l’histoire au moment où Pékin est déjà attaqué de toutes parts pour sa politique répressive contre les Ouïghours au Xinjiang, la mise au pas à Hong Kong et ses intimidations contre Taïwan.
Comme une réponse de la Chine à ce rapprochement tangible entre les États-Unis et l’Union européenne sur le dossier chinois, vingt-huit avions de combat chinois sont entrés mardi 15 juin dans la Zone d’identification de défense aérienne (ZIDA) de l’ancienne Formose. Soit la plus grande incursion de chasseurs et de bombardiers de l’Armée populaire de libération (APL) jamais enregistrée.
Autre fait inédit, cette incursion a pris place à proximité immédiate des côtes est de Taïwan, là précisément où se trouvent plusieurs bases aériennes taïwanaises cruciales en cas d’invasion chinoise. Elle survient au lendemain du communiqué de l’OTAN qui décrit l’étendue du défi militaire que pose la Chine à l’Occident.

« Collusion » avec Taïwan

Selon le ministère taiwanais de la Défense, 14 chasseurs J-11, 4 bombardiers H6 pouvant transporter des bombes nucléaires ainsi que des avions de reconnaissance et de détection anti-sous-marine bardés de matériels électroniques sophistiqués de surveillance radar se sont donc aventurés dans cette zone d’identification. Les avions chinois ont également survolé des zones proches des îles Pratas, au sud de Taïwan qui les contrôle, de même que dans la zone sud de l’île. La dernière incursion aérienne importante remonte au 24 janvier dernier lorsque 15 avions chinois avaient pénétré à l’intérieur de la ZIDA.
Peu après cette dernière incursion, Pékin a expliqué son geste en déclarant que la Chine ne tolérerait pas l’intervention de forces étrangères à Taïwan et n’avait, dès lors, pas d’autre choix que de dénoncer le communiqué de l’OTAN comme « une collusion » avec Taïwan. Interrogé à l’occasion d’une conférence de presse sur la signification de ce qui a pris la forme de manœuvres d’intimidation des avions militaires chinois contre Taïwan, Ma Xiaoguang, le porte-parole du Bureau des affaires de Taïwan a déclaré que le gouvernement de Taipei était responsable des tensions actuelles.
Pékin, qui revendique une souveraineté sur Taïwan et menace de la rattacher au continent par la force si nécessaire, accuse régulièrement les autorités taïwanaises de rechercher le soutien de pays étrangers dans le but de déclarer une indépendance formelle. « Nous n’accepterons jamais toute tentative de rechercher l’indépendance ou toute intervention délibérée sur la question de Taïwan par des forces étrangères. Voici pourquoi nous devons apporter une réponse forte à ces actes de collusion », a ajouté Ma Xiaoguang.

« La Chine se rapproche de nous »

Dans leur communiqué, les trente pays de l’OTAN ont expliqué que l’arsenal nucléaire chinois était de nature « opaque » et que Pékin entretenait une coopération militaire avec la Russie. Le G7 avait également souligné dimanche dernier dans un communiqué « l’importance de la paix et de la stabilité à l’intérieur du détroit de Taïwan et la résolution pacifique des questions liées à ce détroit ». Jamais le G7 n’en avait jusque-là fait mention.
Se déclarant lui aussi inquiet des tensions actuelles dans le détroit de Taïwan qui sépare l’île du continent chinois, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a indiqué lundi 14 juin que l’alliance militaire de l’OTAN avait pour intention de renforcer sa position à l’égard de la Chine, tout en reconnaissant en même temps la nécessité de travailler avec Pékin sur des sujets d’une portée mondiale tels que le climat.
« À l’évidence, il existe des opportunités dans nos relations avec la Chine, a poursuivit le chef de l’OTAN à son arrivée à Bruxelles pour participer au sommet d’un jour dans la capitale belge. Ainsi par exemple, dans des domaines comme le contrôle des armements et les changements climatiques. Sur ces sujets, nous devons parler à la Chine. Mais au même moment, nous avons noté un renforcement militaire significatif de la Chine qui investit beaucoup d’argent dans de nouvelles capacités militaires, y compris ses capacités nucléaires et le développement de nouvelles armes. »
« Nous assistons à un comportement de la Chine plus agressif en mer de Chine du Sud. Nous savons également que la Chine ne partage pas nos valeurs, a poursuivi Jens Stoltenberg. La Chine se rapproche de nous. Nous la voyons dans le cyberespace, en Afrique, dans l’Arctique. Il nous faut répondre ensemble dans le cadre de l’Alliance. »
Pour mémoire, l’arsenal nucléaire chinois, bien que jamais précisé par Pékin, est évalué par les experts familiers du dossier à quelques centaines de têtes, soit très nettement moindre que celui de la Russie et des États-Unis.

