Politique

Financement du terrorisme : où en est le Pakistan ?

Le 12 février 2020, un tribunal de Laohore a condamné à 5 ans et demi de prison Hafiz Saeed, fondateur du Jamaat-ud-Dawa (JuD), inscrit sur la liste des terroristes internationaux de l'ONU. (Source : IB Times)
Le 12 février 2020, un tribunal de Laohore a condamné à 5 ans et demi de prison Hafiz Saeed, fondateur du Jamaat-ud-Dawa (JuD), inscrit sur la liste des terroristes internationaux de l'ONU. (Source : IB Times)
Sans pression extérieure, le Pakistan poursuit son ambivalence sur le soutien aux groupes terroristes. L’État est sur la « liste grise » du Groupe d’action financière (GAFI), un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, réuni à Paris du 16 au 21 février.
Créé en 1989 par les ministres de ses États-membres, le Groupe d’action financière (GAFI) compte parmi ses principaux objectifs l’élaboration des normes et la promotion de l’efficace application de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées pour l’intégrité du système financier international. Les représentants de plus de 200 pays participent à la session hivernale dans la capitale française cette année. Ils se penchent plus particulièrement sur les actions menées – ou non… – par certains États, tels que l’Iran et le Pakistan, pour prévenir les risques de financement du terrorisme par le biais de leurs systèmes financiers.
En octobre 2019, lors de la dernière réunion plénière du GAFI, cet organisme intergouvernemental avait exprimé sa « vive inquiétude » face à l’absence générale de progrès de la part du Pakistan dans le cadre de son plan de lutte contre les risques financiers liés au terrorisme. Le GAFI avait noté qu’au cas où des progrès significatifs et durables ne seraient pas réalisés sur l’ensemble des 27 points de son plan d’action d’ici la prochaine réunion plénière (c’est-à-dire en février 2020), des mesures sévères pourraient alors être adoptées.
*Pour une instrumentalisation à des fins extérieures en cas de besoin, en particulier les théâtres traditionnels voisins, l’Afghanistan et l’Inde.
La République islamique du Pakistan peut-elle justifier de progrès significatifs et durables ces quatre derniers mois pour satisfaire aux exigences du GAFI ? Pour nombre d’experts des « affaires » de cette tumultueuse nation d’Asie méridionale, la réponse ne fait guère de doute : aussi longtemps que le très influent establishment militaire pakistanais refusera de prendre des mesures sérieuses pour démanteler l’infrastructure terroriste établie sur le territoire national*, on ne saurait hélas observer que des progrès superficiels par rapport aux exigences du GAFI. Aussi, nonobstant l’expiration du délai alloué par le GAFI, il ressort de l’examen des « progrès réalisés » par le Pakistan depuis son inscription sur la liste grise il y a près de deux ans déjà, que ces derniers restent in fine encore fort loin des attentes.
Dans ses rapports précédents, le GAFI a maintes fois relevé que des groupes terroristes figurant sur la liste de l’ONU des entités interdites – Daech, le « réseau Haqqani », Al-Qaida, les Talibans pakistanais du TTP, JuD out Jaish-e-Muhammad – opèrent ouvertement au Pakistan, collectant des fonds par divers procédés plus ou moins avouables – on pense ici à la collecte de fonds publics, mais également aux fruits des activités criminelles, au trafic de drogue. La plupart des cas de collecte de fonds par des entités proscrites par les Nations Unies ne sont pas contestés par les autorités gouvernementales pakistanaises. On s’interrogera ici tout spécialement sur la faiblesse des sanctions appliquées aux condamnations pour financement du terrorisme – dans un quart des cas, la peine d’emprisonnement retenue par les juridictions est généralement inférieure à un an…
Autre sujet de préoccupation, l’impunité avec laquelle les terroristes proscrits par les Nations Unies sont autorisés à mener quasi librement leurs activités au Pakistan. À noter dans ce registre prêtant pourtant peu à rire la propension des autorités pakistanaises à placer les chefs de groupes terroristes derrière les barreaux en amont des réunions du GAFI… pour mieux être remis en liberté quelques jours ou quelques semaines après. En catimini, généralement.

Ambivalence sur le terrorisme

*La vitrine politique légale du Lashkar-e-Toiba (LeT), un mouvement islamiste pakistanais figurant sur la liste des organisations terroristes établie par l’ONU et une kyrielle d’autres pays, dont les États-Unis, le Canada, l’Inde ou encore le Royaume-Uni. Les attentats de Mumbai en novembre 2008 (près de 170 victimes) sont attribués au LeT.
Du fait de cette jurisprudence constante, il n’est donc pas vraiment surprenant qu’avant la réunion plénière en cours dans la capitale française, un tribunal antiterroriste de Lahore ait condamné le 12 février Hafiz Saeed, fondateur du Jamaat-ud-Dawa* (JuD) et inscrit sur la liste des terroristes internationaux de l’ONU. Verdict du jugement : 5 ans et demi de prison et à une amende de 15 000 roupies pakistanaises (à peine de 90 euros) pour « participation à une organisation terroriste interdite » et « possession de biens illégaux ».
Ce n’est pas la première fois que les autorités pakistanaises procèdent à l’arrestation de Hafiz Saeed. Depuis 2001, ce dernier a déjà été interpellé à huit reprises, avant d’être libéré. Dans ce registre cocasse, rappelons qu’en août dernier, le gouvernement d’Islamabad avait demandé à l’ONU de dégeler certains comptes bancaires appartenant à Hafiz Saeed afin de lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille. Signalons encore que tout en étant officiellement interdit au Pakistan, le JuD continue d’avoir pignon sur rue dans tout le pays, ses nombreux bureaux demeurants ouverts et guère entravés dans leurs activités quotidiennes.
Il apparaît raisonnable de penser que le Pakistan ne continuera à prendre des mesures contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent que si la pression exercée sur le pays est maintenue, depuis l’étranger notamment. Aussi, pour donner corps à cette pression extérieure et conserver un levier déterminant sur la « volonté » d’Islamabad, il serait assez cohérent que le GAFI maintienne cet État volatile sur sa liste grise. Quitte à envisager de le placer, pour sanctionner cette coopération toute relative, sur la plus critique liste noire de l’organisation.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.