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Rencontre entre Kim Jong-un et Donald Trump : le mirage d'un "printemps coréen" ?

Le leader de la Corée du Nord, Kim Jong-un, a proposé une rencontre en personne avec le président américain Donald Trump, qui a accepté. (Source : The Independent)
Le leader de la Corée du Nord, Kim Jong-un, a proposé une rencontre en personne avec le président américain Donald Trump, qui a accepté. (Source : The Independent)
Coup de théâtre ! Kim Jong-un a proposé ce jeudi 8 mars une rencontre à Donald Trump. Ce que le président américain a accepté, selon des émissaires sud-coréens en visite à Washington. Comment comprendre ce revirement ? Depuis les Jeux Olympiques de Pyeongchang, la Corée du Nord déploie une stratégie diplomatique quasi parfaite qui a mené à l’organisation prochaine d’un troisième sommet intercoréen. A Séoul, c’est pain béni pour le président Moon Jae-in, désireux depuis le début de ressusciter la « Sunshine Policy » des années 2000. Mais est-il vraiment permis de croire aux « bonnes » intentions de Pyongyang ?
C’était le 28 novembre dernier, il y a précisément 100 jours. L’imprévisible et tempétueux régime nord-coréen décidait d’éprouver à nouveau les nerfs de Séoul et de la nouvelle administration sud-coréenne portée par le libéral Moon Jae-in. Deux mois après son 6ème et plus puissant essai nucléaire, la Corée du Nord lançait un missile balistique intercontinental (ICBM) Hwasong-15, dont l’autonomie théorique plaçait le lointain territoire américain à portée de tir d’éventuels sombres desseins de Pyongyang. Une provocation intolérable qui alimenta l’ire de Washington et sembla augurer d’une éventuelle réponse musclée à cette litanie d’aventurismes inconsidérés. Le pire paraissait soudain possible.
*Décembre 2011 et la mort naturelle de son père Kim Jong-il. **A 200 km à l’est de la capitale Séoul, dans une province orientale contigüe du territoire nord-coréen. ***La sœur cadette et confidente personnelle de Kim Jong-un.
C’est dans ce contexte inquiétant que Kim Jong-un entreprit – sans préavis comme de coutume – de brutalement changer la donne. Mais, fait inédit, en bien. L’inflexion fut habilement amorcée à l’occasion du discours du 1er janvier dernier. Le mystérieux trentenaire aux commandes depuis un sextennat* de la dernière dictature stalinienne de la planète déclara souhaiter avec le voisin méridional un chapitre bilatéral moins heurté. S’ensuivit un mois plus tard la participation d’athlètes nord-coréens aux Jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang** et la présence de Kim Yo-jong*** à la cérémonie d’ouverture de ces olympiades, gracieuse et tout sourire alors que le vice-président américain s’employait de son côté (avec succès…) à ne pas desserrer les dents. La présence d’une inédite army of beauties nord-coréenne dans les gradins lors de la compétition occulta presque le glamour d’une rayonnante Ivanka Trump assistant au crépuscule protocolaire de cette glaciale grand-messe sportive quadriennale. Des JO dont l’opportunité était en question seulement quelques mots plus tôt, au plus fort des bravades du Nord et des interrogations du concert des nations.
*Il s’agissait du premier séjour en Corée du Sud d’un membre de la dynastie Kim depuis le début des années 50…
Lors de son bref et historique* séjour au pays du matin calme, l’émissaire féminin venue du Nord de la péninsule remit au chef de l’État sud-coréen une missive rédigée de la main de son frère dans laquelle ce dernier conviait son homologue de la Maison-Bleue à venir au plus tôt à Pyongyang sceller cette dynamique nouvelle de décrispation. C’est alors que prenait corps le principe d’un 3ème sommet intercoréen – onze ans après le second – réunissant fin avril prochain à Panmunjom (dans la fameuse zone démilitarisée ou DMZ) les plus hauts responsables du Nord et du Sud. Pour le plus grand bonheur de l’administration Moon Jae-in, ravie de cueillir les fruits de son audacieuse politique de « réengagement » avec l’insondable République Populaire Démocratique de Corée (RPDC). Ce que l’actuel locataire de la Maison Blanche résumait à une « perte de temps »…
*Sa première interaction officielle depuis son accession au pouvoir avec des représentants sud-coréens. **On apprend aussi que cette dénucléarisation était chère aux dernières volontés de Kim Jong-il.
Ce mardi 6 mars, une délégation de haut rang de l’administration sud-coréenne – menée par le Conseiller à la sécurité nationale et le Directeur des services de renseignements – achevait une visite de deux jours à Pyongyang. Son objectif : jauger les intentions du Nord tant sur un futur sommet intercoréen qu’une éventuelle reprise du dialogue entre la RPDC et les États-Unis. A cette occasion encore, le régime nord-coréen s’employa à surprendre – à nouveau en bien, décidément… La délégation du Sud fut reçue par Kim Jong-un en personne*. Le jeune dictateur organisa un dîner-réception de quatre heures. À ses visiteurs probablement surpris si ce n’est médusés, il confia être prêt à discuter entre « États nucléaires » avec l’Amérique de plusieurs sujets sensibles. Prêt à parler d’une possible dénucléarisation du régime – un thème tabou et des plus improbables jusqu’alors** – mais en échange de garanties de sécurité. Prêt aussi à envisager le « gel » des essais nucléaires et balistiques le temps du dialogue avec Washington. Prêt enfin à discuter de la normalisation des rapports entre la Corée du Nord et les États-Unis.
