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La Chine doit revoir à la baisse son financement des "Nouvelles Routes de la Soie"

Le président chinois Xi Jinping lors de son intervention au sommet virtuel du Forum de la Coopération Économique pour l'Asie-Pacifique (APEC), le 20 novembre 2020. (Source :Indian Express)
Le président chinois Xi Jinping lors de son intervention au sommet virtuel du Forum de la Coopération Économique pour l'Asie-Pacifique (APEC), le 20 novembre 2020. (Source :Indian Express)
La manne chinoise ralentie par le « piège de la dette ». Lors du Forum de Coopération Economique pour l’Asie-Pacifique (APEC) qui s’est tenu le 20 novembre dernier en conférence virtuelle, Xi Jinping a assuré de la poursuite des pharaoniques « Nouvelles Routes de la Soie ». Cependant, le président chinois a souligné que sa politique de prêts aux partenaires de la BRI (Belt and Road Initiative) devrait dorénavant se conformer à des normes plus strictes.
« La Chine va renforcer l’harmonisation de ses politiques, règlements et normes avec ses partenaires [de la BRI] et approfondir sa coopération avec eux sur les infrastructures, l’industrie, le commerce, l’innovation technologique, la santé publique et les échanges entre personnes », a expliqué le numéro un chinois dans un discours prononcé devant les autres représentants des 21 États membres de l’APEC.
Ces propos, d’apparence anodine, pourraient bien traduire dans la réalité une amorce de virage sur l’aile. Après des années de financements illimités des innombrables projets conclus dans le cadre de la BRI lancée en 2013, la Chine en arrive à un moment de vérité : de nombreux pays se retrouvent dans l’incapacité de rembourser leurs dettes, tandis que l’endettement chinois atteint des sommets désormais jugés alarmants.
Il n’existe pas de chiffres officiels sur le total des prêts alloués par la Chine aux pays signataires de la BRI. Mais selon le fournisseur de données et d’analyses financières américain Refinitiv, au premier trimestre 2020 ces prêts ajoutés aux investissements chinois dans ces programmes dépassaient les 1 900 milliards de dollars pour 1 590 projets. Au total, 4 000 milliards de dollars ont été déboursés par Pékin pour financer divers projets à travers le monde. La Banque Mondiale estime pour sa part à environ 500 milliards de dollars les sommes investies par la Chine dans la BRI auprès de 50 pays en développement entre 2013 et 2018, dont environ 300 milliards sous forme de prêts garantis.

Infrastructures cédées à la Chine

Xi Jinping n’en a pas dit plus sur ce sujet mais, estiment les analystes, sa prudence semble bien signaler un infléchissement de la politique chinoise à l’égard de la BRI, du fait aussi d’un endettement croissant de la Chine qui a atteint des sommets. La dette publique chinoise a grimpé ces dernières années pour atteindre 165 % de son PIB au premier trimestre 2020, comparé à un endettement de 150 % du PIB pour la même période de l’an dernier, selon les chiffres de l’Institut de la Finance Internationale (IIF). La dette totale de la Chine, comprenant la dette des ménages, du gouvernement et des entreprises du secteur non-financier a atteint près de 290 % du PIB au premier trimestre 2020, contre 255 % un an auparavant, selon l’IFF, un montant jugé dangereux par les observateurs étrangers.
« La Chine va devoir être plus sélective pour les projets qu’elle finance, en particulier dans les économies émergentes. Les pays [partenaires de la BRI] qui hébergent des projets d’infrastructure majeurs et qui sont de ce fait lourdement endettés risquent de ne plus être en mesure de trouver les ressources nécessaires pour poursuivre ces projets », explique Alicia Garcia-Herrero, chef économiste pour l’Asie-Pacifique chez Natixis, citée par le South China Morning Post.
Plus de 150 pays d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Europe ont signé des accords dans le cadre de la BRI. Mais ce programme rencontre depuis quelques années des difficultés, en particulier du fait que certains pays se sont retrouvés dans l’incapacité de rembourser les prêts contractés, pris dans le fameux « piège de la dette », dont dernièrement le Pakistan, proche allié de Pékin. La Malaisie a récemment été contrainte d’annuler trois projets chinois, dont une ligne ferroviaire d’un coût de 20 milliards de dollars. La liste des pays qui se retrouve dans une telle situation s’allonge avec les années : elle touche désormais la Mongolie, le Laos, les Maldives, le Monténégro, Djibouti, le Tadjikistan et le Kirghizistan. Pourraient bientôt être aussi concernés des petits États du Pacifique Sud tels que la Papouasie-Nouvelle-Guinée et le Vanuatu. Le « piège de la dette » force parfois certains pays à céder à la Chine des infrastructures entières et à renoncer ainsi à des parcelles de leur souveraineté.

Trump discret

Le président chinois a par ailleurs indiqué, lors de ce sommet, que son pays « envisageait activement » de rejoindre l’Accord de Partenariat Global Trans-Pacifique (Comprehensive and Progressive Trans-Pacific Partnership Agreement, CPTPP). Ce dernier a remplacé en 2017 le Partenariat Trans-Pacifique (TPP) que les États-Unis avaient initié via l’administration Obama mais qu’ils ont brutalement déserté, à l’initiative de Donald Trump qui venait tout juste de faire son entrée à la Maison Blanche.
« Tout au long du chemin, l’APEC, engagé dans la promotion de l’intégration économique régionale, a enregistré des progrès considérables et a joué un rôle important en conduisant l’évolution du système du commerce multilatéral », a souligné Xi Jinping. Une fois de plus, le président chinois a implicitement visé l’Amérique de Donald Trump alors que celle-ci a tourné le dos au multilatéralisme depuis quatre ans.
« Nous devons continuer de promouvoir l’intégration économique régionale et nous employer à établir une zone de libre-échange dans la région Asie-Pacifique dès que possible », a-t-il insisté, ajoutant que l’unilatéralisme représente « un risque pour l’économie globale ». Le président sortant Donald Trump a certes fait une brève apparition au sommet de l’APEC, la première depuis 2017 à un tel sommet, mais ses propos n’ont pas été rendus publics. Une discrétion qui tranche avec la posture de son grand rival chinois.
S’adressant à la presse au terme de ce sommet, le conseiller économique de la Maison Blanche Larry Kudlow a indiqué vendredi que Donald Trump avait saisi l’occasion de cette conférence virtuelle pour mettre en avant les progrès réalisés par les États-Unis dans la lutte contre le Covid-19, avec tout particulièrement les succès enregistrés par deux entreprises américaines, Pfitzer et Moderna, dans la mise au point de vaccins.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).