Politique
Entretien

Olivier Da Lage : "L'Inde est déjà un régime autoritaire"

Le Premier ministre indien Narendra Modi et son ministre de l'Intérieur Amit Shah. (Source : Swarajya Mag)
Le Premier ministre indien Narendra Modi et son ministre de l'Intérieur Amit Shah. (Source : Swarajya Mag)
« Démocratie illibérale », « démocratie autoritaire » ou « autoritarisme démocratique ». Appliquées jusqu’à présent à la Turquie d’Erdogan ou à la Hongrie d’Orban, ces expressions ne dénotent plus dans l’Inde de Narendra Modi. De fait, sans que le processus électoral ou que la constitution ne soient remis en cause, l’indépendance de la justice et l’égalité devant la loi sont aujourd’hui menacées dans ce qui n’est plus tout à fait « la plus grande démocratie du monde ». Après la révocation de l’autonomie du Cachemire indien et la nouvelle loi sur la citoyenneté en Assam menaçant de reléguer les musulmans au statut de citoyens de seconde zone, comment comprendre cette accélération de l’agenda nationaliste hindou du gouvernement Modi ? Entretien avec Olivier Da Lage, rédacteur en chef à Radio France Internationale, et spécialiste de l’Inde.

Entretien

Né en 1957, Olivier Da Lage effectue son service militaire en coopération comme attaché de presse à l’ambassade de France à Bahreïn. Après quoi, il reste dans l’émirat comme correspondant pigiste dans le golfe Persique pour différents médias écrits et audiovisuels jusqu’en 1982. À son retour en France, il participe au programme Journalistes en Europe avant de rejoindre Radio France internationale (RFI) en 1983. Il présente pendant trois ans l’émission RFI Hebdo, puis rejoint le service étranger de RFI. En 1995, il est nommé rédacteur en chef adjoint de Radio Monte Carlo Moyen-Orient (SOMERA) qui devient entre-temps une filiale de RFI, où il retrouve en 1998 le service étranger, au desk Proche-Orient. De 2000 à 2005, il codirige la rédaction Internet de RFI, avant d’être nommé à la tête du service international qu’il dirige jusqu’en 2007. Après avoir présenté plusieurs émissions sur RFI, il est désormais responsable de la rédaction en chef du week-end de cette radio.

Par ailleurs, il donne des cours à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et dans plusieurs écoles de journalisme. Il a publié plusieurs livres et de nombreux articles consacrés au Moyen-Orient et à la Péninsule arabique, mais aussi à l’Inde, où il se rend chaque année depuis plusieurs décennies. Parmi eux, Bombay (BiblioMonde, 2017), L’Inde, désir de puissance (Armand Colin, 2017) et Aujourd’hui, l’Inde (en collaboration avec Tirthankar Chanda), paru chez Casterman en 2012. Il est l’auteur d’un roman, Le Rickshaw de Mr Singh, paru en 2019 (AFNIL).

Le journaliste Olivier Da Lage. (Crédits : DR ; Source : Centre international pour la paix et les doris de l'homme)
Le journaliste Olivier Da Lage. (Crédits : DR ; Source : Centre international pour la paix et les doris de l'homme)
Quelle est la stratégie de Narendra Modi sur le révocation du statut d’autonomie du Cachemire indien ?
Olivier Da Lage : Je pense qu’il faut la voir à plusieurs niveaux. C’est d’abord une opération qui a été menée dans le plus grand secret, qui a pris les gens par surprise. Dans les jours qui ont précédé, les autorités indiennes ont dit qu’elles avaient des informations sur un attentat terroriste qui allait se commettre. Donc elles ont appelé les touristes à quitter le Cachemire. Elles ont envoyé 35 à 40 000 soldats supplémentaires et l’annonce elle-même a été faite au Parlement par le ministre de l’Intérieur Amit Shah, pratiquement sans préparation, même si l’on pouvait supposer que cela concernerait le Cachemire. Voilà ce qu’il s’est passé le jour de l’annonce. Mais en réalité, cela vient de très loin : c’était une promesse électorale du BJP, qui s’enracinait dans une revendication de toujours des partis nationalistes hindous qui l’ont précédé, à savoir mettre fin au statut spécial du Cachemire. Il s’agit de ce fameux article 370 de la Constitution et de son corollaire, l’article 35A, qui réserve l’achat des terres et des logements aux personnes originaires du Cachemire.
