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Chine : comment Xi Jinping laisse la diplomatie chinoise se discréditer

Le président chinois Xi Jinping. (Source : FT)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : FT)
Alors que les tensions avec les États-Unis ont monté d’un cran après le fiasco de la rencontre d’Anchorage, alors que les « loups guerriers » ternissent chaque jour l’image de la Chine, que fait Xi Jinping ? Il s’affiche dans l’un de ses fiefs, le Fujian, préférant se promener dans son jardin pour afficher le calme dans la tempête. Ce qui ne règle pas les problèmes au ministère des Affaires étrangères.
*Avec son mari, aux 20 ans de la rétrocession de Macao en décembre 2019 ; en septembre 2020 à Pékin pour discuter du rôle des femmes dans la lutte contre la pauvreté ; en octobre 2020 à la remise de l’UNESCO « Prize for Girls and Women’s Education » ; en novembre 2020, avec Xi lors de sa rencontre avec le roi du Cambodge.
Quelques jours seulement après la rencontre entre les délégations chinoise et américaine en Alaska, rencontre pas vraiment fructueuse, Xi Jinping s’est rendu au Fujian du 22 au 25 mars pour une tournée d’inspection. Lui qui a passé près de 17 ans en poste dans cette province de la côte est, a fait une apparition sur un grand radeau avec sa femme Peng Liyuan, une première dame dont les apparitions restent rares*.
L’inspection du Fujian, et notamment de la ville de Fuzhou, s’est effectuée sous haute surveillance et, bien entendu, était orchestrée de A à Z. Depuis le temps, la mémoire exacte des fonctions occupées par Xi est devenue floue. Si bien que certains se sont amusés à faire comme s’ils ignoraient que le président chinois avait été doyen de l’université et collège professionnel Minjiang (闽江职业大学) de 1990 à 1996. Cependant, cette information était disponible depuis un bon moment déjà dans l’Annuaire du Fujian, notamment dans l’édition de 2002. Selon les données rendues publiques, ce groupe scolaire a été fondé en 1984 et son premier doyen fut le secrétaire du Parti de Fuzhou de l’époque, Yuan Qitong (袁启彤), le prédécesseur de Xi. En 2018, cette information avait aussi refait surface lorsque Xi avait envoyé une lettre de félicitation au collège, qui célébrait alors son 60ème anniversaire.
*Les critiques se font de plus en plus virulentes contre Pékin, qui ne cesse d’envoyer des avions de combat faire des incursions dans l’espace aérien de l’île.
Cette visite mise en scène et présentée comme terre à terre, contraste directement avec la multitude de problèmes que la Chine affronte ces dernières semaines : pressions internationales constantes sur la situation au Xinjiang, au Tibet, à Hong Kong ainsi qu’avec Taiwan* ; taux de chômage élevé et situation économique intérieure précaire – malgré la croissance quelque peu exagérée ; vives tensions internes au Parti en prévision du XXème Congrès de 2022 ; sans parler des multiples quasi incidents diplomatiques créés par la « diplomatie des loups guerriers », en France et en Italie par exemple.
*À ce titre, la conférence de presse du 29 mars n’a pas su convaincre les observateurs extérieures.
Cette période coïncide aussi avec les tournées d’inspection au Xinjiang de Wang Yang, le président de la Conférence consultative, du 15 au 17 mars, et de Zhao Kezhi, ministre de la Sécurité publique, du 19 au 24 mars. Wang est également le directeur du groupe central de coordination du travail sur le Xinjiang : il a notamment visité Urumqi, Hami et Changji. Zhao, lui, s’est aussi rendu à Urumqi, a « inspecté » les corps de production et de construction connus sous le nom chinois de « Bingtuan » (兵团), les centres de police, de détentions ou encore les bases d’entraînement. Ce genre de visites de hauts cadres – ainsi que leur fréquence – n’est pas coutumier. Cela laisse transparaître des inquiétudes ou bien démontre que le Parti met en œuvre en ce moment une opération majeure dans la région*. Il est également possible que Wang et Zhao soient venus préparer le terrain après que la Chine a invité les grandes marques à venir inspecter l’industrie du coton au Xinjiang.
Cela dit, pour le PCC, tout cela reste une question de perception. Et dans le domaine de la perception et de la communication, l’un des tracas majeurs les plus persistants se trouve être le ministère des Affaires étrangères, qui ne cesse de créer des problèmes au Parti.

