Politique
Entretien

Cheong Seong-chang : "Aucun compromis n’est possible avec la Corée du Nord aujourd'hui"

Un Sud-Coréen devant un écran de la gare de Séoul retransmettant la déclaration du leader nord-coréen Kim Jong-Un, le 22 septembre 2017. Le président américain Donald Trump est "mentalement dérangé" et "paiera cher" pour ses menaces, a alors affirmé Kim Jong-Un. (Crédits : JUNG Yeon-Je / AFP)
Un Sud-Coréen devant un écran de la gare de Séoul retransmettant la déclaration du leader nord-coréen Kim Jong-Un, le 22 septembre 2017. Le président américain Donald Trump est "mentalement dérangé" et "paiera cher" pour ses menaces, a alors affirmé Kim Jong-Un. (Crédits : JUNG Yeon-Je / AFP)
Voilà une vingtaine d’années que Cheong Seong-chang répond aux questions des observateurs soucieux de l’avenir des deux Corées. Ce professeur à l’Institut Sejong de Séoul compte parmi les meilleurs spécialistes des relations inter-coréennes. Conseiller auprès du nouveau président sud-coréen Moon Jae-in au sein de « l’Organisation consultative pour une réunification pacifique et démocratique de la péninsule », il donne ce vendredi 29 septembre une conférence à l’IRSEM, Ecole militaire, à Paris, sur le thème : « La politique extérieure du nouveau gouvernement sud-coréen et la question nucléaire nord-coréenne. » Le professeur est inquiet. Les relations sud et nord-coréennes sont dans l’impasse. La politique de dissuasion de Séoul également. Face à une Corée du Nord bientôt capable de frapper le territoire américain, 60% des Sud-coréens poussent Séoul à se doter de la bombe.

Corées : A qui profite l’escalade ?

La guerre de Corée n’aura pas lieu. Pas tout de suite en tous cas. Comme lors de la crise des missiles au printemps 2013, la plupart des observateurs s’accordent à le penser. Non pas que les rodomontades et les jeux de manche de Pyongyang et de Washington soient à prendre à la légère ou que les deux parties n’aient pas réellement envie d’en découdre, mais parce que chacun sait bien, à commencer par les dirigeants en Corée du Nord, combien cette guerre serait totale et destructrice pour la péninsule. La guerre de Corée n’aura pas lieu, car elle serait folie. Et malgré des comportements parfois jugés fantasques, malgré une certaine extravagance capillaire, ni Donald Trump, ni Kim Jong-un ne sont fous.
Ce qui n’empêche pas d’être inquiet. Habitués à avoir des missiles sur la tempe depuis la fin de la guerre de Corée, les Sud-Coréens sont d’ordinaire plutôt stoïques face aux menaces de Pyongyang. Cette fois, la peur semble avoir gagné du terrain. Ce n’était pas arrivé depuis la mort du dirigeant nord-coréen Kim Il-sung : des sacs de survie, des conseils en cas de conflit ont fait leur apparition sur Internet, même si dans l’ensemble une grande partie de la population se refuse à croire au pire. Costumes sobres, petites lunettes, Cheong Seong-chang n’a guère changé physiquement. De ses années étudiantes à l’Université Paris X, il a conservé un français impeccable. Mais chez lui aussi, le regard s’assombrit lorsqu’on évoque le futur de la péninsule. La Corée du Nord et les Etats-Unis n’ont pas fait que s’échanger des noms d’oiseaux ces derniers jours, elles jouent aussi à un jeu dangereux : tests nucléaires et tirs de missiles nord-coréens contre manœuvres navales et avions américains qui jouent à frôle moustaches avec Pyongyang.
Le temps de réaction dans un cockpit étant beaucoup plus réduit qu’à la barre d’un navire, un accident est vite arrivé, rappelait Stéphanie Klein Albrandt au sujet de la querelle entre Pékin et Tokyo en mer de Chine orientale. Même chose ici en mer Jaune ou en mer de l’Est (mer du Japon pour les Coréens). Celles et ceux qui pensaient que les pressions et les intérêts des empires voisins de la péninsule permettraient de figer les Balkans de l’Asie dans le formol de l’armistice de 1953, se sont mis le missile dans l’œil. Les révolutions arabes, la montée d’Internet qui rapproche les peuples malgré la censure, sont passées par là ! Le régime de Pyongyang s’inquiète pour sa survie et n’envisage sa pérennité qu’au travers de l’atome. Ce qui n’a fait qu’accentuer le déséquilibre avec le voisin sud-coréen. Et Séoul se retrouve aujourd’hui exclue de la partie.