À cela s’ajoute un sens du timing qui est absolument parfait. Modi a remporté les élections d’une manière éclatante, au-delà de ce qu’on pouvait imaginer au vu des sondages. l’opposition est en plein désarroi. Et par cette décision qui est très populaire chez les hindous indiens, y compris parmi ceux qui ne soutiennent pas le BJP, il a réussi à diviser encore davantage l’opposition, à obtenir le soutien de certains partis de l’opposition et même la division du Parti du Congrès.
Comment comprendre ce tournant, cette accélération dans la mise en œuvre de la politique de Modi depuis sa réélection ?
C’est un peu comme la mue d’un serpent : il y a une nouvelle peau en quelque sorte. En fait, c’est la peau originelle, celle des nationalistes hindous qui avait été plus ou moins mise de côté lors du premier mandat et très certainement lors de la campagne électorale de 2014. Modi lui-même évitait d’aller sur ce terrain. Ses proches s’en chargeaient. Maintenant, Modi assume parfaitement ce virage. Il devient pratiquement impossible de parler de l’Inde comme d’un pays laïc, séculier, comme on le disait encore il y a peu. L’agenda nationaliste hindou est mis en œuvre. On attend la suite : c’est la construction du temple de Rama sur l’emplacement de l’ancienne mosquée de Babri à Ayodhya ; c’est la mise en œuvre d’un code civil uniforme, c’est-à-dire essentiellement hindou, qui met fin au statut particulier des musulmans, des chrétiens et des autres. C’est l’accomplissement du rêve des nationalistes hindous, qui étaient très minoritaires et qui n’avaient pas véritablement voix au chapitre à l’indépendance.
Pourtant, il n’y a pas de religion d’État inscrite dans la Constitution indienne. La politique nationaliste de Modi ne risque-t-elle pas d’être illégale ? Ou bien le régime est-il en train de changer ?
Le caractère laïc et socialiste de la république indienne a été introduit sous Indira Gandhi au moment de l’état d’urgence. Donc sa légitimité aux yeux de beaucoup est un peu douteuse par rapport à d’autres articles de la Constitution. Mais le caractère séculier de la Constitution était antérieur à l’indépendance de l’Inde. C’était l’un des articles sur lesquels Gandhi, Neru, Patel et Ambedkar, les fondateurs de l’Inde indépendante, s’étaient engagés à l’occasion même du combat pour l’indépendance. Mais cela n’engage pas le pouvoir actuel. De fait, le dernier rempart aujourd’hui de la Constitution, c’est la Cour suprême. Quand elle a pris une décision ouvrant aux femmes adultes le Temple de Sabarimala, elle n’a pas été appliquée sur le terrain. On verra ce qui se passera avec l’abrogation de l’article 370 sur l’autonomie du Cachemire. La Cour suprême est saisie. Ce sera très délicat pour elle, parce que si elle donne raison à ceux qui considère que l’abrogation était anticonstitutionnelle, elle se met véritablement en opposition à une écrasante majorité de l’Inde. C’est peut-être le prélude à la fin de la Cour suprême indienne telle qu’on l’a connue. Inversement, si elle s’aligne sur l’opinion majoritaire, elle perd également en influence. Donc, en effet, on est en train de changer de régime, alors même que les textes fondateurs, eux, n’ont pas changé.
Ce qui compte, c’est que les décisions de la Cour suprême soient appliquées. Or quand vous avez des cours de justice à l’échelon inférieur, qui n’en tiennent pas compte, et quand vous avez des forces de police qui n’en font qu’à leur tête et qui pensent qu’on peut arrêter quelqu’un parce qu’il a critiqué le Premier ministre, le fondement juridique dont les Indiens étaient très fiers se fragilise énormément.
Que dit cette accélération politique de la personnalité de Narendra Maodi ?
Il a un sens stratégique très développé, puisqu’il est rare qu’il tienne des propos publics critiquables par l’opposition. Ce sont ses proches qui s’en chargent. Mais ce qui est presque plus important que ce que fait Narendra Modi, c’est le fait qu’il a mis sur orbite Amit Shah pour lui succéder. Amit Shah, c’est son proche de toujours. Il était ministre de l’Intérieur au Gujarat quand Narendra Modi en était le ministre-en-chef. Il l’a nommé à la tête du BJP. Après l’élection de 2019, il l’a nommé au ministère de l’Intérieur et de manière tout à fait symptomatique, Amit Shah a déménagé récemment pour s’installer dans la villa qui était précédemment occupée par l’ancien Premier ministre BJP Atal Bihari Vajpayee.
