Economie
Expert - Le Poids de l'Asie

Guerre commerciale : dans les coulisses des négociations sino-américaines

Le président chinois et son homologue américain Donald Trump reçu à un dîner d'État au Grand Hall du Peuple à Pékin, le 9 novembre 2017. (Source : Vox)
Le président chinois et son homologue américain Donald Trump reçu à un dîner d'État au Grand Hall du Peuple à Pékin, le 9 novembre 2017. (Source : Vox)
Il n’y aura pas de sommet Trump-Xi Jinping en mars. « Il reste du travail à faire », a déclaré ce jeudi Steven Mnuchin, le secrétaire américain au Trésor. Qu’est-ce qui empêche un accord pour mettre fin à la guerre commerciale ? Le ralentissement de son économie pousse la Chine à céder. Mais les demandes américaines sont difficilement recevables.

Le ralentissement chinois

En mars 2018, les menaces américaines étaient présentées comme des tigres de papier en Chine. Un an plus tard, si l’on en croit le discours du Premier ministre Li Keqiang à l’Assemblée Nationale Populaire, la guerre commerciale expliqueraient le ralentissement de la croissance. Une déclaration surprenante. En effet tout au long de l’année, la demande américaine a tiré les exportations chinoises qui n’ont pas faibli au dernier trimestre 2018 et qui, selon les statistiques de Pékin, ont progressé en janvier avant de chuter en février de 20 %. Ce sont moins les mesures de rétorsion décidées par Pékin que le ralentissement chinois qui a freiné les exportations américaines vers la Chine. Officiellement la croissance de 6,6 % a été la plus faible des trente dernières années. Mais selon une étude du Brookings Institute, elle serait plus proche de 4 %. Les provinces chinoises ont toujours surévalué leurs performances et leurs statistiques étaient systématiquement corrigées par le Bureau national des statistiques. Sur la base des données informatisées des recettes de la TVA, les auteurs de l’étude ont démontré que depuis 2008, cet ajustement est moins rigoureux, ce qui gonfle les résultats.
La première cause du ralentissement de l’économie chinoise est la lutte contre l’endettement dont l’impact n’est pas uniforme. En cause, les restrictions de crédit affectent beaucoup plus le secteur privé, principal employeur, que les entreprises d’État. Ces restrictions de crédit ajoutées aux conséquences de la guerre commerciale diminuent le nombre d’heures travaillées et font chuter les embauches. Le retournement du marché du travail, sans incidence sur le chiffre officiel du chômage, aurait provoqué une hausse de 50 % des conflits en 2018, selon le China Labour Bulletin, ONG indépendante basée à Hong Kong. Dans son discours à l’ANP, le Premier ministre a d’ailleurs affirmé que l’emploi était la priorité de son gouvernement et reconnu les difficultés des entreprises privées à obtenir des crédits. Contrairement à ce qui était attendu après la hausse des travaux publics décidée en janvier, Li Keqiang a opté pour une relance budgétaire modérée – le déficit passant de 4,1 à 5 % du PIB en 2018. Il a estimé trop risqué de lancer un programme plus ambitieux dans une conjoncture internationale incertaine. Car cette incertitude freine les investissements des entreprises chinoises.
L’imprévisibilité est une dimension de la tactique de Donald Trump. Avant son élection, le président américain avait prévenu qu’il serait particulièrement imprévisible pour la Chine. Il a tenu parole et souffle alternativement le chaud et le froid. Ainsi, fin février, il a déclenché un vent d’optimisme sur les marchés en retardant une seconde fois la hausse des tarifs douaniers prévue pour le 1er mars. Et d’évoquer la tenue d’un sommet avec Xi Jinping à Mar-a-Lago pour arbitrer les points en suspens des négociations. Deux semaines plus tard, un conseiller de la Maison Blanche a déclaré que les négociations étaient loin d’aboutir et que le président renoncerait à un mauvais accord.