Celui par qui le scandale arrive

*À vrai dire, Wang Yi semblait présent seulement à titre d’observateur, afin de garder un œil sur Yang qui est à l’origine un membre de la « Bande de Shanghai ».
À l’évidence, Yang Jiechi, conseiller d’État et directeur de la commission centrale des Affaires étrangères du Parti – que certains qualifient à tort « d’architecte de la politique étrangère chinoise », et le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, ne s’aiment pas. Une antipathie qui était palpable durant la rencontre d’Anchorage* avec la délégation américaine emmenée par Antony Blinken. Malgré cette hostilité, les problèmes liés au ministère vont bien au-delà des simples tensions internes au Parti. Ces dernières années, le ministère des Affaires étrangères est devenu l’un des sujets que Pékin tente d’éviter. Il nécessite une quantité importante de ressources, mais demeure incapable de produire des diplomates qui s’y connaissent bien en relations internationales, en tant que champ disciplinaire, ou encore en analyse de politique étrangère. Depuis un moment déjà, l’institution produit plutôt des « agents du Parti » qui ne sont pas vraiment des idéologues, ni des politiciens, ni des technocrates, et encore moins des administrateurs. De fait, contrairement aux autres cadres du Parti, les agents de ce ministère ne peuvent que très rarement être affecté à d’autres postes dans l’appareil du Parti-État.
Le second problème est de fond : crier à l’injustice est devenu la stratégie première de la diplomatie chinoise. Une stratégie fondée sur la « doctrine de la confiance en soi » (自信论), qui est censée défendre les intérêts de la Chine tout en mettant en avant le Parti. Or les commentaires des « loups guerriers » – à l’image des deux porte-parole du ministère, Zhao Lijian et Hua Chunying, sont ridiculisés à l’extérieur comme à l’intérieur de la Chine – sur les réseaux sociaux chinois par exemple. Si bien que ces commentaires à la fois « combatifs » et agressifs n’ont servi qu’à isoler Pékin au lieu de l’aider à se trouver de vrais alliés. La diplomatie chinoise ne parvient tout simplement pas à améliorer l’image du régime ni à rendre désirable la République populaire.
Le troisième problème est lié à la rotation du personnel. Rappelons que les hauts dirigeants sont en principe mis à la retraite à 68 ans révolus. Wang Yi a actuellement 67 ans, Cui Tiankai (崔天凯), l’actuel ambassadeur aux États-Unis, en a 68, Liu Xiaoming (刘晓明), ancien ambassadeur au Royaume-Uni, a pris sa retraite à 65 ans en janvier dernier. Certains pensent encore que Zheng Zeguang (郑泽光), ancien vice-ministre des Affaires étrangères, pourrait remplacer Cui à Washington, tandis que d’autres parient sur le Royaume-Uni. Pour l’instant, rien n’a été confirmé. Il en va de même pour Wang Yi. Cui et Wang doivent être remplacés dès que possible, mais la situation actuelle entre les États-Unis et la Chine empêche la rotation des effectifs. Ce qui témoigne d’un problème de taille au sommet du système diplomatique chinois, qu’en outre personne ne semble prêt à résoudre, pas même Xi. Il existe donc un certain laisser-aller dans les Affaires étrangères, si bien que chacun y va de son avis, de ses commentaires, sans toutefois formuler de message cohérent. On arrive à cerner ce que la Chine refuse, mais pas ce qu’elle veut.

Comment changer de cap ?