*Ils sont attendus ces prochains jours aux États-Unis puis en Chine, au Japon et en Russie pour briefer leurs homologues sur les grandes lignes de leurs échanges avec les autorités nord-coréennes. **Liés depuis 1953 par un traité bilatéral de défense mutuelle, paraphé deux mois après l’armistice mettant fin sur le terrain à la guerre de Corée (1950-53). ***Les exercices Foal Eagle / Key Resolve, qui engagent traditionnellement plusieurs centaines de milliers de soldats américains et sud-coréens.
On imagine également sans peine quelle dût être la surprise des émissaires de Séoul* lorsque Kim Jong-un leur déclara « comprendre » (en insistant sur la dimension logistique de l’événement…) la réticence des responsables sud-coréens et américains** à reporter à nouveau leurs manœuvres militaires annuelles***. Jusqu’alors, depuis l’austère Pyongyang, la perspective de ces exercices interarmées était inévitablement vouée aux gémonies, assimilés à la « répétition générale d’une invasion imminente du territoire nord-coréen ».
La presse de Pyongyang rendit compte de l’événement avec sobriété. Soit une couverture télévisuelle d’une dizaine de minutes – en grande partie centrée sur la lecture par le Jeune Maréchal d’une lettre du président Moon Jae-in – et plusieurs clichés dans les journaux montrant un Kim Jong-un souriant et prévenant avec ses visiteurs, entouré par son épouse et la désormais familière Kim Yo-jong.
En ce crépuscule hivernal, voilà une floraison inattendue et savamment distillée de signaux aussi positifs qu’improbables il y a encore un trimestre de la part du Nord. Sans surprise, elle suscite plus d’enthousiasme du côté de la Maison Bleue et de son opiniâtre président Moon Jae-in qu’à la Maison Blanche. Donald Trump se montre pour le moins réservé sur les motivations de cette soudaine volte-face de Pyongyang.
*Le 13 février 2017, lors de l’assassinat par des agents nord-coréens de Kim Jong-nam, le demi-frère ainé de Kim Jong-un.
Du reste, on observait lundi 5 mars la reprise récente des opérations sur le site atomique de Yongbyon (100 km au nord de Pyongyang). Une activité qui pourrait notamment signifier la reprise de la production de plutonium à destination de l’arsenal nucléaire militaire. L’administration américaine imposait alors de nouvelles sanctions au régime nord-coréen pour son utilisation d’arme chimique (agent neurotoxique VX), qui plus est à l’étranger – au terminal de l’aéroport de Kuala Lumpur en Malaisie – et à l’encontre d’un de ses citoyens, et non des moindres*. L’avant-veille, le 3 mars, Washington laissait certes entendre que le principe de discussions avec la Corée du Nord pourrait être considéré… mais à condition que le régime abandonne préalablement son programme d’armes nucléaires – « You have to denuke », avertit le président américain. En ce premier samedi de mars, Donald Trump n’écarta pas l’idée d’une possible « rencontre directe » avec celui qu’il affubla tantôt du sobriquet de « Little Rocket Man »… Trois jours plus tard, par le biais d’un de ses inévitables tweets, et tout en reconnaissant l’importance et le sérieux des efforts engagés par l’ensemble des parties – « Pour la première fois depuis des années » -, le successeur de Barack Obama à la Maison Blanche rappela combien le dossier nucléaire nord-coréen et les modus operandi divers de Pyongyang pour endormir ses interlocuteurs seraient traités avec la rigueur qui convient : « Le monde observe et attend ! Il pourrait s’agir d’un faux espoir. Les États-Unis d’Amérique sont prêts à y aller fort [« to go hard »] dans les deux cas. »
Face à ce maelström d’initiatives et de surprises récentes en tout genre, la population du « pays du matin calme » tout comme l’observateur extérieur peuvent légitimement se trouver quelque peu désorientés, plus habitués aux bravades, menaces et autres aventurismes douteux ourdis au nord du 38ème parallèle qu’à ses offensives de charme.
Peut-on voir dans ces divers assauts de diplomatie autre chose qu’une stratégie élaborée censée permettre au régime nord-coréen de sortir de l’ornière internationale ? D’atténuer l’effet des dernières strates de sanctions (onusiennes et américaines en premier lieu) – les plus sévères à ce jour appliquées à son endroit ? De créer de l’espace et de la distance entre une administration washingtonienne sceptique sur ses intentions et un gouvernement du Sud, porteur d’un projet de « Sunshine Policy 2.0 » et désireux au plus haut point de prolonger cette rare esquisse de décrispation intercoréenne, fut-ce au prix de quelques risques (politiques notamment) ?
Comment en effet, en se retournant sur un historique de situations peu ou prou similaires étirées sur le quart de siècle écoulé (à commencer par les deux sommets intercoréens de 2000 et 2007), ne pas se montrer a minima circonspect vis-à-vis de ce soudain élan cordial et étonnement constructif prôné tout sourire et bras ouverts par l’antédiluvienne dictature stalinienne du Nord ? Peut-on seulement croire en la sincérité d’une offre subite de dénucléarisation de ses capacités militaires en l’échange de simples garanties de sécurité de la part de la puissante – et honnie à la fois – Amérique ? Et ce alors que Pyongyang clame haut et fort son souhait de dialoguer d’égal à égal, d’État nucléaire à État nucléaire avec Washington et qu’hier encore, l’arsenal atomique de la RPDC était littéralement sanctuarisé, à l’abri de toute possibilité de discussions, plus encore de toute idée de démantèlement ?
Sans faire injure aux autorités sud-coréennes dont il s’agit en l’occurrence de louer la persévérance et l’aptitude à prendre des risques politiques difficiles, il semble naturellement permis d’en douter.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.