Quelle est la personnalité d’Amit Shah ? Est-il encore plus extrémiste que Narendra Modi ?
Sur le fond, il n’y a aucun désaccord entre Narendra Modi et Amit Shah. Ils partagent les rôles. Amit Shah joue le rôle de celui qui ne respecte pas les codes. Il dit les choses comme il les pense. Lors d’une récente conférence de presse, les journalistes l’ont interrogé sur un dirigeant du BJP notoirement corrompu et il a ri. Il a dit : « Je ne répondrai pas à cette question. » Alors même que le BJP fait campagne contre la corruption ! Amit Shah est celui qui a parlé des émigrés musulmans comme des « termites ». C’est celui qui montre les muscles de Narendra Modi.
En quoi consiste la récente loi sur la citoyenneté dans l’Assam ? En quoi menace-t-elle les musulmans en particulier ?
L’Inde en tant que pays laïc, est en train de disparaître. Une loi a été adoptée à l’instigation du gouvernement actuel, qui réserve le droit d’asile aux minorités religieuses persécutées dans les pays voisins, avec une liste limitative qui comprend les Sikhs, les hindous, les bouddhistes, les chrétiens et les Jaïns, mais pas les musulmans. Donc, sur cette base-là, il y a le projet d’expulser les 40 000 Rohyngias qui ont trouvé refuge en Inde. Leur dossier est également examiné par la Cour suprême actuellement. Et puis, il y a eu ce projet de registre national des citoyens en Assam. Il consiste à passer en revue tous ceux qui se disent citoyens et à ne retenir que ceux qui remplissent des critères qui, de fait, excluent beaucoup de musulmans. On vient d’apprendre que la liste n’avait pas retenu 1,9 million d’habitants de l’Assam, qui ne pouvaient pas prouver qu’ils étaient citoyens indiens avant la guerre de 1971.
Le gouvernement fédéral a l’intention de répliquer cette opération dans tous les autres États indiens. Cela va concerner beaucoup de gens, dont on comprend bien qu’il s’agit de musulmans, et qui n’ont pas les papiers nécessaires pour prouver qu’ils étaient citoyens indiens à une date antérieure. C’est quand même quelque chose d’assez fréquent en Inde où l’état-civil n’est pas toujours très bien tenu et où des inondations font que des dossiers ont disparu. Une épée de Damoclès pèsera sur de très nombreux citoyens indiens musulmans. De fait, le résultat recherché est en partie obtenu : les musulmans indiens se « tiennent à carreau », essaient de ne pas avoir de problèmes et comprennent qu’ils ne seront tolérés que s’ils se font discrets.
Comment est-il possible juridiquement d’exclure de la citoyenneté des Indiens musulmans qui sont des citoyens comme les autres ?
Je vais faire une comparaison qui va peut-être vous surprendre. Quand la France a introduit la carte d’identité sécurisée, biométrique, un grand nombre de personnes âgées ont découvert qu’il leur fallait prouver qu’elles étaient françaises en cherchant des papiers très anciens. La France ne connaît pas les tremblements de terre, les inondations, les incendies qui détruisent les mairies, donc c’était une situation difficile mais pas inextricable. En Inde, où tous ces genres de catastrophe peuvent arriver et où l’état-civil ancien n’était pas tenu, beaucoup de gens ne seront tout simplement pas en mesure de prouver leur citoyenneté. Elles ne sont donc pas exclues parce qu’elles sont musulmanes ou parce qu’elles ne sont pas considérées comme de « bons citoyens », mais parce que l’examen ne permettra pas de prouver que ces personnes-là sont citoyens indiens. Donc, d’un manière douce en quelque sorte, une politique en réalité extrêmement brutale risque d’être mise en œuvre. Sur le terrain, beaucoup d’autorités locales comprennent très bien dans quelle direction on va. On sera indulgent pour certains et pas pour d’autres.
Le pays se dirige-t-il vers une chasse aux musulmans généralisée ?
