Politique
Fenêtre sur les Corées

Rapprochement avec Pyongyang : la stratégie eurasienne de Moon Jae-in

Carte des nouvelles lignes d'échanges Sud-Nord via la Russie, la Chine, la Mongolie, le Japon, l'Eurasie. Crédit : Busan Ilbo
Après s’être échangé des noms d’oiseaux pendant plusieurs mois, Donald Trump et Kim Jong-un en sont donc revenus aux mots doux. Un sommet entre les deux meilleurs ennemis pourrait avoir lieu d’ici à la fin mai. Séoul, qui a joué les intermédiaires dans ce rabibochage, espère au moins tenir la chandelle. Le rôle est traditionnellement dévolu à Pékin, mais pas question de regarder passer les ballons. Pour le président Moon Jae-in, l’avenir de la péninsule coréenne passe définitivement par un renforcement des échanges avec le nord de l’Asie, et l’Eurasie.
On connaissait les « Nouvelles Routes de la Soie » chinoises, voici la stratégie sud-coréenne des « 9 ponts ». Présenté par le président sud-coréen à l’occasion du dernier forum économique de Vladivostok, le projet vise à renforcer les échanges et la coopération avec une région qui englobe la Chine, la Russie, la Mongolie, le Japon jusqu’à l’Arctique, en passant évidemment par la Corée du Nord. En développant l’économie de la « région Nord » (« Bukbang Gyeongje »), les diplomates sud-coréens espèrent apaiser les tensions dans la péninsule. Ils rêvent notamment d’un futur pipeline transportant le gaz russe en Corée du Sud via la Corée du Nord, ou encore d’un train entre les deux Corées rejoignant le transsibérien. Une manière de diversifier les routes d’approvisionnement et les débouchés pour Séoul.

Contexte

La rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un promet d’être historique. Encore faut-il qu’elle ait lieu ! Et pour cela, il faut justement trouver un lieu. La Maison Blanche n’envisageant pas un déplacement de Donald Trump à Pyongyang, et Kim Jong-un n’étant pas un grand adepte des voyages à l’étranger, les choses s’annoncent compliquées. A l’exception de ses études en Suisse, le leader nord-coréen a jusqu’à présent passé très peu de temps à l’extérieur de son pays. Depuis son intronisation à la tête du régime, il n’a même pas franchit – du moins officiellement – la frontière chinoise, comme le faisait son père à bord de son train blindé. On imagine donc difficilement le leader nord-coréen se rendre aux États-Unis. Pourquoi pas la Suède dans ce cas ? Probablement trop loin pour Pyongyang, qui pourrait préférer, si la rencontre n’est pas annulée, la Chine ou la zone démilitarisée entre les deux Corées.

Compromis ou fermeté

Cette stratégie sud-coréenne des « 9 ponts » s’inscrit dans la politique d’ouverture menée par la nouvelle administration démocrate vis-à-vis de la Corée du Nord. Artisan de la retombée des tensions, le président sud-coréen Moon Jae-in entend poursuivre sa politique de dialogue mise en pratique à l’occasion des Jeux Olympiques cet hiver. Mais jusqu’où placer le curseur ? Sachant qu’à Séoul, l’idée d’une rencontre Washington-Pyongyang, sans véritable concession de la part du régime des Kim, est loin de faire l’unanimité. « Aucun compromis n’est possible avec la Corée du Nord », nous confiait ainsi le professeur Cheong Seong-chang en septembre dernier.
Les adeptes de la fermeté avec le Nord semblent toutefois marquer le pas. Quand les partisans d’un dialogue retrouvé avec Pyongyang entendent capitaliser sur les échanges développés à l’occasion des Jeux de Pyeongchang. Une stratégie qui selon le député Kim Han-jeong doit s’accompagner à la fois d’un changement de perception et de perspective. Pour ce parlementaire, autrefois conseiller de l’ancien président sud-coréen Kim Dae-jung, le réchauffement entre les deux Corées passe en effet, là encore, par une intensification des échanges dans cette fameuse « région Nord ».

Changement d’état d’esprit

Député de la majorité au pouvoir en Corée du Sud, Kim Han-jeong se souvient très bien des années où le soleil « brillait » entre les deux Corées (1998-2008). Il se souvient parfaitement aussi, et pour cause il était présent, de cette poignée de main échangée le 13 juin 2000 sur le tarmac de Pyongyang entre le secrétaire général de la République populaire démocratique de Corée, Kim Jong-il, et le président de la République de Corée Kim Dae-jung. L’étreinte a fait le tour des écrans du monde entier. Elle a valu a l’ancien chef de l’État sud-coréen le prix Nobel de la Paix.
La situation a aujourd’hui totalement changé, explique Kim Han-jeong dans une conférence diffusée sur les réseaux sociaux. Malgré les évolutions de ces dernières semaines, la situation demeure tendue sur le plan de la sécurité. Mais les choses évoluent très vite. Il faut donc se préparer à « un tournant », explique ce député du parti démocrate (Minjudang). Pour cela, un changement d’état d’esprit serait nécessaire. Est-ce que les Américains ont peur de l’arsenal nucléaire anglais ou est-ce que nous avons peur des bombes atomiques de la Chine, demande le parlementaire ? Changer de point de vue sur le nucléaire nord-coréen permettrait d’éviter une nouvelle crise comme celle que la péninsule a connu ces derniers mois.

Changement de perspective

Kim Han-jeong fait également le constat suivant : 60 % des marchandises qui arrivent et sortent de Corée du Sud passent par les mers de Chine où les relations entre Pékin et Washington sont très tendues. Pour contourner cet « océan rouge », il faut donc regarder plus au Nord et relancer les échanges entre la Russie et la Corée du Sud, passant par la Corée du Nord. A l’époque de la politique du « soleil qui brille », même les vaches passaient la ligne de démarcation. Matières premières, énergie, biens de consommations : cette nouvelle « économie du Nord » serait également un moyen habile de s’appuyer sur les Nouvelles Routes de la Soie chinoises.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.