L’Occident semble lentement mais sûrement se constituer en front uni contre Pékin. Ce qui met en péril l’Accord sino-européen sur les investissements et tout nouvel accord commercial avec les États-Unis. Le Parti, lui, a décidé de s’aligner sur l’Iran, en signant un accord stratégique de 25 ans le 27 mars, et de se rapprocher de Moscou pour contourner les pressions économiques. Cette tentative de « non-alignement » ne saurait produire les effets escomptés pour au moins trois raisons : primo, la Russie et l’Iran sont au mieux des marchés secondaires pour la Chine ; secundo, l’un et l’autre deviendront probablement la cible de sanctions internationales dans le futur ; tertio, les deux États se sont avérés des alliés ou partenaires peu fiables par le passé.
*L’un des favoris de Yang Jiechi, Le passait déjà en 2018 pour le successeur de Wang Yi. **D’autres le voient remplacer Cui Tiankai aux États-Unis ou encore devenir le prochain ambassadeur au Royaume-Uni. ***Le Yucheng est quant à lui un « ami de la Russie ».
Est-il possible de changer de cap ? S’il le souhaite, Xi doit impérativement nommer un nouveau ministre. Trois noms circulent : Le Yucheng (乐玉成), Zheng Zeguang (郑泽光) et Ma Zhaoxu (马朝旭). Le Yucheng, vice-ministre de Wang Yi*, semble le favori pour lui succéder. Zheng Zeguang** est un diplomate spécialisé sur les États-Unis***, tandis que Ma Zhaoxu est connu comme le « professionnel » du débat.
Nommer un remplaçant permettrait au ministère d’être pris un peu plus au sérieux. Car en ce moment, tout le monde sait que Wang Yi est proche de la retraite, et que Yang Jiechi, lui aussi en toute fin de carrière, a été rappelé au Conseil d’État uniquement parce que certains émettaient des doutes sur les compétences de Wang Yi. En fait, en utilisant Yang et Wang en même temps, Xi s’est retrouvé coincé entre deux modèles de gouvernance de la diplomatie : celui de Qian Qichen (钱其琛) selon lequel la politique étrangère est le fait du Conseil d’État, d’une part et d’autre part, le modèle « ministériel » tel qu’il existe en ce moment. Pour Xi, le plus simple reste le modèle de Qian, modèle qu’il peut contrôler plus facilement (surtout depuis l’amendement à la loi organisationnelle – 组织法). Sauf que la réalité aujourd’hui est une « gouvernance multiple » dans la mesure où plusieurs hauts responsables se marchent sur les pieds, ce qui complique encore plus les choses pour Pékin.
Même réflexion sur le système des affaires de Macao et Hong Kong : Han Zheng aura 68 ans en avril 2022, Luo Huining en aura 68 en octobre 2022 et Xia Baolong, 69 lors du XXe Congrès à l’automne de cette même année. Or tous trois devront passer le test du « sept qui monte et huit qui descend » (qi shang, ba xia – 七上八下) avant ou durant le XXème Congrès : les dirigeants de 67 ans peuvent être promus, ceux de 68 partent à la retraite. Pour l’instant, le cap est mis sur la « continentalisation » de Hong Kong (la fin légalisée du principe « un pays, deux systèmes ») et sur la suppression des réseaux de Zeng Qinghong, l’ex-bras droit de l’ancien président Jiang Zemin, sans toutefois vraiment préparer la prochaine équipe. Cependant, on sait que Chen Dong (陈冬), directeur adjoint du Bureau de Liaison et allié du Fujian de Xi Jinping, jouera un rôle de premier plan dans un futur proche. Ainsi, l’avenir est incertain pour Han, Luo et Xia.

Restons calmes

Le 23 mars, Li Jun (李军), le directeur adjoint du bureau politique de la Commission militaire centrale, a annoncé que la parade militaire pour le centenaire du Parti communiste serait annulée. Cela dit, les quatre grandes parades militaires de ces dernières années – pour les 70 ans de la victoire contre les Japonais en 2015, pour les 90 ans de l’armée populaire en 2017, pour les 70 ans de la République populaire en 2019 et pour les 100 ans du Parti en 2021 – étaient prévues depuis 2015 déjà. Cette annulation de dernière minute a néanmoins plusieurs raisons parmi lesquelles trois principales : une parade de cette envergure pourrait poser problème à cause des variants du Covid-19 ; une parade militaire suivant le fiasco de la rencontre avec les Américains – lesquels venaient tout juste de voir leurs homologues japonais et sud-coréens – pourrait être perçue comme une provocation dans la région Asie-Pacifique ; les tensions à l’intérieur du Parti et le renforcement de la sécurité autour de Xi depuis le début de l’année démontrent un haut niveau de risques politiques, qui pourraient être exacerbés par une telle démonstration de force.
*不管风吹浪打,胜似闲庭信步.
Malgré ces multiples fronts ouverts et tous ces signes qui ne trompent pas, l’allure nonchalante de Xi Jinping au Fujian ne peut que surprendre. Elle peut cependant se comprendre comme une réponse aux pressions internationales. Xi semble ici s’inspirer de l’attitude de Mao lors de la rupture des relations sino-soviétiques. Le Grand Timonier l’avait ainsi déclaré : « Peu importe la façon dont le vent souffle ou les vagues se brisent, mieux vaut se promener dans le jardin. »* Et c’est exactement ce que Xi a fait. Il a voulu montrer à la population que malgré les sanctions et la pression extérieure, il demeure confiant et calme. Il n’empêche, pour la suite, il devra trouver une solution pour le ministère des Affaires étrangères et le système des affaires de Hong Kong. Car pour l’instant, ces deux secteurs du gouvernement sont en mode « pilote automatique ». L’énergie du pouvoir central demeure, elle, divisée entre la préparation du XXe Congrès et les luttes internes au Parti.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.