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La crise entre la Chine et l'Australie a-t-elle valeur d'exemple pour le reste du monde ?

Le Premier ministre australien Scott Morrison. (Source : Asia Nikkei)
Le Premier ministre australien Scott Morrison. (Source : Asia Nikkei)
Les relations entre la Chine et l’Australie, mauvaises depuis que Canberra a demandé une enquête internationale sur l’origine du coronavirus en janvier dernier, sont devenues franchement glaciales avec le temps. Au point d’en arriver à s’échanger des insultes publiques.
Dernier épisode en date de cette escalade, la mise en ligne ce dimanche 29 novembre d’un photomontage sur son compte Twitter par le principal porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian. Un homme habillé en soldat australien y tient un couteau ensanglanté sur la gorge d’un enfant afghan. L’image a provoqué l’indignation en Australie. La publication de ce tweet – à noter que Twitter est interdit en Chine – intervient quelques jours après la publication fin novembre en Australie d’un rapport sur des crimes de guerre supposés commis par des soldats australiens en Afghanistan entre 2005 et 2016. Cette enquête a en particulier révélé que 39 soldats prisonniers désarmés et civils afghans avaient été tués par 19 soldats australiens.
Ce lundi 30 novembre, le Premier ministre australien Scott Morrison s’est insurgé contre la publication de cette image, « truquée », « répugnante » et « scandaleuse », selon lui. Et d’exiger du gouvernement chinois qu’il la retire « sans délai » et qu’il présente ses excuses. Or Pékin non seulement s’en est bien gardé, mais la presse officielle chinoise regorgeait ce mardi 1er décembre de commentaires virulents à l’adresse de l’Australie. « Ce que le gouvernement australien devrait faire maintenant c’est de s’interroger profondément sur ces faits et traduire les responsables devant la justice, exprimer des excuses formelles au peuple afghan et promettre solennellement de ne jamais plus commettre ce crime abominable », écrit ainsi le Quotidien du Peuple.
Le 30 novembre, l’Australie a reçu le soutien de sa voisine, la Nouvelle-Zélande, par la voix de sa Première ministre Jacinda Ardern. Son gouvernement, a-t-elle indiqué, a transmis une note diplomatique à la Chine sur ce sujet : « La Nouvelle Zélande a exprimé aux autorités chinoises son inquiétude sur l’utilisation de cette image. Il s’agit d’un post sans fondement factuel et cela nous concerne aussi bien sûr. »

« Si vous érigez la Chine en ennemi, la Chine deviendra votre ennemi »

Ce dernier échange sino-australien intervient sur fond de profondes tensions politiques et commerciales entre les deux pays. Elles n’ont pas cessé de s’aiguiser depuis que l’Australie a fermé ses portes au groupe chinois de télécommunications Huawei pour son réseau 5G et qu’elle a été le premier pays à demander une enquête internationale sur l’origine du Covid-19. En réponse, les autorités chinoises ont adopté une longue série de représailles commerciales contre l’Australie, y compris l’imposition de droits de douane élevés qui, après le bœuf, l’orge, le bois, le coton, les fruits de mer et le charbon, ont ciblé la semaine dernière les vins australiens.
Jeudi 26 novembre, le chef du gouvernement australien a rejeté « les actes de contrainte » venant de Pékin et déclaré qu’il ne céderait pas aux pressions chinoises, son pays n’ayant pas l’intention de sacrifier sa démocratie au profit du commerce. « L’Australie sera toujours l’Australie, a assuré Scott Morrison dans une interview à la télévision. Nous continuerons d’adopter nos lois et règlements en fonction de nos intérêts nationaux et ne céderons pas à d’autres nations, que ce soient les États-Unis, la Chine ou une autre. »
La semaine dernière, Pékin a fait parvenir aux autorités australiennes une liste de 14 griefs. La Chine y critique ce qu’elle appelle des subventions publiques à des projets de recherches « antichinois », les condamnations par Canberra de la politique chinoise à l’égard des Ouïghours au Xinjiang ou à l’encontre de Hong Kong, ou encore le veto des autorités australiennes sur une dizaine de projets d’investissement chinois en Australie. « Si vous érigez la Chine en ennemi, la Chine deviendra votre ennemi », a ainsi déclaré un officiel chinois non identifié dans une note transmise par l’ambassade de Chine à Canberra et rendue publique par le Sydney Morning Herald le 19 novembre.

Vie publique noyautée par des agents chinois

Pour l’Australie, pays de 23,5 millions d’âmes face au géant chinois et ses 1,4 milliard d’habitants, le jeu paraît bien inégal. Il met en relief un certain courage politique du gouvernement australien car cette dispute politico-commerciale n’est pas sans conséquences économiques, la Chine étant de loin son premier partenaire commercial. Plus de 40 % des exportations australiennes sont à destination de la Chine.
La crise actuelle entre les deux pays est bien partie pour durer. De fait, la querelle remonte à 2019, année où les autorités australiennes ont publiquement dénoncé une ingérence croissante de la Chine dans les affaires intérieures de l’Australie, par le biais notamment de dons à des partis politiques dans le but d’influencer la politique australienne.
En 2015, les services de renseignement australiens avaient découvert avec stupeur que les partis politiques du pays étaient activement financés par de généreux donateurs qui étaient en réalité des agents du Parti communiste chinois. La Chine avait également pénétré peu à peu les universités australiennes et les centres de recherche pour siphonner les technologies de pointe. Séduction, flatterie, argent, menace ou même contrainte : la presse australienne avait révélé que des milliers d’agents chinois noyautaient la vie publique du pays, l’objectif numéro un de Pékin étant de saper l’alliance entre l’Australie et les États-Unis.
En août 2019, le député australien Andrew Hastie, président du Comité parlementaire sur le renseignement et la sécurité, avait publiquement comparé l’essor de la Chine actuel avec celui de l’Allemagne nazie avant la Seconde Guerre mondiale. En 2019, le parlement australien avait adopté une série de lois pour lutter contre l’espionnage et l’ingérence étrangère.
Après l’Australie, à qui le tour ? La crise sino-australienne est-elle uniquement bilatérale ou bien a-t-elle aussi valeur d’exemple pour le reste du monde ? Pour Scott Morrison, l’attitude de la Chine à l’égard de l’Australie doit interpeller « le monde entier ». « Ce n’est pas qu’une affaire bilatérale », estime aussi le Financial Times dans un éditorial du 26 novembre. Pour le quotidien financier britannique, « tous les pays démocratiques doivent suivre de très près la situation pour se préparer à contrer ensemble les pressions que la Chine pourrait vouloir exercer sur eux. »
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).