Professeur Cheong Song-chang. Crédits: Stéphane Lagarde Asialyst
Le président Moon Jae-in, qui a pris ses fonctions en mai dernier, est pourtant un partisan du rapprochement avec le Nord. Il souhaitait même se rendre à Pyongyang. Dialogue de sourd. Depuis 1953, le régime nord-coréen ne reconnaît pas le gouvernement de Séoul. « Aucun compromis n’est possible avec Pyongyang », regrette aujourd’hui Cheong Seong-chang qui a autrefois défendu la politique dite du « rayon de soleil » de l’ancien président Kim Dae-jung. Cette dernière a été abandonnée par le ministère sud-coréen de l’Unification en 2010. Un an plus tard, la mort du dirigeant nord-coréen Kim Jong-il n’a rien arrangé et les relations entre les deux Corées n’ont fait que se dégrader. Pour le professeur Cheong, deux options permettraient de mettre un terme à la surenchère de Pyongyang : 1) Le développement d’une force de dissuasion nucléaire au Sud, ce dont ne veut pas Séoul pour le moment ; 2) L’achat du système anti-missiles américain THAAD et sa prise en main par la Corée du Sud de manière à rassurer la Chine. Pour ce spécialiste de la Corée du Nord, seul Pékin peut faire pression sur son allié en lui coupant le robinet à pétrole.
Ce qui nous fait revenir à notre question de départ : A qui profite l’escalade ? Outre l’angoisse existentielle de Kim junior quant au maintien de son régime, ce qui a changé c’est aussi l’attitude des Etats-Unis concernant la péninsule, notait ce jeudi 28 septembre pour la première fois Yonhap. A l’image de l’opinion en Corée du Sud, l’agence de presse sud-coréenne s’inquiète visiblement autant des gesticulations de Kim Jong-un que des invectives de Donald Trump. Le président américain souhaitait que les alliés des Etats-Unis mettent la main à la poche en échange du soutien américain. La montée des tensions dans la péninsule va visiblement dans ce sens et invite la Corée du Sud à s’équiper d’avantage en armes américaines. Certains comme le professeur Cheong vont même plus loin et réclament, au nom de l’équilibre stratégique, le développement d’une force nucléaire en Corée du Sud. Une chose est sûre : personne n’a intérêt aujourd’hui à l’installation d’un scénario à la syrienne en Asie du Nord-Est, au cœur de l’économie monde. Mais vue l’attitude de Washington sur le dossier, la solution ne peut venir que de Pékin.

Entretien

Comment réagissez-vous à la montée des tensions entre Pyongyang et Washington ?
Cheong Seong-chang : Je suis très inquiet pour l’avenir de la péninsule coréenne. Si la Corée du Nord arrive à posséder des missiles intercontinentaux, elle ne va pas attaquer les Etats-Unis, mais elle peut attaquer la Corée du Sud au niveau des îles situées dans la Mer Jaune. Car la Corée du Nord a toujours été mécontente de la ligne NLL (Northern Limit Line) qui a été dessinée par le commandement américain après l’armistice [de 1953, NDLR]. Cette ligne impose de grandes limites aux Nord-Coréens pour leur accès à la mer. Elle est très contraignante notamment pour les pêcheurs nord-coréens qui ne peuvent pas s’éloigner de la côte pour aller pêcher le crabe.
Ces îles ont déjà été bombardées…
Le 23 novembre 2010, après la désignation de Kim Jong-un comme successeur de Kim Jong-il à la tête de la Corée du Nord, Pyongyang a utilisé son artillerie contre l’île sud-coréenne de Yeongpyeong en mer Jaune. C’était la première fois que la Corée du Nord attaquait ainsi directement le sol sud-coréen. Cela signifie que Kim Jong-un est beaucoup plus offensif que son père Kim Jong-il.
Ces îles sud-coréennes proches du littoral nord-coréen en mer Jaune restent une cible selon vous, plus que l’île américaine de Guam, par exemple ?
Je pense que Kim Jong-un ne s’attaquera pas à Guam, parce que cela provoquerait une guerre avec les Etats-Unis. Or la Corée du Nord ne peut s’offrir le luxe de mener une guerre contre la superpuissance américaine. L’objectif de Pyongyang, c’est que les Etats-Unis n’interviennent pas dans une guerre entre les deux Corées. C’est d’ailleurs pour cette raison que Pyongyang développe des missiles intercontinentaux. Si la Corée du Nord ne possède pas d’ICBM [Intercontinental Ballistic Missile, NDLR], les Etats-Unis peuvent l’attaquer. Si en revanche la Corée du Nord a les moyens de frapper le territoire américain, Washington n’osera pas s’attaquer à la Corée du Nord.
