Politique
Note de lecture

Livre : le monde face au "risque" chinois

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Nikkei Asian Review)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Nikkei Asian Review)
La Chine n’est plus un « défi » pour le monde, mais un « risque » menaçant pour l’Occident et ses valeurs. C’est en substance l’avertissement de La Chine e(s)t le monde, essai sur la sino-mondialisation, par Sophie Boisseau du Rocher, chercheure associée à l’Ifri, et Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’institut Thomas More. L’ouvrage rédigé par deux excellents connaisseurs de l’Asie, offre des clefs essentielles pour analyser l’émergence d’une superpuissance dont le destin nous concerne tous.
Le titre en forme de jeu de mots souligne le rapport complexe que la Chine entretient avec le monde. A la moitié du XIXème siècle, l’Empire du milieu qui se considérait entre Ciel et Terre, est tombé de son piédestal lorsque les puissances occidentales lui ont imposé des traités que les Chinois ont interprété comme inégaux dans les années 1920. En réalité, notent les auteurs, ce n’est pas l’inégalité qui les choque avant tout. C’est plutôt « l’égalité westphalienne » – les États-nations égaux et indépendants au lieu de la loi du plus fort – imposée à eux par l’Occident.
La place de la Chine dans le monde rappelle celle de l’éléphant dans une pièce que des observateurs aux yeux bandés tentent d’identifier en touchant l’un la trompe, l’autre les pattes ou le corps. Chacun analyse des parties sans réussir à les relier à un ensemble cohérent. La Chine vante son « émergence pacifique » et ses dirigeants proclament que la guerre n’est pas dans son ADN. Une bonne conscience qui tranche avec la réalité historique : un budget militaire qui augmente plus vite que le PIB et la transformation en bases navales d’îlots en mers de Chine du Sud. Les Chinois prévoit d’occuper la première place mondiale tout en revendiquant le statut de pays en développement. Se posant aujourd’hui en « héraut de la mondialisation », le pays n’est qu’entrouvert. Signataire du traité de Paris, il maintient ses centrales à charbon pour protéger l’emploi et ses émissions, deux fois celles des États-Unis, ne cessent d’augmenter.
De chapitre en chapitre et par touches successives, les auteurs nous aident à mieux cerner l’éléphant de la pièce. Dans un passage particulièrement glaçant, ils explorent le système de notation citoyenne qui doit couvrir le pays en 2020. De ce système qui vise à évaluer la vertu des citoyens, dépendent des droits publics – emploi, passeport – et privés. Ainsi en 2018, ce système a justifié de bloquer la vente de 9 millions de billets d’avion à des personnes mal notées tandis qu’un message avertissait ceux qui cherchaient à les joindre au téléphone. Situant la construction de ce système dans l’histoire longue chinoise, les auteurs rappellent les distinctions qui séparaient la population en catégories souvent étanches et qui se retrouvent dans le système du hukou, cet état-civil datant de la dynastie Han et repris par la Chine maoïste. Ce passeport interne crée un véritable apartheid social au détriment de millions de travailleurs migrants, les mingong. Le fonctionnement du système de crédit social bénéficie de la couverture globale de vidéo-surveillance, appelée « clarté de neige ». Un système que les auteurs se refusent à qualifier d’orwellien car si Big Brother visait le pouvoir pour le pouvoir, ce n’est pas le cas du Parti communiste chinois. Héritier de la bureaucratie céleste, il cherche à créer une « société civilisée » et « renforcer la confiance mutuelle des citoyens ».
Comme tous les systèmes totalitaires, la Chine a profité des faiblesses des démocraties. Cependant, la réaction américaine que partagent un certain nombre de pays européens, et la montée de la défiance au sein des pays où passe les « Nouvelles Routes de la Soie » en témoignent : la Chine a dépassé un seuil de tolérance. S’ajoutent des vents contraires qui freinent sa croissance. La démographie, par exemple : l’âge médian étant de 37 ans, l’éventualité d’une crise économique grave ne serait pas nécessairement facile à absorber par les Chinois. Si une moitié de la population a vécu la pauvreté d’avant 1978, comment réagirait l’autre moitié qui n’a connu que « les trente glorieuses » depuis le lancement des réformes par Deng Xiaoping ? Quelle conséquence sur la légitimité d’un pouvoir devenu plus autoritaire depuis que Xi Jinping s’est autorisé à faire plus de deux mandats ? Autant de questions qu’il eut été intéressant d’aborder, de même que la relation sino-américaine longtemps caractérisée par une fascination réciproque. Si la Chine ne fascine plus les États-Unis mais seulement les grandes entreprises, le « Beau Pays » (meiguo) fascine les Chinois et sa classe dirigeante, qui y investit ses économies et envoie ses enfants dans les meilleures universités.

A lire

La Chine e(s)t le monde, essai sur la sino-mondialisation, par Sophie Boisseau du Rocher et Emmanuel Dubois de Prisque, Odile Jacob, 2019, 296 pages.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).