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Corée du Nord : un esprit moins olympique que pragmatique

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un le 1er janvier 2018 à Pyongyang. (Source : BFM TV)
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un le 1er janvier 2018 à Pyongyang. (Source : BFM TV)
Et pour une fois, le « Jeune Maréchal », dans un complet gris clair – cravate assortie –, le ton solennel et la coupe impeccable, trouva les mots pour apaiser Séoul. Non pour la menacer ou lui promettre la foudre nucléaire et le chaos. Kim Jong-un a envoyé un message complexe lors de sa traditionnelle allocution télévisée, un exercice annuel qu’il maîtrise, voire qu’il raffine depuis son premier exercice, en janvier 2013. Ce lundi 1er janvier, l’énigmatique et déterminé dirigeant de la Corée du Nord a esquissé en quelques phrases choisies les traits saillants de sa politique régionale en 2018. Ce fut pour le plus grand bonheur de la Maison Bleue et de son président libéral Moon Jae-in. Mais – surprise ? – il n’a guère convaincu la Maison Blanche et son tempétueux locataire, par nature plus « réservé » sur les projets de son homologue de Pyongyang. L’intervention de Kim suscita comme il se doit de la part de Donald Trump dès le 3 janvier un tweet de réponse à l’inspiration douteuse : une course des plus raffinées au plus gros « bouton nucléaire ».

Séoul, toute à sa joie

*À commencer par ces trois tirs de missiles balistiques intercontinentaux (ICBM), dont le dernier le 29 novembre, ou encore le dernier test atomique souterrain le 3 septembre, le plus puissant effectué jusqu’alors. **À l’instar des Résolutions 2375 (11 septembre 2017) et 2397 (22 décembre 2017) du Conseil de Sécurité. ***De « little rocker man » à « vieux radoteur »
L’année 2017 fut pour le moins éreintante. A l’inflation d’aventurisme nucléaire et balistique crédibilisant plus avant les capacités nord-coréennes* répondirent des volées de sanctions onusiennes et unilatérales allant pareillement en se renforçant** ; sous le brouhaha d’échanges verbaux d’une rare violence entre Kim et Trump où fusèrent les noms d’oiseaux***, des appels – vains mais patiemment renouvelés – à la décrispation tentèrent de se faire entendre depuis le Pays du matin calme (la Corée du sud). A priori, les toutes premières heures du Millésime 2018 semblent porteuses de meilleurs augures, du côté de l’austère capitale nord-coréenne notamment.
*Dans la cité orientale de Pyeongchang, à 200 km à l’est de Séoul, du 9 au 25 février 2018.
À six semaines de la cérémonie d’ouverture des XXIIIe Olympiades d’hiver organisées en Corée du sud*, alors que certaines capitales (occidentales principalement) avaient exprimé ces derniers mois leur inquiétude quant à l’opportunité de l’événement – au regard de la grande tension malmenant la péninsule et de l’imprévisibilité de la RPDC -, le jeune trentenaire aux commandes depuis fin 2011 de la dernière dictature marxiste d’Asie s’est montré rassurant quant à la sécurité de ce rendez-vous sportif universel. Le troisième Kim à présider aux commandes de l’Etat le plus isolé et sanctionné du concert des nations laissa entendre que le principe d’une participation d’athlètes nord-coréens était acquis et que, pour ce faire et officialiser cette décision, une rencontre rapide et à haut niveau entre responsables nord et sud-coréens pourrait se concevoir.
*La border hotline de Panmunjom, suspendue depuis février 2016.
Le 3 janvier, un dignitaire nord-coréen – le président du Comité pour la Réunification Pacifique de la Mère Patrie – annonçait le rétablissement d’un canal de communication téléphonique* entre le Nord et le Sud, tout en « exprimant à nouveau [le] souhait [de la Corée du Nord] sincère de réussite aux Jeux Olympiques de Pyeongchang ». De son côté, toute à sa joie de considérer une rare plage de moindre tension avec le Nord, l’administration Moon propose de mettre à disposition de la délégation olympique nord-coréenne un bateau de croisière, lequel pourrait outre le transport servir ensuite au logement ad hoc des athlètes et de leur encadrement, en mouillant dans le port de Sokcho (situé 60 km au nord de PyeongChang). Une option qui éviterait par ailleurs à la délégation de la RPDC d’emprunter la voie terrestre et le passage – (trop ?) fort en symbole – de la DMZ, l’impressionnante zone démilitarisée séparant physiquement les deux Corées depuis 1953.