Oui, et elle est encouragée de façon extrêmement ouverte par toute une série de personnalités dans les journaux, sur les réseaux sociaux, dans des déclarations lors de meetings. Je ne dis pas que cette chasse aura lieu. Il se peut que la Cour suprême et d’autres autorités judiciaires arrivent à restreindre les excès. Il se peut aussi que certaines personnes résistent. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que dans l’Inde d’aujourd’hui, tout ne vient pas d’en haut. Des instincts qui ont longtemps été bridés justement parce que les autorités véhiculaient d’une façon pas toujours sincère une image de laïcité et de respect du droit, eh bien aujourd’hui, les messages qui sont envoyés d’une manière directe ou subliminale, c’est : « Vous pouvez y aller ! On vous couvre ! » Et quand vous voyez les lynchages qui ont eu lieu sans être condamnés par les autorités ou qui n’ont été condamnés qu’un ou deux ans après, on peut comprendre vers quoi on va.
Quel est justement l’objectif final de cette politique ? Terminer ce qui a été commencé à la partition en 1947 : que tous les musulmans rejoignent le Pakistan ? Ils restent une minorité de la population indienne…
Je pense qu’il n’y a pas accord entre tous les dirigeants sur cette question. Les musulmans représentent un peu plus de 14 % de la population du pays. Ils sont donc une minorité, mais cela fait de l’Inde le troisième État à la plus forte population musulmane dans le monde, après l’Indonésie et le Pakistan. Dans une trentaine ou une cinquantaine d’années, l’Inde sera le premier « pays musulman » du monde. Une minorité oui, mais avec une population nombreuse de musulmans.
Il y a une contradiction au sein de la frange nationaliste hindoue : d’un côté, ceux qui veulent que les musulmans aillent au Pakistan et de l’autre, ceux qui disent : « Le Pakistan nous appartient ! » On entend cela chez des dirigeants du BJP : « Reprenons le Pakistan ! » c’est totalement invraisemblable et irréaliste, mais quand vous avez quelqu’un comme Rajnath Singh, l’ancien président du BJP, qui est le ministre de la défense et un homme de confiance de Modi, qui dit sérieusement que l’Inde pourrait reprendre ce que les nationalistes appellent le « Cachemire occupé par le Pakistan » [Pakistan-occupied Kashmir, POK], le territoire cachemiri administré par Islamabad, c’est une façon de mettre les Pakistanais sur la défensive, mais cela parle également à beaucoup de nationalistes hindous qui se disent : « Allons-y ! » Cela reviendrait aussi à mettre encore plus de musulmans en Inde, ce qui est en contradiction avec le but poursuivi. Je crois que l’objectif pour le moment est que les musulmans renoncent à se considérer comme des citoyens de plein exercice et laissent les autres diriger le pays comme ils l’entendent.
Cette politique de radicalisation est-elle acceptée par l’opinion publique indienne ?
Il y a plusieurs segments. les nationalistes hindous se disent qu’enfin, l’Inde est de retour, après 70 ans de règne du Parti du Congrès qui aurait « nié l’histoire pluri-millénaire du pays ». Il y a quand même beaucoup de réécriture de l’Histoire qui est en cours. Un grand nombre d’Indiens se rappellent que le Congrès a terminé comme un parti corrompu avec des scandales épouvantables et qui veulent bien voir dans le gouvernement Modi certains excès mais avant tout, des gens très pragmatiques qui savent faire des affaires et même des politiques bonnes pour l’économie. On verra si cela fonctionne car pour l’instant, les réalités économiques ne sont pas au rendez-vous.
Tous les voyants sont au rouge. Les derniers sont les chiffres de la croissance, qui ne sont que la résultante de tous les autres. Les investissements étrangers ont chuté après avoir été décollé de façon assez spectaculaire après l’arrivée au pouvoir de Modi en 2014, et sa campagne du « Make in India ». La démonétisation de 2016 a été un échec. Les autorités se défendaient en affirmant avoir lutté contre la corruption. Or tous les billets qui avaient disparu sont revenus dans le circuit. En revanche, cela a considérablement déstabilisé l’économie informelle qui compte énormément dans les productions indiennes. C’est maintenant reconnu.