Si comme vous le laissez entendre, les Nord-Coréens s’en prenaient à nouveau aux îles sud-coréennes à la frontière, quelle serait la réaction de Séoul ?
La Corée du Sud riposterait. Mais si la Corée du Nord menace le Sud du feu nucléaire, alors là on ne peut rien faire. La Corée du Nord pourrait menacer de bombarder la ville de Séoul par exemple. Dans ce cas, la Corée du Sud ferait face à une situation très difficile.
« Si la Corée du Sud veut éviter une deuxième guerre, elle devra disposer de ses propres armes nucléaires. Les dirigeants en Corée du Sud n’y sont pas encore prêts. »
On a beaucoup entendu Donald Trump et Kim Jong-un ces derniers jours. La Chine et la Russie s’expriment, mais on n’entend peu Séoul et la diplomatie sud-coréenne semble inaudible. Qu’en est-il de la politique de dissuasion sud-coréenne ?
Depuis son entrée en fonction en mai dernier, le président Moon Jae-in renforce la capacité balistique sud-coréenne, avec des missiles capables d’atteindre Pyongyang. C’est nécessaire, mais cela ne suffit pas. Si la Corée du Sud veut éviter une deuxième guerre [inter-coréenne, NDLR], elle devra disposer de ses propres armes nucléaires. Mais les dirigeants en Corée du Sud n’y sont pas encore prêts. Les partisans du président Moon Jae-in sont opposés à la possession de l’arme nucléaire.
Pendant la campagne présidentielle, Moon Jae-in avait avait déclaré ne plus vouloir du bouclier américain anti-missiles THAAD (Terminal High Altitude Area Defense). Il semble avoir changé d’avis depuis son élection…
C’est aussi la situation qui a changé. Le président Moon Jae-in est partisan d’un rapprochement avec le Nord. Il était même prêt à se rendre à Pyongyang. Il voulait organiser un sommet avec Kim Jong-un. Mais la Corée du Nord a refusé la tenue de pourparlers entre les deux Corées. Après quoi, Kim Jong-un a effectué un 6ème essai nucléaire et procédé par deux fois au lancement de missiles intercontinentaux. Pour assurer l’autodéfense du pays aujourd’hui, il est impossible de retirer le THAAD. Du coup, c’est avec la Chine que nous devons trouver un compromis. Il faudrait par exemple que le gouvernement sud-coréen achète le THAAD aux Américains et qu’il gère seul ce système. Cela pourrait contribuer à calmer le mécontentement côté chinois.
Il faudrait que la Corée du Sud elle-même gère le système THAAD, c’est bien cela ?
Oui, alors bien sûr cela demandera du temps. Il faut compter un an d’apprentissage. Mais on constate que depuis le déploiement du THAAD, les investissements sud-coréens en Chine diminuent. Pékin a mis son embargo sur une série de produits sud-coréens. Les pertes pour l’économie sud-coréenne liées au déploiement du THAAD sont dix fois plus importantes que le coût de l’achat du THAAD. Si on l’achète, ce serait donc aussi un choix économique, sachant que le coût du système THAAD est à peu près équivalent au coût du programme nucléaire nord-coréen jusqu’à son troisième essai nucléaire en 2013.
C’est aussi ce que demande Trump d’ailleurs…
Oui, Trump demande à ce que les alliés des Etats-Unis, dont la Corée du Sud, payent pour le soutient américain et en particulier ici pour le déploiement du THAAD. Je pense qu’il est tout à fait possible qu’une négociation ait lieu sur ce sujet entre le président Trump et le président Moon.
Autrefois, l’ex-président Kim Dae-jung disait que le plus court chemin pour aller à Pyonyang, c’était Pékin. C’est toujours votre point de vue ?
C’est en tous cas la Chine qui conserve le plus d’influence sur la Corée du Nord. Si la Chine décide d’arrêter de fournir du pétrole à son allié nord-coréen, le régime de Pyongyang sera obligé de faire un compromis avec Pékin et Washington. Or, comme la Chine ne veut pas utiliser cette carte, la Corée du Nord continue ses essais nucléaires et multiplie ses lancements de missiles intercontinentaux.
Pourquoi la Chine ne joue-t-elle pas le jeu, selon vous ?
