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Chine : des chercheurs du laboratoire de Wuhan malades du Covid-19 dès fin 2019 ?

L'Institut de virologie de Wuhan, le 3 février 2021 durant la visite des enquêteurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). (Source : Le Parisien)
L'Institut de virologie de Wuhan, le 3 février 2021 durant la visite des enquêteurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). (Source : Le Parisien)
Selon le Wall Street Journal, trois chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan (WIV) ont été hospitalisés en novembre 2019 avec « des symptômes évocateurs du Covid-19 ou d’une maladie saisonnière commune ». Le quotidien new-yorkais se fonde sur une note inédite des services secrets américains. Il n’en fallait pas plus pour relancer la thèse d’une fuite de laboratoire à l’automne 2019 pour expliquer le déclenchement d’une pandémie qui a fait officiellement 3,4 millions de morts, un bilan largement sous-estimé selon l’OMS. Pékin a immédiatement réagi, dénonçant des « théories complotistes ». Le président Joe Biden a, lui, donné 90 jours aux renseignements américains pour lui remettre un rapport sur les origines du Covid-19.
Depuis début mai, tous les éléments pointent vers une responsabilité de l’Institut de virologie de Wuhan, la ville chinois où a été pour la première fois détectée la présence de ce virus au début de l’hiver 2019. Les autorité chinoises ont eu beau nier farouchement toute fuite de laboratoire, la question est devenue de plus en plus brûlante. De nombreux scientifiques demandent avec insistance que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fasse tout ce qui possible pour établir la vérité.
Si une mission d’enquête de l’OMS, envoyée en Chine en février dernier, avait estimé que la piste d’un accident de laboratoire était « extrêmement improbable », un article du Wall Street Journal révèle que trois chercheurs du laboratoire P4 de Wuhan sont tombés malades et ont été hospitalisés en novembre 2019, soit plusieurs semaines avant le premier cas de Covid-19 officiellement déclaré par les autorités chinoises le 8 décembre. Un fait pour le moins troublant.
Le quotidien basé à New York se fonde sur un rapport des services de renseignement américains qui vient corroborer les informations d’une note du département d’État diffusée dans les derniers jours du mandat de Donald Trump en janvier 2020. Cette note indiquait déjà que plusieurs chercheurs du laboratoire étaient tombés malades à l’automne 2019 avec « des symptômes compatibles avec le Covid-19 et une maladie saisonnière courante ».

Souches de coronavirus prélevées en 2012

« Les États-Unis continuent d’exagérer la théorie des fuites en laboratoire, a réagi auprès du Wall Street Journal le ministère chinois des Affaires étrangères. Sont-ils réellement préoccupés par la recherche de l’origine de l’épidémie ou par une tentative de détourner l’attention ? »
L’administration de Joe Biden n’a de son côté pas souhaité commenter les informations du quotidien mais a assuré que « toutes les théories techniquement crédibles sur l’origine de la pandémie doivent être étudiées par l’Organisation mondiale de la santé et des experts internationaux ».
Mi-avril, les services de renseignement américains avaient déjà affirmé ne pas écarter l’hypothèse d’un accident de laboratoire, regrettant que les dirigeants chinois n’aient pas été « complètement francs et transparents » dans leur coopération avec l’OMS sur l’origine du virus.
Lundi 24 mai, la Chine a de nouveau démenti que trois chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan aient été atteints d’une maladie qui a nécessité des soins hospitaliers avant que le virus ne se répande dans le monde. « Le 23 mars [2020], l’Institut de virologie de Wuhan a publié un communiqué indiquant qu’avant le 30 décembre 2019, il n’avait pas été en contact avec le coronavirus. À cette date, aucun personnel ou étudiant-chercheur n’avait été contaminé » par le virus, a affirmé Zhao Lijian, l’un des porte-paroles du ministère chinois des Affaires étrangères, qualifiant les affirmations du Wall Street Journal de « totalement fausses ».
Des doutes sérieux sont désormais relancés sur la sincérité des autorités chinoises et pointent au contraire vers la responsabilité de l’Institut de virologie de Wuhan. Ceux-ci ont d’ailleurs conduit plusieurs chercheurs internationaux à écrire une lettre sur le sujet dans le prestigieux journal Science. Ils soulignent que cet institut a mis du temps à admettre qu’il travaillait bien sur des souches de coronavirus prélevés en 2012 dans une mine et responsables de la mort, par pneumonie, de plusieurs mineurs.
Encore plus perturbant, des rapports de master et une thèse soutenue au sein de l’institut, publiés par le compte Twitter anonyme The Seeker, indiquant qu’il y a « au moins un autre coronavirus de chauve-souris conservé au WIV [Wuhan Institute of Virology], et que ce coronavirus est potentiellement très intéressant », expliquait récemment Étienne Decroly, virologue spécialiste du VIH, directeur de recherche au CNRS et membre de la Société française de virologie, dans les colonnes du Monde.