Washington, sceptique et attentive

Outre-Atlantique, l’enthousiasme prévalant ces derniers jours dans la capitale de l’allié stratégique sud-coréen est moindre. Certes, l’exécutif américain salue (tout en retenue…) le dégel inopiné des rapports entre Pyongyang et Séoul, porté officiellement par la chaleur de flamme olympique. Huit mois après l’entrée en fonction à Séoul du président Moon Jae-in (mai 2017), partisan convaincu des bénéfices (à venir) d’une approche moins frontale, plus conciliante à l’endroit de son tumultueux voisin septentrional, une parenthèse intercoréenne moins belliqueuse – fut-elle éphémère – ne saurait se refuser.
Toutefois, aux yeux de Washington et de nombreux commentateurs, la partie américano-centrée de l’intervention du 1er janvier de Kim Jong-un ne prête pas encore précisément à la félicité : la volonté de poursuivre l’aventurisme nucléaire et balistique, l’appel à la fin des exercices militaires américano-sud-coréens dans la péninsule ou encore l’appel du pied à Séoul à se désolidariser des sanctions onusiennes et/ou américaines visant la RPDC suscitent des sentiments pour le moins contrariés. Notamment du côté de la Maison Blanche et du Pentagone, où l’on redoute que l’allié sud-coréen ne se laisse convaincre si ce n’est duper par les « meilleures volontés » de Pyongyang, qu’il ne fléchisse dans ses résolutions, qu’il en réduise l’impact des sanctions et in fine, qu’il ne pénalise en la fragilisant la relation américano-sud-coréenne, déjà quelque peu érodée depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Des perspectives qui, sans se montrer alarmiste, ne paraissent pas tout à fait incongrues.

Pékin, entre satisfaction et crainte

*Associant – entre 2003 et avril 2009 – dans un format collégial de discussions les deux Corées, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon. **Pondérées par la volonté de réduire leurs incidences sur la population nord-coréenne, dont le sort quotidien est déjà des plus ténus.
Quelque 1000 km plus à l’Est, dans la capitale de l’Empire du Milieu, la lecture des derniers événements animant le binôme contre nature Pyongyang/Séoul est moins crispée – sans pour autant être totalement légère, ainsi qu’à pu le relever ces derniers jours l’auteur lors d’un séjour à Pékin. Promoteurs tout à la fois d’une décrispation dans la péninsule, de la reprise – après huit ans de léthargie… – des « Pourparlers à six »* sur le programme nucléaire nord-coréen, de sanctions** de l’ONU condamnant la RPDC pour son orgie de tirs de missiles et de tests atomiques, enfin, d’un projet (co-sponsorisé avec la Russie) dit « double freeze » proposant un gel des essais nucléaires et atomiques nord-coréens en échange de la suspension des manœuvres militaires interarmées entre les forces sud-coréennes et américaines, les couloirs du pouvoir pékinois apprécient sous un jour favorable cette opportune esquisse de détente (fugitive ?) dans la péninsule.
*Plus précisément des provinces du Liaoning et de Jilin, dans le Nord-Est chinois.
Certes, l’administration Xi Jinping salue l’initiative (pragmatique et tactique bien plus qu’olympique) du « Dirigeant Suprême » nord-coréen et l’accueil favorable des autorités sud-coréennes. Pékin se réjouit des perspectives de désescalade de la tension en Asie orientale et de la tenue de cette grand-messe sportive internationale organisée à quelques centaines de km à peine du territoire chinois*. Mais elle n’en demeure pas moins inquiète de l’absence d’avancées parallèles, de rémission dans la crise de tous les instants, de tous les dangers, agitant Washington et Pyongyang.
En ce début d’année, nombreux sont les interlocuteurs chinois à redouter les conséquences d’une nouvelle joute verbale grossière entre Donald Trump et Kim Jong-un, et d’une nouvelle éventuelle provocation du régime nord-coréen (cf. démonstration du savoir-faire balistique). En cas de menace avérée, sérieuse et imminente aux intérêts de l’Amérique ou de ses alliés, certains n’excluent pas que l’irascible et peu mesuré locataire de la Maison Blanche ne donne en définitive l’ordre à ses généraux de recourir à la force pour prévenir – via notamment une frappe chirurgicale préemptive sur le pas de tir d’un missile ICBM sur le point d’être lancé – une énième défiance ; celle de trop.
Fort heureusement, en ce 3 janvier 2018, sur la base des dernières intentions nord-coréennes plus olympiques qu’atomiques et balistiques, nous serions (a priori…) loin de cette spirale d’événements que l’on ne saurait souhaiter, eu égard notamment aux risques considérables d’escalades qu’induiraient une telle décision de l’exécutif américain. Souhaitons comme il se doit que la (rarissime) parenthèse apaisée se dessinant de part et d’autre du 38e parallèle offre aux 75 millions de Coréens autre chose qu’un (faux) semblant de trêve olympique. Un leurre qui cacherait en fait la volonté du Nord de se soustraire habilement à l’isolement international, à la vindicte (méritée) onusienne et aux conséquences sévères (sur l’économie et la vie quotidienne principalement) de ses dernières sanctions.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.