La Chine est un pays allié de longue date de la Corée du Nord. Beaucoup de soldats chinois sont morts pendant la guerre de Corée. Donc, la Chine ne peut pas abandonner la Corée du Nord d’un seul coup. Mais elle est obligée de faire un compromis avec la communauté internationale. Elle coopère donc avec les Etats-Unis, mais sur la pointe des pieds. Elle va beaucoup plus lentement que ce que l’on souhaiterait.
En terme d’embargo, la Chine sanctionne à la fois la Corée du Sud et la Corée du Nord…
L’économie sud-coréenne est touchée par l’embargo chinois, mais c’est surtout dans le domaine du tourisme et de la culture que cela produit des effets négatifs. Les exportations de la Corée du Sud vers la Chine ont au contraire augmenté et les économies chinoises et sud-coréennes restent interdépendantes. La Chine étant le premier partenaire économique de la Corée du Sud, il faut améliorer la coopération entre les deux pays.
Depuis l’ »armistice » de 1953, la Corée du Nord dit ne pas vouloir parler avec la Corée du Sud. Comment Séoul peut-elle revenir dans le jeu ?
Le président Moon veut organiser un sommet avec le président Kim, mais à la condition que la Corée du Nord revienne sur les bancs des « Pourparlers à six » [rassemblant les deux Corées, les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie, NDLR]. Or, Pyongyang a indiqué clairement ne pas vouloir renoncer aux essais nucléaires et ne pas vouloir s’asseoir à la table des négociations. Il n’y a donc aucun compromis possible entre les deux Corées aujourd’hui. La situation a beaucoup changé depuis 2009, depuis le second essai nucléaire nord-coréen. C’est inquiétant pour la Corée du Sud, mais pas seulement. La communauté internationale devrait prendre davantage la mesure de ce qui se passe. Si rien ne change, la Corée du Sud pourrait aussi devenir un Etat nucléaire. Si elle possède des armes nucléaires, alors la Corée du Nord ne pourra pas refuser le dialogue avec le Sud.
Donc, selon vous la Corée du Sud devrait s’équiper de l’arme nucléaire ?
Pour contrôler la menace nucléaire nord-coréenne, je pense que c’est la seule solution réaliste. On peut déployer des armes stratégiques américaines et dans ce cas-là, il peut y avoir un équilibre militaire entre les deux Corées. Mais la Corée du Nord continuera de s’adresser uniquement aux Etats-Unis, puisqu’il s’agit d’armes stratégiques américaines. La Corée du Nord continuera de menacer les Etats-Unis avec ses missiles. Donc, pour instaurer une paix dans la péninsule coréenne, il faut absolument un équilibre militaire entre les deux corées.
Qui est responsable des tensions actuelles ?
C’est Kim Jong-un le grand responsable. C’est lui qui le 1er janvier de cette année a annoncé que la Corée du Nord allait lancer son premier missile intercontinental. Donald Trump était isolationniste. Il a alors changé de ton vis-à-vis de Pyongyang. Le président américain ne peut pas accepter qu’un Etat comme la Corée du Nord possède des missiles intercontinentaux capables de frapper les Etats-Unis.
Des Nord-coréens assistant à la déclaration de leur dirigeant Kim Jong-Un, retransmise sur grand écran à la gare centrale de Pyongyang, le 22 septembre 2017. Le président américain Donald Trump est "mentalement dérangé" et "paiera" pour ses menaces, a alors affirmé Kim Jong-Un, alors que le ministre nord-coréen des Affaires étrangères a laissé entendre que la Corée du Nord pour faire exploser une bombe à hydrogène dans l'océan Pacifique. (Crédits : Ed JONES / AFP)
Des Nord-coréens assistant à la déclaration de leur dirigeant Kim Jong-Un, retransmise sur grand écran à la gare centrale de Pyongyang, le 22 septembre 2017. Le président américain Donald Trump est "mentalement dérangé" et "paiera" pour ses menaces, a alors affirmé Kim Jong-Un, alors que le ministre nord-coréen des Affaires étrangères a laissé entendre que la Corée du Nord pour faire exploser une bombe à hydrogène dans l'océan Pacifique. (Crédits : Ed JONES / AFP)
La politique dite du « rayon de soleil » a été arrêtée en 2010 par le ministère sud-coréen de l’Unification. Le dialogue ne fonctionne pas, les sanctions non plus… qu’est-ce qui marche avec la Corée du Nord ?