Par ailleurs, deux dirigeants de la banque centrale indienne ont été poussés au départ. L’un parce que son mandat n’a pas été reconduit, l’autre parce qu’il a dû démissionner, refusant les pressions du gouvernement. Et on comprend quelles étaient ces pressions, car l’actuel gouverneur nommé par Modi vient de permettre à l’État de puiser dans la caisse. Il y a des besoins énormes en financement pour soutenir les banques fragilisées à la suite d’une politique de crédit très laxiste dont Modi n’est pas responsable, mais qui s’est étendue au fil des années. Le secteur automobile s’effondre et actuellement, il y a un plan pour le soutenir. Ce n’est pas complètement un hasard si les grands producteurs automobiles en Inde, Tata, Mahindra et quelques autres comptent parmi les industriels qui ont soutenu de manière ouverte Modi lors des deux derniers scrutins. Il y a beaucoup d’alarme. Les gens voient bien que certes l’inflation a diminué mais l’essence augmente. Encore une fois, Modi n’y est pour rien, ce sont les prix du marché pétrolier ; il a eu beaucoup de chance les premières années, mais ça ne pouvait pas durer. Et donc tôt ou tard, la connexion se fera entre la réalité que vivent les gens ou les entreprises, et les effets d’annonce qui sont plein d’autosatisfaction mais qui ne correspondent plus à la réalité.
Le coup d’accélérateur sur la politique nationaliste n’est-il donc qu’une diversion pour faire oublier cette réalité économique mauvaise ?
Ce n’est pas seulement une diversion parce que cela correspond à des convictions profondes du parti au pouvoir. Mais c’est en effet utilisé comme une diversion pour cacher des résultats économiques décevants. C’est pour cette raison qu’il y a une accélération de l’agenda idéologique, puisque si Modi avait pu faire campagne sur des résultats économiques très satisfaisants, je pense qu’il l’aurait fait davantage en 2019. Les résultats n’étaient pas au rendez-vous. Toute la campagne a été purement idéologique ou sur l’hostilité au Pakistan, le soutien supposé d’Islamabad au Parti Congrès. Tôt ou tard, les gens feront le rapprochement, mais il ne faut pas sous-estimer la capacité de mobilisation et clivage que représente cette campagne idéologique pour le nationalisme hindou, qui fait oublier à beaucoup de gens que derrière la fierté d’être indien et hindou, il y a les difficultés économiques.
Cependant, pour l’instant, tout cela ne fait pas un renversement d’opinion. Un certain nombre d’Indiens sont dépolitisés et ne veulent pas se mêler de la situation du pays. Les partis d’opposition, eux, sont extrêmement divisés, qui n’ont pas encore trouvé la martingale pour se refaire et qui laissent entièrement le champ libre à Modi pour occuper le terrain, tant qu’ils n’auront pas une politique, une stratégie et un projet de nature à appeler du soutien de la part de ceux qui les ont déserté.
Va-t-on vers un régime autoritaire en Inde ?
C’est déjà un régime autoritaire. Il faut comprendre qu’une bonne partie de la population indienne demande un régime autoritaire, estime que trop de démocratie a entraîné l’anarchie et que d’avoir un dirigeant à poigne qui prend des décisions, qui reconnaît le caractère majoritairement hindou de l’Inde et qui favorise les investissements, c’est bon pour le pays. Que ce soit vrai ou non, c’est ce que beaucoup pensent, y compris parmi les Indiens qui ne sont pas des extrémistes. Donc on est déjà dans un pays autoritaire, « illibéral » pour reprendre un terme qui a connu un succès depuis quelques années. Je comparerais Modi à Recep Tayyip Erdogan en Turquie. La démocratie n’est pas remise en cause, mais elle change de nature. Celui qui a la majorité a tous les pouvoirs. La démocratie n’est alors plus le respect des minorités mais le droit de la majorité. Dans ce sens-là, on voit l’évolution de l’Inde vers un régime illibéral, autoritaire, mais qui ne remet pas en cause le principe de la démocratie.
Propos recueillis par Joris Zylberman

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A propos de l'auteur
Joris Zylberman est directeur de la publication et rédacteur en chef d'Asialyst. Il est aussi chef adjoint du service international de RFI. Ancien correspondant à Pékin et Shanghai pour RFI et France 24 (2005-2013), il est co-auteur des Nouveaux Communistes chinois (avec Mathieu Duchâtel, Armand Colin, 2012) et co-réalisateur du documentaire “La Chine et nous : 50 ans de passion” (avec Olivier Horn, France 3, 2013).