Politique
Fenêtre sur les Corées

Déception en Corée du Sud après l'annulation du sommet Kim-Trump

Médaille fabriquée par la Maison Blanche pour le sommet Donald Trump / Kim Jong-un prévu le 12 juin prochain, et finalement annulé par Washington
De la déception, de la consternation, de la colère aussi parfois. Après l’annulation par la Maison Blanche du sommet prévu le 12 juin prochain entre Donald Trump et Kim Jong-un, la Corée du Sud s’est réveillée ce vendredi avec la gueule de bois. A l’image du gouvernement sud-coréen, les réseaux sociaux semblent sonnés par le communiqué américain. Les efforts de paix doivent toutefois se poursuivre, affirment une partie des internautes, avec ou sans les États-Unis.
Ce n’est même plus une question de revers, c’est toute la médaille qui est en chocolat. Gravée en prévision du sommet de Singapour initialement prévu le 12 juin prochain, la plaque commémorative de la réconciliation entre Washington et Pyongyang est devenue le symbole d’un rendez-vous manqué avec l’Histoire. Mais tout n’est pas perdu ! Seule l’année figure sous les profils de Donald Trump et Kim Jong-un, il reste donc de la marge pour fixer un nouveau rendez-vous, notent les optimistes. De toute façon, « il n’ y a pas d’autre choix que le dialogue », scandaient ce vendredi, place Gwanghwamun à Séoul, une trentaine de militantes de la « Marche internationale des femmes pour la paix » conduite par l’Irlandaise et prix Nobel de la Paix Mairead Maguire.
Manifestation pour la paix place Gwanghamun à Séoul ce vendredi 25 mai 2018 (Copie écran Oh My News)

« L’ennemi américain »

Cette mobilisation des « femmes pour la paix » contraste avec la désillusion largement répandue sur les réseaux sociaux, et cette impression de tourner la page d’un dialogue retrouvé depuis le 1er janvier dernier. La sensation également, récurrente dans ces Balkans de l’Asie, de ne pas être maître de son destin. De nombreux commentaires renvoient ainsi la responsabilité de l’échec à la Maison Blanche : « Malgré les efforts de médiation du président Moon Jae-in, Donald Trump a décidé unilatéralement de renverser la table. » « La dégradation des relations avec la Corée du Nord est liée à l’intransigeance des faucons aux États-Unis. » « Annulation du sommet de Singapour, les citoyens sont en colère », titre le site d’information No Cut News. Les claviers les plus durs sont encore ceux de la jeunesse. La Fédération des étudiants progressistes de Corée du Sud file ainsi le thème de « l’ennemi américain ». La stratégie de Donald Trump est comparée au « marchandage malhonnête » d’un bonimenteur, face à une Corée du Nord qui aurait rempli sa part de contrat en libérant les otages américains et en détruisant les tunnels d’accès au site d’essai nucléaire sous-terrain de Punggye-ri.
La décision d'annuler le sommet de Singapour qualifiée de "marchandage malhonnête" par un internaute Sud-Coréen

Reporter pour mieux sauter

*Crêpe coréenne à la cannelle et aux cacahuètes. **Palais présidentiel à Séoul.
La douche froide est à la mesure des espoirs suscités par ces derniers mois de détente entre Washington et Pyongyang. Les efforts de médiation de Moon Jae-in seraient retombés comme un hotteok* mal cuit. L’annonce de Donald Trump constitue un camouflet pour la Maison Bleue**. Elle affaiblit l’alliance sud-coréano-américaine et pourrait entraîner un nouveau risque d’escalade dans la Péninsule : « Je suis très perplexe et regrette beaucoup que le sommet entre la Corée du Nord et les États-Unis ne puisse avoir lieu le 12 juin », a déclaré le chef de l’État sud-coréen lors de la réunion d’urgence convoquée à la résidence présidentielle, avant d’exhorter les dirigeants américain et nord-coréen à reprendre le dialogue. Ce « report » du sommet permettra-t-il de prolonger les négociations et, au final, de mieux sauter les obstacles qui continuent de bloquer les discussions entre Nord-Coréens et Américains ? Le message de Séoul a, en tous cas, été entendu à Pyongyang. La Corée du Nord a désormais le beau rôle. Les autorités nord-coréennes sont disposées à « discuter avec les États-Unis, n’importe quand », a affirmé Kim Kye-gwan, le premier vice-ministre nord-coréen des Affaires étrangères dans des propos repris par l’agence Yonhap.
Message sur les réseaux sociaux en Corée du Sud commentant l'annulation du sommet de Singapour et les supposés jeux de l'amour et du bazar entre Donald Trump et Kim Jong-un.

« Diplomatie du bord du gouffre »

Le poker menteur se jouant à cinq joueurs, il reste maintenant à connaître les réactions de la Chine et du Japon. En attendant, certains prennent les choses avec recul. Sur les réseaux sociaux, Donald Trump est décrit comme un « comédien » passionné de dramaturgie. Peut-être même qu’il s’agit d’amour vache : « Ils s’aiment ces deux-là », écrit un internaute faisant allusion à l’attitude du président américain et du dirigeant nord-coréen. Habituée à la cyclothymie du régime de Pyongyang, la Corée du Sud découvre que la bipolarité est aussi la marque des Etats-Unis de Donald Trump. La « diplomatie du bord du gouffre » n’est plus l’apanage de la Corée du Nord. Et si la stratégie jusqu’au-boutiste d’un ancien homme d’affaire devenu président est passablement risquée dans une péninsule armée jusqu’aux dents, elle pourrait aussi marquer des points, estiment certains commentateurs. La tactique de la surprise et du revirement déconcerte le pouvoir en Corée du Nord, explique ainsi Shin Beom-chul, professeur au Hasan Institute For Policy Studies, sur la chaîne SBS. « Quand Donald Trump dit : ‘si tu en as envie, vas-y ! Saute, je t’attends en bas !’ Il embarrasse Kim Jong-un. »
Par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.