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Mer Caspienne : la Russie assoit son influence, la Chine guette

Vladimir Poutine et la Russie sortent vainqueurs "politiques" de l'accord signé pour les partage des richesses de la mer Caspienne le 12 août 2018 à Aktaou au Kazakhstan. (Source : La Voix du Nord)
Vladimir Poutine et la Russie sortent vainqueurs "politiques" de l'accord signé pour les partage des richesses de la mer Caspienne le 12 août 2018 à Aktaou au Kazakhstan. (Source : La Voix du Nord)
Le dimanche 12 août 2018 était à marquer d’une pierre blanche. Après plus de vingt-cinq années de négociations et une dizaine de rencontres, les dirigeants des États riverains de la mer Caspienne ont signé ensemble, dans la ville portuaire d’Aktaou au Kazakhstan, un accord pour définir le statut juridique de cet espace maritime. Un accord historique pour cette mer, pivot géostratégique entre ces trois grandes régions de l’Asie « intermédiaire » que sont l’Asie centrale, le Caucase et le Moyen-Orient. Les cinq État riverains, la Russie, l’Iran, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan se partagent ainsi des réserves d’hydrocarbures, estimées à près de 300 000 milliards de m3 de gaz naturel. Cet accord est le résultat de plusieurs concessions, mais chaque État y trouve finalement son compte pour des raisons différentes. Il est possible de distinguer deux types de réussites pour chacun des pays : d’un côté ceux qui en tireront un véritable bénéfice économique et ceux pour qui l’accord politique et diplomatique prime sur l’économie.

Les vainqueurs « économiques »

Les trois principaux bénéficiaires de cet accord sont les États d’Asie centrale et du Caucase : le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan. Astana récupère de cette zone le plus gros gisement pétrolier équivalent à 13 milliards de barils. Un succès pour le Kazakhstan qui accueillait le sommet dans l’ancienne ville de Chevtchenko, du nom d’Aktaou sous l’URSS. Il était donc attendu que le « pays hôte » récupère une grande partie des gisements qu’il réclamait depuis vingt ans. Le Turkménistan et l’Azerbaïdjan ne sont pas en reste et pourront profiter de ressources jusque-là inexploitées à cause du vide juridique entourant la Caspienne.
L’accord bénéficie donc largement à ces trois États, dont le point commun est une économie basée sur l’exportation d’hydrocarbures. Pour le Turkménistan, ces nouvelles ressources pourraient renforcer la mise en place du projet TAPI, un gazoduc reliant le pays à l’Afghanistan, au Pakistan et à l’Inde. Annoncé en décembre 2015, il devrait voir le jour en 2019. L’Azerbaïdjan de son côté devrait profiter de l’ouverture de la Caspienne à la construction de pipelines. Alors que ses principaux fournisseurs sont en Europe, Bakou pourrait envisager d’augmenter ses revenus en Asie, où pour l’instant seule l’Indonésie fait office de client important.

La Russie, vainqueur « politique »

Le principal vainqueur politique est bien évidemment la Russie. Cet accord va permettre l’accroissement des ressources pour plusieurs États, concurrents énergétiques de Moscou, notamment le Turkménistan. Le Kremlin a donc fait des concessions à ses voisins et souhaite avant tout montrer qu’il est initiateur d’accords et de stabilité dans cette région. Une image qui lui faisait défaut depuis les crises géorgienne (2008), ukrainienne (2014) et syrienne (2011-2018). De plus, face à Pékin qui étend son influence en Asie centrale via les « Nouvelles routes de la soie », Moscou assume avec cet accord un leadership régional, capable de mettre fin à plus de deux décennies de pourparlers.
Hormis l’accord en lui-même, les Russes, comme les Iraniens, ont atteint un objectif diplomatique importante : l’exclusion de la marine américaine de la Caspienne. Ce risque était encouru par les liens politiques existants entre Washington et Bakou. Avant ce sommet, la mer Caspienne n’était ni une mer ni un lac au regard du droit international. L’accord signé le 12 août confirme cette ambivalence. La règlementation des frontières maritimes s’appliquera comme s’il s’agissait d’une mer, mais comme pour un lac, aucune troupe étrangère ne pourra y stationner. De fait, l’accord exclu donc toute présence américaine dans la Caspienne. Une bonne nouvelle pour Moscou, qui cherche à réduire l’influence de Washington dans la région.

L’Iran, grand perdant de l’accord ?

Autrefois, la Caspienne était un lac intérieur de la puissance perse. Plusieurs défaites militaires au XIXème siècle contre l’empire russe, ont fait perdre à l’Iran cette domination sur la plus grande mer fermée du globe. Une situation qui va en s’empirant aujourd’hui, puisque l’Iran semble en retrait des autres États riverains. En effet, Téhéran récupère la plus petite zone de la Caspienne.
Pourtant, tout n’est pas perdu. Cet accord intervient dans une période de fortes tensions, avec les nouvelles sanctions américaines, qui font suite à la rupture de l’accord sur le nucléaire. L’extra-territorialité du droit américain permet aux États-Unis de faire pression sur les autres pays pour cesser de commercer avec l’Iran. Le gouvernement iranien qui perdra à court terme ses partenaires européens, a donc besoin de renforcer ses relations régionales. C’est le résultat obtenu au sommet du 12 août. Alors que l’Iran a par le passé montré certaines velléités impérialistes sur cette région de la Caspienne, le gouvernement de Téhéran accepte aujourd’hui une concession dont on ne le croyait pas capable. Cet accord a, par ailleurs, été l’occasion pour l’Iran de négocier de futurs projets communs avec l’Azerbaïdjan. Bien que Téhéran ne sorte pas renforcé de cet accord, il arrive à en tirer des avantages circonstanciels.
Avec la signature de cet accord et la possibilité de construire des gazoducs dans la mer Caspienne, le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan vont parvenir un objectif de longue date : réduire leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et de l’Iran. Pour y arriver, ces trois États devront néanmoins s’entendre ensemble. La Chine pourrait également en profiter pour son projet de « Nouvelles routes de la soie » (BRI) et à plus long terme si elle souhaite elle aussi réduire sa dépendance énergétique aux hydrocarbures russes. S’il est possible de se réjouir de l’entente régionale entre les cinq pays riverains de la mer Caspienne, il n’est pas sûr que cet accord favorise les intérêts des États européens. Au contraire, l’assise du leadership russe sur la région et l’impact croissant de la Chine, combinées aux réticences des sociétés civiles européennes à se lier à des pays au fonctionnement souvent peu démocratique, sont autant de barrières pour le développement d’une influence européenne dans cette partie du monde.

Pour aller plus loin

Frédéric Grare, « La nouvelle donne énergétique autour de la mer Caspienne : une perspective géopolitique », in Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, 1997.

Vincent Doix, « Stratégie de la mer Caspienne : le dernier avatar de la mainmise russe », in Diploweb, 25 septembre 2016.

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A propos de l'auteur
Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s'intéresse d'abord au monde russophone et au Moyen-Orient, puis se passionne pour les questions asiatiques après avoir vécu plusieurs mois en Corée du Sud.