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Changement climatique : où en est la Chine ?

Au bord du fleuve Yangzi à Wuhan. (Source : Smartcity Press)
Au bord du fleuve Yangzi à Wuhan. (Source : Smartcity Press)
Xi Jinping a fait sensation lors de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre dernier. La Chine, a-t-il annoncé, se fixe l’objectif d’une neutralité carbone en 2060, et d’un début de réduction des émissions avant 2030. Un engagement suivi par d’autres, plus précis, annoncés en décembre à l’occasion du cinquième anniversaire de la Convention de Paris sur le climat. Des annonces saluées par la communauté internationale car sans la Chine, qui représente aujourd’hui à elle seule 30 % des émissions mondiales de CO2, rien n’est vraiment possible en matière de lutte contre le changement climatique. Mais ces annonces ne constituent pas vraiment une révolution. Les émissions chinoises n’ont baissé que légèrement en 2020 malgré la crise économique générée par la pandémie, et elles devraient connaître un rebond marqué en 2021. Les engagements de la Chine restent flous sur la date effective du pic des émissions, et sur le reflux du charbon dans le mix énergétique chinois, tout en faisant l’impasse sur l’impact climat des « Nouvelles Routes de la Soie ».
La trajectoire de la Chine en matière de changement climatique peut se mesurer par l’évolution de sa part dans les émissions mondiales, les modifications de son mix énergétique qui détermine la majeure partie des émissions, et la progression de ses engagements internationaux.

La Chine passe de 10 à 30 % des émissions mondiales de CO2 en trente ans

Source : Rapport EDGAR 2020, centre de recherche conjoint de la Commission européenne.
Source : Rapport EDGAR 2020, centre de recherche conjoint de la Commission européenne.
*Les chiffres sur les émissions de CO2 sont privilégiés dans cet article car ce sont celles pour lesquelles les données sont actualisées le plus rapidement. A 73% des émissions globales de gaz à effet de serre, elles peuvent être considérées comme représentatives des tendances globales.
Quelle est la part de la Chine et de l’Asie dans les émissions mondiales de CO2 en 2019 ? Les émissions chinoises sont plus de deux fois supérieures aux émissions américaines et près de trois fois plus élevées que celles de l’Union européenne*. Globalement, l’Asie représente désormais plus de 50 % des émissions mondiales. 2019 n’a pas été une bonne année pour les émissions chinoises, qui ont encore progressé de 3,4 %, soit une différence supérieure à la totalité des émissions françaises la même année.
Malgré le choc de la pandémie, la part de la Chine dans les émissions mondiales va continuer à croître en 2020, car ses émissions se sont beaucoup moins réduites que la moyenne mondiale. Elles ont baissé de 1,4 % contre un recul mondial de 6,3 %, selon Carbon Monitor. Une différence qui reflète la meilleure résistance de l’économie chinoise face au choc sanitaire. Son fort rebond anticipé pour 2021 provoquera également un rebond des émissions de CO2, et la Chine pourrait représenter un tiers des émissions mondiales à la fin de l’année.
Source : Rapport EDGAR 2020, centre de recherche conjoint de la Commission européenne
Source : Rapport EDGAR 2020, centre de recherche conjoint de la Commission européenne
En 1990, le panorama des émissions était très différent. À l’époque, la Chine représentait à peine plus de 10 % des émissions mondiales, loin derrière les États-Unis et l’Europe. Les émissions de l’Inde étaient marginales, et globalement, l’Asie n’était responsable que de 26 % des émissions de CO2, contre 42 % pour l’Union européenne et les États-Unis. En trente ans, les émissions globales de CO2 ont progressé de près de 70 %, et celles de la Chine ont été multipliées par 4,8, avec un niveau d’émissions par habitant qui est désormais plus élevé en Chine (8,1 tonnes par habitant) qu’au sein de l’Union européenne (6,5 tonnes par habitant).

La politique chinoise contre le changement climatique se renforce depuis vingt ans

*L’électricité est une énergie dite « secondaire », qui correspond à environ la moitié de la demande de charbon en Chine.
L’évolution déprimante des émissions chinoises ne signifie pas que la Chine n’a rien fait. Elle est devenue le leader mondial des énergies renouvelables (en particulier éoliennes et panneaux solaires), de la voiture électrique et de l’énergie nucléaire. Elle a engagé une réforme de sa politique charbonnière qui est loin d’être suffisante, mais qui a tout de même permis une réduction progressive de la part du charbon dans la demande globale d’énergie primaire* du pays.
Source : Statista
Source : Statista
Reste que la Chine produit toujours la moitié du charbon mondial. Sa production charbonnière est de nouveau en hausse après un creux sur la période 2013-2016, et les investissements dans les nouvelles centrales à charbon ont repris un rythme soutenu.