A titre personnel, je me suis longtemps opposé à ce que la Corée du Sud s’équipe de l’arme nucléaire. J’ai changé d’avis après le quatrième essai nucléaire nord-coréen. Depuis, Kim Jong-un a fait part de son ambition de posséder des bombes à hydrogène. Il a même fait la démonstration du savoir-faire nord-coréen en la matière, par un essai le 4 septembre dernier. Maintenant, son objectif est de maîtriser les missiles intercontinentaux. Il veut atteindre l’océan Pacifique pour prouver que la Corée du Nord peut toucher le sol américain. Ce n’est pas pour engager la guerre avec les Etats-Unis, c’est pour menacer la Corée du Sud. C’est pour éviter que les Etats-Unis n’interfèrent dans les affaires coréennes.
Croyez-vous que la réunification des deux Corées soit encore possible ?
La réunification est devenue un rêve impossible. La Corée du Sud qui n’a pas l’arme atomique, ne peut pas désarmer un Etat nucléaire comme la Corée du Nord. L’antagonisme entre les deux Corées s’est accru ces dernières années. Beaucoup de Sud-Coréens ont peur aujourd’hui de la Corée du Nord. S’il y a un changement de régime à Pyongyang, les choses peuvent évoluer. Mais avec Kim Jong-un, aucun compromis n’est possible.
« On ne fait pas voler les avions avec du charbon, on ne fait pas rouler les chars au charbon… Le pétrole chinois est vital pour l’armée nord-coréenne. »
Les dirigeants nord-coréens mettent en avant l’arme atomique comme moyen de pérenniser le régime. Peut-on leur faire changer d’avis ?
Cela ne peut se faire que si la Chine coopère plus étroitement avec la communauté internationale. La Corée du Nord est dépendante de charbon pour son économie, mais l’armée a absolument besoin de pétrole. On ne fait pas voler les avions avec du charbon, on ne fait pas rouler les chars au charbon. Et si on laisse sa voiture au garage pendant plusieurs mois, elle risque de moins bien fonctionner à la reprise. Le pétrole chinois est vital pour l’armée nord-coréenne. Si Pékin décide d’arrêter ses livraisons de pétrole, l’armée populaire de Corée sera moins fidèle à Kim Jong-un. Or seul le mécontentement des cadres de l’armée en raison d’une situation d’isolement du pays, peut conduire à un changement de régime, cela sachant que l’état de santé de Kim Jong-un n’est pas stable.
La solution aux tensions dans la péninsule ne peut venir que de la Chine, dîtes-vous, cela veut dire que Pékin ne fait rien pour améliorer la situation ?
La Chine n’est pas responsable de l’attitude de Pyongyang et donc de la crise, mais c’est la seule qui dispose des bonnes cartes et de l’atout capable de régler le dossier nord-coréen.
En même temps, les dirigeants chinois craignent une réunification d’une grande Corée à leur porte ?
Il y a plusieurs courants au sein du Parti communiste chinois. C’est surtout l’armée en Chine qui s’oppose à une réunification de la péninsule coréenne, sur le modèle de la Corée du Sud. Il faut donc résoudre le problème du THAAD, de manière à ce que Pékin devienne plus coopératif.
La guerre est-elle imaginable entre les deux Corées aujourd’hui ?
Pas tout de suite… Mais si la Corée du Nord dispose de missiles intercontinentaux, alors la situation va totalement changer et on pourrait tout a fait se retrouver confronter à un conflit limité. Cela peut arriver dans un ou deux ans, donc on a très peu de temps. Pékin a démontré récemment qu’il pouvait changer de politique à l’égard de son allié. La Chine et la Russie ont accepté de réduire leurs exportations de pétrole vers la Corée du Nord à hauteur de 30%. Si Pyongyang continue ses provocations, Pékin pourrait encore diminuer ses exportations, voire couper totalement son approvisionnement en pétrole.
« L’urgence, c’est de lancer un dialogue stratégique entre la Chine et le reste du monde. C’est la seule manière de pousser la Corée du Nord a geler son programme nucléaire. »
Ce ne sera pas trop tard ? Un ou deux ans, c’est très court…
On a effectivement peu de temps, il faut donc absolument que la Chine change sa politique vis-à-vis de la Corée du Nord. Il faut aussi une plus grande coopération internationale pour pousser la Chine à changer d’attitude. Pour cela, nous devons répéter aux dirigeants chinois que nous ne voulons pas l’effondrement du régime nord-coréen. L’urgence, c’est de lancer un dialogue stratégique entre la Chine et le reste du monde. C’est la seule manière de pousser la Corée du Nord à geler son programme nucléaire.
Propos recueillis par Stéphane Lagarde, avec Joris Zylberman et Antoine Richard

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.