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De Hong Kong à Washington, Taïwan garde le cap face à la Chine malgré les risques de guerre

La présidente taïwanais Tsai Ing-wen. (Source : Lowy Institute)
La présidente taïwanais Tsai Ing-wen. (Source : Lowy Institute)
Soutien indéfectible des manifestants pro-démocratie à Hong Kong et toujours plus proche de Washington, l’archipel taïwanais est plus que jamais en opposition frontale à Pékin. Avec détermination, mais en prenant le risque d’être otage du choc des puissances entre la Chine et les États-Unis.
Ces derniers mois, l’actualité du « monde chinois » s’est surtout concentrée sur Pékin et ses démêlées avec la désormais très volatile Hong Kong et ses « velléités » démocratiques, sur la gestion – sujette à interrogations diverses… – de la crise du coronavirus par les autorités pékinoises, ou encore sur la crispation éloignant chaque semaine Pékin de Washington. Peu d’articles sur l’ancienne Formose et ses inclinaisons sino-sceptiques du moment – pour manier un bel euphémisme.
*Alors que la réélection de Donald Trump le 3 novembre prochaine est loin d’être acquise. **Cf. Manœuvres militaires aéronavales des forces chinoises dans le détroit de Taïwan courant août. ***Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères plusieurs fois dénoncé ces dernières semaines les décisions de Taipei et de Washington. Voir citations plus loin dans le texte.
En ce mois d’août décidément tumultueux, une partie de ce déficit d’attention s’est trouvée comblée en l’espace de quelques jours, notamment à la faveur des éruptions de colère de Pékin contre Taipei, des propos non moins irrités du pouvoir chinois vis-à-vis des autorités américaines pour leur politique taïwanaise emprunte de quelques arrière-pensées électorales*, ou encore des réponses diverses de « l’île rebelle » aux dernières gesticulations – militaires** et rhétoriques*** – de la Chine continentale, dont on mesure quotidiennement l’aigreur estivale.[/asl-article-text]

Hong Kong comme détonateur…

*Reuters 20 août. **Reuters, 17 août.
Depuis une quinzaine de mois, une profonde crise politique – sinon identitaire – emporte l’ancienne colonie britannique, restituée à la Chine continentale en 1997, dans une étourdissante matrice contestataire pro-démocratie et sino-résistante (pour demeurer politiquement correcte…). Cette crise influe directement sur la ténue relation de part et d’autre du détroit de Taïwan. Depuis des mois, Taipei affiche un soutien politique et moral aux manifestants hongkongais dénonçant la mainmise croissante de Pékin sur la gestion de la Région administrative spéciale et ses sept millions de citoyens. Le gouvernement de Tsai Ing-wen a ouvrert le mois dernier un bureau facilitant l’installation des Hongkongais souhaitant quitter le territoire – notamment depuis l’instauration de la loi très décriée sur la sécurité nationale – et privilégier un avenir démocratique sur le sol taïwanais. Dans le même temps, les autorités taïwanaises dénoncent les cyberattaques à répétition (a priori ourdies depuis la Chine continentale*) visant une dizaine d’agences gouvernementales de l’ancienne Formose et les possibles infiltrations d’agents dans l’île**. Taipei a donc alimenté sans peine l’ire proverbiale de Pékin, à l’image des propos tenus le 20 août par Zhao Lijian, porte-parole du ministère chinoise des Affaires étrangères : « Les critiques des autorités du Parti démocratique-progressiste (DPP, au pouvoir) sont des calomnies malveillantes, pures et simples. »
*Reuters, 13 août. **The New York Times, 12 août.
Quant au colonel chinois Zhang Chunhui, porte-parole du commandement du théâtre oriental, les récentes manœuvres de l’armée populaire de libération dans le détroit de Taïwan ne constituent ni plus ni moins qu’une « action nécessaire à la préservation de la souveraineté [chinoise] »*, là où l’ambassadeur de facto taïwanais aux États-Unis, Hsiao Bi-khim, voyait quant à lui une « menace existentielle à la survie de Taiwan »**.

