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Chine : Xi Jinping "président à vie" ? Peut-être, mais il devra négocier

China's President Xi Jinping attends a signing ceremony with the Dominican Republic's President Danilo Medina at the Great Hall of the People in Beijing on November 2, 2018. (Photo by THOMAS PETER / POOL / AFP)
Dans sa stratégie pour maintenir son emprise sur toute la Chine au-delà du XXème Congrès du Parti en 2022, Xi Jinping a-t-il les moyens de placer tous ses hommes aux postes-clés dans les provinces ? La réponse est non. Les alliés du président capables d’assumer ces responsabilités commencent à se faire rares. Xi est donc obligé de faire des compromis avec les autres factions à l’intérieur du Parti. À regarder les nominations, une sorte de « partage » de la Chine se dessine. Dernier exemple symbolique, la nomination de Wang Kai comme gouverneur du Henan.
*Clique qui comprend Dong Hong (董宏), ex-directeur du groupe d’inspection central, mis en examen en octobre 2020, Xiao Pei (肖培), secrétaire adjoint du Parti de la Commission disciplinaire Centrale, Li Xiaohong (黎晓宏), retraité depuis 2017, Zhao Fengtong (赵凤桐), retraité depuis 2018, et Lin Duo.
Le 3 avril dernier, Wang Kai (王凯), membre du comité permanent de la province du Jilin depuis 2017, était nommé à la tête du gouvernement du Henan en remplacement de Yin Hong (尹弘), l’un des « administrateurs » (大管家) de Han Zheng, qui, après avoir été en poste au Henan pendant deux ans, fut promu au poste de secrétaire provincial du Gansu. Notons aussi que Yin Hong, que certains voient comme un « cadre à deux faces », soutenant aussi Xi Jinping, a pris la place de Lin Duo (林铎), l’un des alliés importants de Wang Qishan en province. Le retrait de Lin, qui survient à peine plus d’un an après la « démission » de Jiang Chaoliang (蒋超良), alors secrétaire du Parti pour le Hubei, porte un coup dur à Wang et à sa « clique de Pékin »*. Xi Jinping est-il en train de se défaire progressivement de Wang Qishan en prévision de 2022 ? C’est une possibilité. Cependant, distinguons la perte d’influence de Wang Qishan – vieillissement de ses alliés oblige – et la détérioration de sa relation avec Xi. Cela dit, laisser Han Zheng gagner du terrain et promouvoir Wang Kai contredisent l’objectif principal de Xi qui est de remporter une bonne fois pour toutes la lutte des factions au sein du Parti. Que penser de ce dernier remaniement provincial ?

De retour au Henan

Né dans le Henan, Wang Kai commence sa carrière au sein de la Commission disciplinaire en 1991. Il restera en poste en tant que commis, directeur adjoint et directeur de section de salle de procès. En 2001, Wang, toujours en poste à la même Commission, devient également maire adjoint de la ville de Wuzhou dans le Guangxi. Il se retrouve alors dans l’équipe de Huang Fangfang (黄方方) maire jusqu’en 2002, puis sous la direction de Zhong Xiangting (钟想廷) maire de 2002 à 2006. Wang Kai est nommé au comité permanent de la ville en 2003 et promu secrétaire adjoint du Parti en 2006, comité alors dirigé par Ren Xiekang (任燮康). Deux ans plus tard, Wang devient cadre de rang préfectoral lorsqu’il est nommé maire de Wuzhou, poste qu’il conserve jusqu’en 2013.
En janvier 2013, Wang Kai est transféré à Yulin, toujours dans le Guangxi, en tant que nouveau maire et secrétaire adjoint comité local du Parti dirigé par Jin Xiangjun (金湘军), nommé maire adjoint de Tianjin en 2018. C’est durant cette période à Yulin, entre 2013 et 2017, que la carrière de Wang décolle : après trois ans en poste, il est promu au comité permanent de la région autonome. À l’époque, Peng Qinghua (彭清华) est chef de ce comité, en même temps que secrétaire du Parti du Sichuan et « secrétaire particulier » (« mishu ») de Song Ping (宋平), le mentor de Hu Jintao et Wen Jiabao. Cependant, Wang Kai ne reste en poste que 3 ou 4 mois avant d’être remplacé par Mo Gongming (莫恭明), aujourd’hui membre du comité municipal du Parti à Chongqing.
*En remplacement de Wang Junzheng (王君正), secrétaire du Parti des Bingtuan, les corps de construction et de production au Xinjiang.
En mars 2017, après avoir passé plus de 15 ans en poste au Guangxi, Wang se fait muter au Nord-Est et devient directeur du département de l’organisation de la province du Jilin, poste alors occupé par Lin Wu (林武), gouverneur du Shanxi depuis décembre 2019. Deux ans et trois mois plus tard, Wang se voit transférer à l’un des postes les plus convoités – et des plus difficiles – de la province : secrétaire du Parti pour la ville de Changchun*. Encore une fois, après juste un peu moins de deux ans, Wang Kai est transféré vers un nouveau poste, mais cette fois-ci au Sud en tant que secrétaire du groupe du Parti, et en avril, en tant que gouverneur du Henan.
*长春国际汽车城.
Le retour au Henan de Wang Kai n’est pas sans soulever plusieurs questions. Parmi elles, pourquoi a-t-on choisi Wang pour remplacer Yin Hong ? Mais surtout, que doit-on attendre de lui ? Plusieurs changements sont possibles, notamment économiques. Wang, qui fut stationné à Wuzhou au début de la « Révolution industrielle » de la ville, fit la promotion du développement des secteurs orientés vers l’exportation et de nouveaux parcs industriels dans la région. Résultat ? La production de Wuzhou atteint les 100 milliards de yuans en 2013. Plus tard en 2013, alors en poste à Yulin, Wang mis en place la politique « 8 entreprises majeures, 8 parcs [industriels] majeurs » (八大产业、八大园区) afin de créer une base manufacturière pour revigorer l’économie de la région – quelque peu court-circuitée par le Guangdong. Et même en poste à Changchun, Wang a continué de pousser pour redynamiser l’économie par le biais du plan de développement de « la ville internationale de l’automobile de Changchun » (2022-2035)*.
Ainsi, ce qui est attendu de Wang, c’est un peu ce qu’il a déjà accompli au Guangxi et à Changchun. À savoir, la gestion d’une période critique de transformation et de modernisation du secteur manufacturier. Cette conclusion ne répond qu’à une seule des questions de départ. Cela dit, la nomination de Wang repose, semble-t-il, plus son expertise que sur ses affiliations à telle faction. En fait, il est peu probable que Xi Jinping s’appuie sur Wang Kai en 2022 ou après le XXème Congrès du Parti.

