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Xinjiang : l’Occident sanctionne la Chine, le régime de Pékin isolé

L'union européenne a sanctionner la Chine pour la répression au Xinjiang, le 22 mars 2021. (Source : Challenges)
L'union européenne a sanctionner la Chine pour la répression au Xinjiang, le 22 mars 2021. (Source : Challenges)
Ce lundi 22 mars, l’Union européenne, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis ont simultanément adopté des sanctions contre des responsables chinois au Xinjiang pour dénoncer la politique de Pékin contre les Ouïghours. Une initiative coordonnée, la première du genre depuis l’investiture de Joe Biden le 20 janvier, et qui laisse le régime de Pékin plus isolé que jamais.
Première à ouvrir le bal, l’Union européenne a adopté les premières sanctions contre des responsables chinois depuis le massacre de la place Tiananmen, prenant pour cible quatre dirigeants du Parti et une entité chinoise tenus pour responsables d’avoir participé activement à la répression contre les Ouïghours. Les quatre responsables sont Zhu Hailun, un ancien secrétaire de la Commission des affaires politiques et légales du Xinjiang, Wang Junzheng, secrétaire du Parti communiste de la société de production et de la construction du Xinjiang et secrétaire adjoint de la Commission du Parti du Xinjiang, Wang Mingshan, un membre de la Commission permanente du Parti du Xinjiang et Chen Mingguo, directeur du Bureau de la sécurité publique du Xinjiang. L’entité visée est le Bureau de la Sécurité publique de la société de production et de construction du Xinjiang.
L’UE a déterminé que ces individus et cette entité sont « responsables de graves violations des droits de l’homme en Chine, en particulier des détentions arbitraires à grande échelle et des traitements dégradants infligés à des Ouïghours et d’autres minorités musulmanes » dans la région. Ces sanctions, qui prévoient un gel des avoirs et l’interdiction de voyage sur le sol européen, ont été adoptées par les ministres des Affaires étrangères des 27 pays membres de l’Union lors d’un Conseil des affaires étrangères à Bruxelles et immédiatement consignées dans une loi européenne. Le gouvernement chinois a répliqué dans la foulée avec l’annonce par le ministère des Affaires étrangères de sanctions contre dix personnalités européennes, y compris cinq membres du Parlement européen, dont l’eurodéputé Raphaël Glucksmann. Également visé par ces sanctions, l’anthropologue allemand Adrian Zenz. Ces personnalités et leur famille sont désormais interdites du territoire chinois, y compris Hong Kong et Macao. Visées aussi quatre entités européennes, dont la Fondation de l’Alliance des Démocraties au Danemark, un forum présidé par l’ancien chef de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen.
Pékin a dénoncé des actes « portant gravement atteinte à la souveraineté et aux intérêts de la Chine et des mensonges ainsi que de la désinformation ». Dans un éditorial au vitriol, le Global Times, le quotidien porte-voix du régime communiste, promet que la Chine répondra coup pour coup, tout en fustigeant les donneurs de leçons et « l’attitude condescendante de l’Europe, qui se considère comme un professeur des droits de l’homme ». « Le terme de « génocide » est une étiquette qui ne peut jamais être apposée à la Chine. En revanche, l’Allemagne, qui a initié les sanctions contre la Chine, a commis tant de méfaits qui constituent un génocide ! », souligne le quotidien anglophone chinois.
L’Union Européenne a ainsi emboîté le pas aux États-Unis qui, le 9 juillet 2020, avaient déjà infligé des sanctions à l’encontre de plusieurs dirigeants chinois, accusés d’être « en lien avec de graves atteintes aux droits humains » à l’encontre notamment de la minorité ouïghoure. Rappelons que l’ancien secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait par le passé comparé la situation au Xinjiang à l’Holocauste et parlé de « tâche du siècle ». Lundi, les Américains en ont remis une couche en étendant ces sanctions à deux nouveaux responsables qui font partie de la liste annoncée par les Européens.

Coordination américaine

Cette initiative coordonnée semble avoir été le fruit de contacts diplomatiques américains avec leurs alliés. Des responsables de haut rang de l’administration de Washington, cités par Reuters, ont expliqué qu’ils étaient en contact quotidien avec les gouvernements en Europe sur les sujets liés à la Chine. « En dépit d’une condamnation internationale croissante, [la Chine] continue de commettre un génocide et des crimes contre l’humanité au Xinjiang », a déclaré le secrétaire d’État américain Anthony Blinken à la veille d’entretiens prévus cette semaine avec des responsables de l’Union Européenne et de l’OTAN à Bruxelles.
Les ministres des Affaires étrangères du Royaume-Uni et du Canada ont diffusé une déclaration conjointe avec Anthony Blinken dans laquelle ils demandent tous les trois que Pékin mette un terme à ces « pratiques répressives » au Xinjiang. Séparément, les ministres des Affaires étrangères de l’Australie et de Nouvelle-Zélande ont exprimé leurs « graves inquiétudes suscitées par des informations crédibles concernant des violations graves des droits de l’homme contre l’ethnie ouïghoure et d’autres minorités au Xinjiang » et se sont félicités des mesures annoncées par l’Union européenne, le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis.
Alors qu’un député néerlandais a été sanctionné par Pékin, La Haye a convoqué l’ambassadeur de Chine aux Pays-Bas pour protester. « C’est terrible. Ça fait froid dans le dos de constater qu’un régime dictatorial peut s’en prendre ainsi à un parlementaire et à sa famille, a déclaré à l’AFP l’une des personnalités sanctionnées, le député belge Samuel Cogolati. Ces intimidations, ces menaces, ne nous arrêteront pas, bien au contraire ! Elles renforcent notre détermination à lutter pour la démocratie à Hong Kong, au Tibet ou au Xinjiang où on voit que les camps de concentration se développent pour enfermer les Ouïghours. […] Il est temps de briser un silence européen qui a trop duré, un silence qui est devenu complice avec le temps. »

Le Traité sino-européen sur les investissements menacé

Raphaël Glucksmann, qui s’est engagé dans la défense des Ouïghours, s’est pour sa part dit flatté par la décision des autorités chinoises. « J’apprends que je suis visé par les sanctions chinoises, banni du territoire chinois (ainsi que toute ma famille !) et interdit de tout contact avec les institutions officielles et entreprises chinoises pour ma défense du peuple Ouïghour : c’est ma légion d’honneur », a-t-il affirmé sur son compte Twitter.
L’une des conséquences probables de cette escalade et qui serait un autre coup dur pour Pékin serait la mort du Traité sur les investissements conclu le 30 décembre dernier après sept ans de difficiles négociations entre Pékin et Bruxelles. Le régime chinois y voyait justement un possible instrument pour paralyser le lien entre l’Union Européenne et les États-Unis. Pour entrer en vigueur, ce traité doit encore être voté au parlement européen et ratifié par les 27 pays membres de l’UE. Une perspective de plus en plus improbable.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).