… Washington, comme relais

*The Washington Post, 12 août.
Le 10 août, la très symbolique – autant que rare – visite officielle à Taipei d’un responsable américain en activité, le secrétaire d’État américain à la Santé, Alex Azar, ses entretiens habilement médiatisés avec la présidente Tsai Ing-wen, le souhait affiché de renforcer la relation Washington-Taipei (en esquissant notamment une réflexion sur un éventuel accord de libre-échange) à mesure que se dégradent les rapports sino-américains et que Pékin accentue (pour la énième fois) pression et menaces subliminales sur Taipei, ont bien entendu engendré les sentiments que l’on devine en République Populaire de Chine ; jusqu’aux confins de l’élégance : « Il [Alex Azar] a abandonné les millions de personnes luttant contre la maladie (Covid-19) et s’est rendu à Taïwan pour mettre en scène un show politique […]. Nous ne savons pas comment il peut avoir l’audace de critiquer sans vergogne les résultats obtenus par la Chine dans la lutte contre l’épidémie… »*.
*Une législation américaine définissant les relations entre les États-Unis et Taïwan après la reconnaissance de la Chine par Washington. Ce texte dénoncé depuis par Pékin autorise notamment les Américains à vendre des armes – à des fins défensives – aux Taïwanais. **The New York Times, 13 août.
La Chine s’est, sans surprise, vexée tout particulièrement lorsqu’il fut question de vendre du matériel militaire américain performant (torpilles, missiles anti-navires Harpoon ou drones) aux forces taïwanaises, ainsi que l’autorise le Taïwan Relations Act de 1979*. En 2019, 10 milliards de dollars de matériels américains ont été cédés à Taïwan (66 chasseurs F-16 ; une centaine de chars Abrams). En la matière, la jurisprudence récente n’est pas précisément du goût de Pékin : « Les autorités taïwanaises dépensent l’argent de leurs contribuables pour la défense, mais peu importent les sommes qu’elles y consacrent, Taïwan reste un petit territoire. Affronter le continent, c’est comme si une fourmi essayait de secouer un arbre », tonnait élégamment il y a quelques jours le très incisif porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères**.
*Une structure relevant officiellement de l’associatif… mais employant essentiellement des fonctionnaires du Département d’État américain… **The Associated Press, 23 août.
Il s’agira pourtant pour ce dernier de se faire à l’idée de la proximité américano-taïwanaise du moment. Dimanche 23 août, pour la toute première fois, le représentant américain à Taïwan – le directeur de l’American Institute in Taiwan (AIT ) – participa aux côtés de la cheffe de l’État Tsai Ing-wen à la commémoration annuelle des victimes taïwanaises tombées en 1958 sur l’île de Kinmen sous les bombes chinoises.

Détermination dans la tempête

Fin juillet, les 23 millions de Taïwanais pleuraient la disparition de l’ancien – et vénéré – président Lee Teng-hui (1988-2000), le père de la démocratie taïwanaise, décédé à l’âge de 97 ans. Mi-août, alors même que Taipei déroulait le tapis rouge pour la première visite d’un ministre américain en quarante ans, dans la foulée d’une émouvante cérémonie à la mémoire du défunt, la présidente Tsai Ing-wen lui rendait hommage en quelques mots choisis, partagés sur le compte Facebook de la présidence : « Merci, président Lee. Nous continuerons à protéger la démocratie à Taïwan. »
*Reuters, 15 août.
Une disparition que ne saurait naturellement effacer la cinglante défaite électorale du principal parti de l’opposition, le Kuomintang (à l’agenda notoirement pro-chinois), pour la mairie de Kaohsiung, la deuxième ville du pays, face au DPP de la présidente Tsai. Pour la formation au pouvoir, il s’agit là d’un nouveau succès dans les urnes confirmant les triomphes électoraux nationaux de janvier 2020 (scrutins présidentiel et législatif). « Cette élection prouve une chose : la victoire de la démocratie », résume opportunément l’heureux édile élu, Chen Chi-mai*.
*The Straits Times, 21 août.
Une observation pondérée, chargée de bon sens, que l’on associera dans une veine plus affirmée aux propos du ministre taïwanais de la Défense, désireux de rappeler à ses administrés comme à l’autre rive du détroit la détermination de la minuscule (36 000 km², soit 1/17e de la France métropolitaine) mais très résiliente « île rebelle » : « Ne prenez pas à la légère notre détermination à défendre Taïwan. Le pays le plus arrogant peut facilement provoquer une guerre, et le gouvernement le plus ignorant peut être pris dans les flammes de la guerre. Les provocations et les menaces de la Chine ne feront qu’unir davantage le peuple de Taïwan. »* À bon entendeur.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.