Les points d’achoppement

Rééquilibrer le commerce bilatéral est une priorité pour Donald Trump. Le locataire de la Maison Blanche veut obtenir des résultats concrets avant les élections de 2020. A ce dossier s’ajoutent des questions structurelles autrement délicates à résoudre et à mettre en œuvre. Pour réduire leur surplus sur les États-Unis, les Chinois s’engageraient à augmenter leurs importations de 1 200 milliards de dollars sur six ans – soit presque le double du montant actuel chaque année. Préoccupant pour les autres fournisseurs de la Chine, cet accord ne pose pas de problème aux Chinois et les Américains n’auront pas de difficulté à mesurer les progrès.
Ce ne sera pas le cas pour les autres dossiers. Transferts forcés de technologie, cybersécurité, respect de la propriété intellectuelle, barrières non tarifaires, traitement des entreprises d’État… Les Américains ont encore ajouté la manipulation du taux de change. Cette initiative a d’ailleurs surpris. Si la Chine, comme les autres pays asiatiques, a pratiqué la dévaluation compétitive pour doper ses exportations, ce n’était plus le cas depuis quelques années. Les Américains accusent cependant la Banque populaire de Chine d’être intervenue sur le marché des changes en 2018 pour effacer l’impact de la hausse de 10 % des tarifs douaniers américains par une baisse équivalente du yuan. Les Chinois rétorquent que sans cette intervention, cette baisse aurait été plus forte.
Les Américains, eux, plaident pour une stabilisation de la parité dollar-yuan. Une proposition repoussée par les Chinois. Ils s’opposent également aux demandes concernant le traitement privilégié des entreprises d’État – accès au crédit bancaire, subvention pour le prix de l’énergie ou allègements d’impôts. Les Américains dénoncent ces avantages qui créent une distorsion de concurrence, tout en acceptant des exceptions comme ils l’ont fait avec le Vietnam dans les négociations du Partenariat transpacifique (TPP). Or ces demandes sont difficilement acceptables par Xi Jinping. Comme l’analyse Nicholas Lardy dans un ouvrage récent, le président chinois a recentré le développement sur les sociétés d’Etat.

Comment s’assurer de la mise en œuvre des résolutions ?

A Pékin, l’Assemblée nationale a par contre voté la loi interdisant les transferts obligés de technologies – le gouvernement a longtemps nié leurs existences. Elle a également entériné des mesures d’ouverture au secteur financier, a mis fin à l’obligation de s’associer avec un partenaire chinois et a modifié la juridiction de la propriété intellectuelle. Tout cela reste insuffisant pour Donald Trump, fustigeant ses prédécesseurs qui se contentaient de promesses. Les négociateurs américains mettent l’accent sur la mise au point de procédures de suivi inspirées de celles qu’ils pratiquent avec d’autres pays. Il serait ainsi prévu une vingtaine de réunions par an et une forte mobilisation de l’administration américaine par laquelle transiteraient les demandes des entreprises.
Comment mesurer les avancées et, le cas échéant, sanctionner les écarts ? L’administration américaine devra-t-elle imposer immédiatement des hausses de tarifs douaniers en cas de dérives comme pour l’accord sur l’automobile avec la Corée du Sud ? Ou bien choisira-t-elle des indicateurs de résultat avec un objectif fixé à atteindre, comme une part de marché ? Laissera-t-elle dans ce cas aux Chinois le choix des moyens comme avec le Japon ? Les pénalités seront-elles décidées de façon unilatérale ou par une commission bilatérale ? Enfin, en cas d’accord, que deviendront les tarifs instaurés en juillet 2018 ? Les Chinois demandent le retour à la situation ex ante, tandis que les Américains souhaitent le maintien des nouvelles taxes imposées.
Les négociations peuvent buter sur plusieurs écueils. La conjoncture économique pousse Xi Jinping à un accord et, après l’échec du sommet avec Kim Jong-un, la conjoncture internationale pousse Donald Trump à se montrer plus conciliant que certains de ses conseillers. Mais si les deux parties aboutissent à signer une trêve, elle sera fragile.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).