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Sommet Trump-Kim : la Russie cherche une place

Le président russe Vladimir Poutine. (Source : CNN)
Le président russe Vladimir Poutine. (Source : CNN)
On croyait la Russie hors-jeu. Alors que la planète a les yeux tournés vers Singapour et la probable rencontre entre les dirigeants américains et nord-coréens le 12 juin prochain, Moscou semblait en retrait du processus diplomatique en cours depuis le début de l’année. Un retrait qui étonnait, tant Vladimir Poutine s’était attaché ces dernières années à devenir incontournable sur la scène internationale. Mais les doutes se sont dissipés la semaine passée avec la visite à Pyongyang du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.
En 2018, l’activité diplomatique russe dans la crise coréenne détonne par rapport à 2017. En effet, lors de la crise diplomatique de l’année précédente, la Russie avait été omniprésente aux côtés de la Chine pour tenter de détendre la situation entre Donald Trump et Kim Jong-un. Le Kremlin proposait une solution claire pour les deux parties : l’arrêt des essais nucléaires d’une part et la réduction de la présence militaire américaine en Corée du Sud, d’autre part. Cette position a donné lieu en juillet 2017, à la présentation d’un plan de « double gel » proposé à la fois par Moscou et par Pékin. L’objectif était alors pour Moscou, comme pour Pékin, d’éviter une augmentation significative de la présence américaine dans la région.
Depuis le revirement nord-coréen au début de l’année 2018 et la volonté affichée par Pyongyang de négocier avec Washington, la diplomatie russe semblait avoir disparu des radars. Seule une délégation nord-coréenne s’est rendue à Moscou en février, puis en avril dernier pour négocier des accords bilatéraux. La rencontre entre Sergueï Lavrov, son homologue nord-coréen et Kim Jong-un le 30 mai dernier, a pourtant montré que Moscou souhaitait avoir son mot à dire dans cette phase diplomatique historique. L’occasion pour le Kremlin d’occuper un agenda international jusque-là centré sur la rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un. Preuve de cette volonté « d’occuper le terrain », la diplomatie russe a invité le chef de l’État nord-coréen à participer à un « sommet » avec le président Vladimir Poutine. Un terme qui fait évidemment écho au sommet de Singapour.
Si la Russie essaie d’être visible sur la scène internationale, a-t-elle pour autant les moyens d’influencer les futures négociations ? Rien n’est moins sûr, tant la Russie semble en retrait de la Chine sur la question nord-coréenne. Si les deux pays possèdent une position assez similaire, Pékin paraît bien mieux armé pour influencer Pyongyang et Washington dans les futures négociations. Avec ce retrait, la Russie paie l’asymétrie de ses relations, économique notamment, avec la Chine en Asie et ne peut prétendre à ce rôle-clé d’entremetteur qu’elle a occupé ailleurs. Par exemple, lors des négociations sur le nucléaire iranien, Moscou avait eu un rôle de médiateur entre Européens et Iraniens. Pyongyang est bien moins dépendant de la Russie que de la Chine et les relations tendues entre Moscou et Washington laissent penser que l’influence russe dans le jeu américain est minime.

Quelles solutions peuvent apporter les Russes?

Aucune pour ce qui concerne le futur sommet de Singapour. Mais, il y aura un après Singapour et c’est dans cette optique que le Kremlin a envoyé une invitation à Kim Jong-un. Peu importe quelles seront les avancées diplomatiques le 12 juin, a priori la situation ne sera pas résolue. Ainsi, dans la perspective de discussions plus globales, la Russie pourrait être un intermédiaire de poids. Un intermédiaire dans des discussions entre Pyongyang, Séoul et Tokyo par exemple, où Moscou paraîtrait plus neutre que ses vis-à-vis chinois et américains. Le Kremlin pourrait également être un entremetteur crédible entre Nord-coréens et Européens, reproduisant le schéma iranien. Enfin pour Pyongyang, il peut être intéressant de s’appuyer sur une autre puissance partenaire que la Chine.

Quels peuvent être les bénéfices pour la Russie ?

Moscou n’attend pas beaucoup des futures négociations sur le nucléaire nord-coréen. Mais les Russes espèrent être assez présents sur la scène diplomatique pour se donner une image crédible en Asie. La Russie pourrait ainsi renforcer ses liens économiques avec la Corée du Sud et le Japon. Elle espère également devenir un acteur incontournable sur le continent asiatique au-delà de l’Asie Centrale, en Asie de l’Est, mais aussi dans le sous-continent indien. De sa présence dans le dossier nord-coréen la Russie souhaite tirer une forme de soft power régional et ainsi prétendre à de nouveaux partenariats, nécessaires à Moscou depuis son isolement du continent européen. S’il a parfois été question à tort d’un « pivot asiatique russe », l’affaire nord-coréenne rappelle au moins que la Russie a acté son ré-équilibrage diplomatico-économique entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie.

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A propos de l'auteur
Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s'intéresse d'abord au monde russophone et au Moyen-Orient, puis se passionne pour les questions asiatiques après avoir vécu plusieurs mois en Corée du Sud.