Le compromis

La « promotion » de Yin Hong, à présent secrétaire du Parti au Gansu, est aussi significative en soi. Yin est pourtant connu pour son affiliation au vice-premier ministre Han Zheng ainsi qu’à la « bande de Shanghai ». Sa promotion démontre potentiellement deux choses : primo, les alliés compétents de Xi commencent à se faire rares et secundo, s’en remettre seulement à ses « alliés » n’est plus suffisant. Le président chinois doit alors négocier des compromis avec d’autres factions, dont les alliés de Han Zheng et de Li Hongzhong (李鸿忠), secrétaire du Parti à Tianjin et membre du Politburo. Car ne l’oublions pas, Li n’est pas un véritable allié de Xi, mais d’abord et avant tout un associé de « l’Ancien régime », le réseau de pouvoir de l’ex-président Jiang Zemin.
Alors que les factions s’organisent, il apparaît de plus en plus qu’elles se sont divisées le territoire provincial de manière intéressante : à l’Ouest, les alliés de Hu Jintao et de la Ligue des Jeunesses communistes (tuanpai), où Yin Hong a été envoyé ; plutôt au centre ou centre-ouest, les associés de la clique de Jiang Zemin au sens large (jiangpai) ; tandis que les alliés de Xi dominent la côte est et occupent une bonne partie des postes de premier plan au Nord et au Nord-est.
Mais alors, la promotion de Yin en est-elle vraiment une ? En fait, pas vraiment. Être à la tête du Gansu n’apporte que très peu de leviers à Han Zheng ainsi qu’à la clique de Jiang Zemin. Il faudrait alors considérer cette promotion plutôt comme celle de Han Zheng en 2017 : Xi lui a permis de devenir membre du comité permanent du Politburo, mais en contrepartie, Han devait laisser le siège de Shanghai à Li Qiang. En ce sens, envoyer Yin au Gansu laisse la place à d’autres, comme Wang Kai, et ce, même s’ils sont « neutres » par rapport aux factions. Aussi, transférer Yin alors que son supérieur, Wang Guosheng (王国生), secrétaire du Parti au Henan, aura 65 ans en mai et devra donc être remplacé, nous indique beaucoup de choses sur l’état des relations entre factions à l’intérieur du Parti : Xi ne veut simplement pas que Yin Hong puisse remplacer Wang Guosheng car il veut éviter que la clique de Jiang ne conserve le Henan, province plus importante sur le plan économique et social que le Gansu.
À l’évidence, la joute entre factions s’intensifie d’autant que plusieurs autres postes devront être pourvus dans les prochains mois. Parmi eux, celui de Liu Jiayi, secrétaire du Shandong, qui devra être remplacé durant ou juste après le mois d’août, et celui de Xu Dazhe, le secrétaire du Hunan. Celui-ci devra être remplacé un peu après le prochain plénum durant l’automne. Ce qui laisse penser qu’une lutte plus féroce pour le Shandong et le Hunan que pour le Gansu se prépare. Les prochains changements nous indiqueront aussi comment évolue la la composition du prochain Politburo et du nouveau Comité Central.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.