« 80 000 échantillons »

Le SARS-CoV-2 est-il issu d’un laboratoire ? Étienne Decroly répondait mardi 25 mai sur France Cutlure : « Malheureusement, on ne peut pas répondre à cette question. En tout cas sur la base des indices scientifiques actuellement disponibles. Dans ce contexte-là, ça a comme conséquence qu’il y a plusieurs hypothèses qui sont sur la table. D’abord les hypothèses qu’on appelle la zoonose, c’est-à-dire que ce serait un virus qui existe dans les populations animales, les chauves-souris, qui serait passé à l’espèce humaine par ce qu’on appelle un hôte intermédiaire, c’est-à-dire un animal qui est au contact des populations humaines et qui a été infecté par le virus de chauve-souris. Les hypothèses d’accident de laboratoire ont longtemps été considérées comme plus complotistes. Ces hypothèses sont basées sur le fait que dans la ville où a émergé le SARS-CoV-2, se trouvent les plus gros laboratoires de virologie du monde travaillant sur les coronavirus. Et l’objectif de ces laboratoires est justement de comprendre comment ces virus sont capables de franchir la barrière d’espèces, donc de passer justement de leur réservoir naturel, qui sont des chauves-souris jusque dans l’espèce humaine. Comme cela a déjà été le cas pour différents coronavirus qui sont devenus infectieux chez l’homme. »
Pourquoi l’hypothèse d’un accident de laboratoire est-elle devenue plus crédible ? « Ce qu’il faut savoir, répond le chercheur, c’est que c’est un enjeu majeur d’essayer de comprendre comment ces virus sont capables d’atteindre les populations humaines, donc la recherche a été menée entre autres par une commission conjointe entre l’OMS et la Chine. Et cette mission conjointe a échantillonné massivement les espèces animales de manière à essayer de trouver les preuves d’une transmission qu’on appelle zoonotique. Donc ils cherchaient à trouver cette espèce, l’hôte intermédiaire, qui a permis au coronavirus d’entrer dans les populations humaines. Pour cela, ils ont échantillonné 80 000 échantillons, et malheureusement, dans ces 80 000 échantillons, aucun n’a comporté de trace d’un virus que l’on pourrait appeler le progéniteur, donc le parent direct du SARS-CoV-2. Et donc, ce résultat est assez important parce qu’on s’attendait qu’avec des échantillonnages aussi importants, on découvre l’origine du coronavirus. Dans ce contexte, évidemment, il faut reconsidérer les autres hypothèses et voir si éventuellement des hypothèses, qui étaient très improbables ou considérées comme très improbables au début de la pandémie, ne doivent pas être réévaluées avec plus d’attention. »
Mercredi 26 mai, le président américain Joe Biden a appelé les services de renseignement américains à « redoubler d’efforts » pour expliquer les origines du Covid-19. Le locataire de la Maison Blanche a exigé un rapport d’ici 90 jours. « Les États-Unis continueront à travailler avec leurs partenaires à travers le monde pour faire pression sur la Chine, afin qu’elle participe à une enquête internationale complète, transparente et fondée sur des preuves », a ajouté le président américain. Assaillie de questions lors du point de presse quotidien de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre, porte-parole de l’exécutif américain, est restée évasive, s’en tenant au rappel de l’échéance de 90 jours, souligne l’Agence France-Presse.
Le même jour mercredi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois Zhao Lijian a apporté une réponse cinglante à ces propos : « Certains aux États-Unis clament qu’ils veulent la vérité mais leur intention réelle est la manipulation politique. À chaque fois qu’ils soulèvent la question de la pandémie, ils calomnient et attaquent la Chine. Et ils ignorent complètement leurs propres erreurs pour maîtriser la pandémie, de même que les nombreuses questions sur [la possibilité que le virus trouve son origine] sur leur propre sol. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).