Pas de face-à-face prévu avec Xi Jinping

Au début de la semaine, les dirigeants du G7 qui réunit les sept démocraties libérales les plus riches de la planète avaient enjoint la Chine de « respecter les droits humains et les libertés fondamentales », soulignant les violations des droits de l’homme contre la minorité ouïghoure au Xinjiang dans le nord-ouest de la Chine. Ils avaient également condamné la mise au pas à Hong Kong et les arrestations nombreuses de militants pro-démocratie dans l’ancienne colonie britannique. Pékin avait immédiatement répondu avec fureur à ces accusations et déclaré qu’elles relevaient de « mensonges ».
Ni Vladimir Poutine, ni Joe Biden ne semblent avoir prononcé le mot « Chine » pendant leur face-à-face tendu, qui a duré moins de temps prévu mercredi 16 juin. Mais ce non-dit n’occulte pas le fait que pour Washington, c’est la Chine qui pose un réel danger et non la Russie. Une des conséquences probables de cet unanimisme de l’OTAN et du G7 : la Chine va continuer son rapprochement avec la Russie – dont, pourtant, ni Moscou ni Pékin ne veulent vraiment. Le face-à-face Biden-Poutine va peut-être aussi contribuer à pousser les Russes dans les bras des Chinois.
Moscou et Pékin, qui font face l’un et l’autre à la confrontation avec l’Occident, devraient renforcer leur alliance, abondait mercredi le South China Morning Post. La Chine et la Russie « n’ont pas d’autre choix » que de se rapprocher, tout particulièrement au vu de l’attitude intransigeante prise par les dirigeants du G7 et de l’OTAN à l’égard de ces deux pays, ajoute le quotidien anglophone de Hong Kong. Jusqu’où ira cette alliance de circonstance ? Nul ne peut le dire. Mais elle pourrait s’étendre à d’autres pays tels que l’Iran, la Turquie, la Biélorussie, le Pakistan et d’autres encore.
Les observateurs ne manqueront pas de noter que s’il y a eu mercredi une entrevue entre Vladimir Poutine et Joe Biden à Genève, aucun face-à-face n’est prévu entre le président américain et son homologue chinois Xi Jinping. Une absence qui traduit l’état des tensions actuelles entre les États-Unis et la Chine.
Autre dossier brûlant bien que pas directement lié au G7 ou à l’OTAN, celui de l’influence exercée par la Chine à l’intérieur des Nations Unies. Là aussi, Washington a pris la parole. « Ils [les Chinois] exercent une influence énorme et d’une façon maligne… Une influence qui met en avant une approche autoritaire du multilatéralisme”, a déclaré l’ambassadrice américaine aux Nations Unies à New York, Linda Thomas-Greenfield, devant la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Représentants du Congrès américain. Nous devons combattre cela. »
« Ces quatre dernières années [qui coïncident avec le mandat de Donald Trump], les États-Unis n’ont pas tenu leurs engagements internationaux, cédant ainsi leur leadership historique [à la Chine], a pour sa part affirmé Gregory Meeks, le président démocrate de cette même commission. Avec pour conséquence que la Chine et d’autres pays qui n’adoptent pas nos valeurs ont pris le contrôle de postes clés » au sein des organisations internationales.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).