Les engagements de la Chine pour le climat ont progressé à pas comptés

La Chine avait signé la convention cadre des Nations Unies pour le climat en 1992 et le protocole de Kyoto en 1997. Mais elles ne s’était pas fixée d’objectifs nationaux, la logique de ce protocole étant à l’époque de limiter les engagements contraignants aux seuls pays développés. Le 10ème plan quinquennal chinois (2001-2005) est le premier à mentionner le changement climatique, mais ses objectifs concrets portent surtout sur des questions environnementales (pollution de l’air et de l’eau). Le 11ème plan contient pour la première fois un objectif d’amélioration de l’efficacité énergétique (-20 % par unité de PIB), tandis que la Chine devient en 2007 le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre devant les États-Unis.
C’est à l’occasion de la convention de Copenhague en 2009 (la COP15) que la Chine annonce ses premiers objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qu’elle développe dans le 12ème plan quinquennal chinois (2011-2015). Elle prend des engagements plus ambitieux et plus détaillés lors de la convention de Paris en 2015 (la COP21), et fait des annonces nouvelles en septembre puis décembre 2020, qui seront sans doute confirmés lors de la COP26 qui se tiendra à Glasgow en novembre prochain. La comparaison entre les engagements successifs de la Chine en 2009, 2015 et 2020 montre davantage une évolution qu’une révolution dans les ambitions chinoises.
Engagements pris officiellement par le gouvernement chinois dans sa politique de lutte contre le changement climatique, de 2009 à 2020.
Engagements pris officiellement par le gouvernement chinois dans sa politique de lutte contre le changement climatique, de 2009 à 2020.
Les progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique entre 2005 et 2020 situent le nouvel objectif annoncé pour 2030 dans la continuité des efforts antérieurs, l’expression « plus de 65 % » laissant aux autorités chinoises une large marge de manœuvre.
Même constat pour la surface forestière. Les résultats importants affichés par la Chine en matière d’augmentation de son volume forestier rendent les nouveaux objectifs pour 2030 relativement faciles à atteindre.
L’ambition est en revanche beaucoup plus forte pour les énergies renouvelables. La capacité installée en la matière (solaire, éolien, hydraulique) a été multipliée par deux ente 2014 et 2019, atteignant 820 Gigawatts en 2019. Pour autant, la part des énergies renouvelables dans la demande globale d’énergies primaires du pays reste légèrement inférieure à 13 % en 2019. L’objectif consistant à porter cette part à 25 % en 2030 est clairement plus volontariste que celui sur l’efficacité énergétique ou sur la forêt. La progression actuelle de la part des énergies renouvelables dans la demande globale est de 0,6 % par an. Il faudrait pratiquement doubler ce rythme pour atteindre la cible de 25 % en 2030.
Enfin, sur le pic des émissions, la Chine aurait pu, selon les experts internationaux, annoncer un pic nettement plus tôt qu’en 2030 (par exemple, 2025). Ce qu’elle n’a pas fait pour le moment. Reste l’objectif d’une neutralité carbone pour 2060, qui impose une mobilisation accrue dès maintenant. C’est le détail des cibles retenues dans le 14ème plan quinquennal chinois pour la période 2021-2025 qui permettra de juger si la Chine se met en ligne avec cet objectif de long terme.

Décarboner les projets des « Nouvelles Routes de la Soie »

La Chine a aussi des efforts à faire pour que l’immense programme des « Nouvelles Routes de la Soie » (la Belt and Road Initiative ou BRI en anglais) soit compatible avec l’objectif d’une neutralité carbone. Actuellement, Pékin est impliqué dans la construction de 240 centrales au charbon à l’étranger, et 80 % des projets énergétiques financés par les banques de développement chinoises dans le monde depuis le début du siècle portent sur des énergies fossiles, contre seulement 3 % pour des projets éoliens ou solaires. La pandémie a considérablement freiné les programmes de la BRI, et le ministère chinois des Affaires étrangères a admis durant l’été 2020 que près de 20 % des projets antérieurs sont ralentis ou interrompus. Une bonne occasion pour devenir plus sélectif et introduire une vraie priorité climatique dans les ambitions internationales de la Chine.
Globalement, l’annonce de Xi Jinping devant les Nations Unies, l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche et le Green Deal européen créent les bases d’une nouvelle dynamique en faveur de la lutte contre le changement climatique. Mais il va falloir convaincre Xi Jinping de mettre les bouchées doubles pour que le pic des émissions chinoises se concrétise le plus rapidement possible, et pour rendre crédible la trajectoire de la Chine vers la neutralité carbone.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.