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Pakistan : Imran Khan, un Premier ministre en sursis?

Le sit-in du mouvement islamiste JUI-F se poursuivait à Islamabad le 9 novembre 2019, réclamant la démission du Premier ministre pakistan Imran Khan. (Source : Independent)
Le sit-in du mouvement islamiste JUI-F se poursuivait à Islamabad le 9 novembre 2019, réclamant la démission du Premier ministre pakistan Imran Khan. (Source : Independent)
C’est le premier mouvement de contestation contre l’actuel Premier ministre du Pakistan. Des milliers de manifestants islamistes demandent à Imran Khan de démissionner alors que le pays traverse de graves difficultés économiques.
*À l’initiative du parti religieux radical Tehreek-e-Labbaik ; sit-in anti-blasphème de novembre 2017. **Jamiat Ulema-e-Islam (JUI) du leader Fazal-ur-Rehman, une formation politico-religieuse radicale disposant d’un vaste réseau de madrassas (écoles coraniques) dans lesquelles, de manière notoire (cf. New York Times du 4 novembre 2019), les Talibans pakistanais et afghans recrutent des volontaires. ***Imran Khan (PTI) est chef de gouvernement depuis août 2018, succédant à Nawaz Sharif (PML-N).
Deux ans précisément après la dernière mobilisation islamiste* dans la capitale, Islamabad et les autorités pakistanaises se trouvent une fois encore sous le feu d’une contestation populaire enfiévrée. Si la formation politico-religieuse** à l’origine de cette énième agitation et le Premier ministre ont depuis lors changé***, la problématique anti-gouvernementale demeure étrangement similaire. Et n’augure rien de bon pour la stabilité intérieure – déjà toute relative – de ce pays de 210 millions d’individus affligés par une kyrielle de maux politiques, sécuritaires ou économiques.
Décidément, l’automne 2019 ne réserve rien de simple au Pakistan et à son chef de gouvernement actuel. Le crédit d’Imran Khan dans l’opinion semble s’être en grande partie dilapidé, un an à peine après avoir accédé au pouvoir. Ce jeudi 7 novembre, au septième jour de ce nouveau sit-in – autorisé par le pouvoir – dans la capitale, les manifestants du Jamiat Ulema-e-Islam drapés dans leur logorrhée radicale et leur projet de société obscurantiste réclament la démission du gouvernement. Ce désaveu profite également du soutien de l’opposition traditionnelle (PML-N, PPP), trop heureuse de se remobiliser pour l’occasion et de décocher quelques flèches faciles en direction d’Imran Khan. Lui-même, lorsqu’il était tribun zélé de l’opposition, aimait à pourfendre l’incurie et l’incompétence du gouvernement Sharif…
Face à cette nouvelle éruption populaire contestant la légitimité du gouvernement civil issu des urnes, l’armée pakistanaise, cet acteur omnipotent des (nombreuses) casernes jusqu’aux travées du pouvoir politique, joue à cette heure une partition faussement modeste, contrastant avec son autorité. « Nous avons foi en la loi et en la Constitution, et notre soutien va au gouvernement démocratiquement élu, et non à un parti quel qu’il soit », assurait en fin de semaine dernière le major général A. Ghafoor, le porte-parole de l’armée. Cinq jours plus tard, alors que le mouvement contestataire s’enracine et que le Premier ministre nie tout projet de démission anticipée, ce même général deux étoiles demeure sur un registre mesuré, jouant du discours politiquement correct, sans pour autant convaincre son auditoire : « L’armée n’entend pas œuvrer comme médiateur entre le gouvernement d’Imran Khan et l’opposition ; nous sommes trop occupés en matière de sécurité nationale et de défense pour nous mêler de ce genre de choses… »
Quant à l’opposition, elle rappelle à qui veut l’entendre que la nomination à l’été 2018 d’Imran Khan devait assurément beaucoup au soutien dont il bénéficiait de la part de l’influente caste des généraux. Unee caste d’hommes en uniforme aujourd’hui probablement moins en phase avec l’ancienne gloire nationale de cricket… Or, l’étude de la fébrile scène politique pakistanaise – où un seul Premier ministre depuis 1947 put aller au terme de son mandat quinquennal… – indique qu’il est fort peu de chance qu’un chef de gouvernement contesté par la rue puisse se maintenir au pouvoir très longtemps une fois perdu le soutien (vital) des généraux de Rawalpindi.

Ambivalence sur le terrorisme

*Sans oublier les conséquences budgétaires strictes – réprouvées par la population – assujetties au 13ème plan (depuis 1980) de secours du FMI (octroi de 6 milliards de dollars en mai 2019).
Au niveau extérieur, en amont de la difficile conjoncture économique du Pakistan (croissance faible, inflation, dépréciation considérable de la roupie*), l’automne 2019 n’a pas apporté à ce jour la bouffée d’oxygène espérée par le 22ème chef de gouvernement. Une déception imputable en partie à l’intervention très (trop ?) virulente d’Imran Khan à la tribune de la 74ème session générale annuelle de l’ONU, à la rencontre quatre jours plus tôt avec l’imprévisible président américain Donald Trump laissant le visiteur sur sa fin, à l’énième chapitre de tension avec l’Inde, n’en finissant pas d’éloigner Islamabad de New Delhi au sujet du Cachemire, et d’indisposer diverses capitales « amies ». La déception est enfin due aux inquiétudes exprimées en octobre par le Groupe d’action financière (GAFI, Paris) sur les « manquements du Pakistan pour appréhender les risques liés au financement du terrorisme ». N’en jetez plus.
*Placé depuis 2012 sur leur liste Specially Designated Global Terrorist. Les États-Unis offraient la somme de 10 millions dollars à qui disposerait d’informations menant à son arrestation.
Islamabad avait bien tenté à l’été de regagner quelque crédit international sur cette thématique hautement sensible, en procédant mi-juillet 2019 à l’arrestation du sulfureux Hafiz Muhammad Saeed*. Le fondateur du groupe terroriste pakistanais Lashkar-e-Taiba (LeT) a été impliqué ces deux dernières décennies dans une noria d’actes terroristes meurtriers, essentiellement centrés sur l’Inde. Parmi eeux, les tragiques attentats de novembre 2008 à Mumbai (166 victimes), le « 11-septembre » du voisin indien. Pour rappel, alors que Paris se recueillera ces prochains jours au souvenir douloureux des attentats perpétrés dans la capitale le 13 novembre 2015 par Daech (138 morts, plus de 400 blessés), les autorités françaises avaient mis à jour, parmi les terroristes impliqués dans cette tragédie, la présence d’un militant pakistanais du LeT, incarcéré depuis 2016 en Autriche.
Deux faits sont éloquents dans cette affaire. D’un côté, Hafiz Muhammad Saeed semble depuis sa geôle, un quartier de haute sécurité de la prison de Kot Lakhpat à Lahore), en capacité d’assurer à distance la direction de son mouvement radical. De l’autre, Islamabad a sollicité, et obtenu le 15 août dernier, du Conseil de sécurité des Nations Unies le droit pour le détenu d’accéder à ses comptes bancaires, gelés depuis 2012, pour subvenir aux besoins de sa famille. Tout cela en dit long sur la déroutante attitude des autorités en matière de lutte anti-terroriste. Le chemin est encore long pour le Pakistan, avant de regagner un crédit extérieur aujourd’hui bien entamé.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.