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Corée du Nord : Kim Jong-un face au calendrier des semaines à venir

Un soldat nord-coréen monte la garde à la bordure de la DMZ le 14 octobre 2017.
Un soldat nord-coréen monte la garde à la bordure de la DMZ le 14 octobre 2017. (Crédits : photo by Yichuan Cao / NurPhoto / AFP).
Si les 76 millions de résidents de la péninsule coréenne – soit 51 millions d’habitants en Corée du sud et 25 millions d’habitants en Corée du nord (desquels il s’agira bien sûr de soustraire la caste particulière des responsables politiques et militaires de Pyongyang…-, les 126 millions d’habitants de l’archipel nippon, le milliard quatre cents millions de citoyens chinois appellent majoritairement de leurs vœux une accalmie en Asie orientale et au plus tôt, la déception risque fort d’être à la hauteur des enjeux politiques et sécuritaires du moment.
Et, il ne sera vraisemblablement pas utile d’attendre l’arrivée de la flamme olympique à Pyeongchang (organisation des XXIIIe Jeux Olympiques d’hiver) début février 2018 pour anticiper quelques nouveaux feux d’artifices et autres « célébrations » douteuses initiées par l’irascible République Populaire Démocratique de Corée (RPDC). On pense notamment à l’arsenal classique des provocations nord-coréennes de la décennie écoulée, à savoir : les essais nucléaires (six réalisés entre février 2006 et septembre 2017), les tirs de missiles balistiques (porteurs ou non d’engins nucléaires ; plus de 80 réalisés depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un en décembre 2011), les incidents navals en mer Jaune (comme par exemple le torpillage de la navette sud-coréenne Cheonan en mars 2010 et ses 46 victimes), etc…
* Nonobstant son statut d’alliée historique de la Corée du nord et d’ultime rempart diplomatique et sécuritaire majeur (mais échaudé toutefois).
Le calendrier des prochaines semaines fourmillent « d’opportunités » dont pourrait se saisir le régime nord-coréen pour poursuivre plus avant son hasardeux agenda de provocations ; sous couvert comme il se doit de prévenir une « attaque imminente » de l’ennemi impérialiste américain et de ses alliés régionaux (la Corée du sud et le Japon).
Une trame aussi plausible que préoccupante que la communauté internationale – en tout premier lieu la Chine* – serait hélas bien en peine de pouvoir contrarier… Autrement dit, l’occasion de passer rapidement en revue – parmi une kyrielle d’autres événements à venir aujourd’hui impossibles à anticiper – les « temps forts » de ces prochaines semaines.

Selon Pyongyang, les manœuvres conjointes américano-sud coréenne sont des « répétitions générales » d’une invasion à venir

Avant hier, lundi 16 octobre, les forces aéronavales sud-coréennes et américaines ont débuté leurs traditionnelles manœuvres militaires automnales conjointes, d’une durée de dix jours et éparpillées sur les flancs ouest (mer Jaune) et est (mer du Japon / mer de l’est) de la péninsule. Des exercices dont les guest stars opérationnelles sont, pour ce millésime 2017, le porte-avions nucléaire américain USS Ronald Reagan (en temps normal basé au Japon) et le sous-marin nucléaire USS Michigan. A cette armada se joindront des bâtiments de la marine sud-coréenne épaulés par des appareils sud-coréens (F-15) et de l’US Air Force. A l’instar des manœuvres militaires interalliées du printemps dernier (les exercices Foal Eagle et Key Resolve), cette énième démonstration « live » de la coopération militaire entre les deux pays n’a pas sa pareille pour porter le courroux de Pyongyang à son zénith.
* Le bombardier stratégique B-1 B Lancer et un binôme de chasseurs furtifs F-35 A sont également présents sur le site de l’exposition biennale, la plus importante du genre organisée en Asie de l’Est.
Ce, d’autant plus facilement dans un contexte plus tendu qu’il ne l’a été depuis fort longtemps ; s’ouvrait par ailleurs également le 16 octobre à Séoul l’équivalent au « pays du matin calme » du salon aéronautique du Bourget, le Seoul International Aerospace and Defense Exhibition (ADEX) 2017, fort de la présence de divers appareils américains de dernière génération*, à l’image du F-22 Raptor, ce chasseur furtif américain que les spectateurs sur place (et, par-delà le 38e parallèle, d’autres regards tout aussi intéressés…) ont pu admirer 15 minutes durant lors de son impressionnante démonstration en vol (dans la matinée du 16 octobre).
Notons également qu’une semaine plus tard (du 23 au 27 octobre) débutera en Corée du sud (à Séoul tout spécialement) un exercice de sensibilisation, de préparation à l’évacuation des ressortissants américains (appelé Courageous Channel) prenant pour hypothèse de départ (comme à chacune de ses éditions annuelles) l’imminence d’un nouveau conflit armé avec la RPDC, entre autres possibles crises majeures envisagées… En se cumulant, ces divers rendez-vous très rapprochés dans le temps et à très forte connotation sécuritaire alimentent à Pyongyang une ire familière confinant à la crise existentielle.

Le 19ème Congrès du Parti communiste chinois est le rendez-vous politique de l’année et une occasion trop belle pour la RPDC

Aujourd’hui,mercredi 18 octobre s’ouvre à Pékin le 19ème Congrès du Parti Communiste Chinois (PCC), rendez-vous politique important s’il en est dans la République Populaire de Chine (RPC) du Président Xi Jinping, à l’aube de son second quinquennat à la tête de la première démographie et de la seconde économie mondiale. Un rendez-vous domestique majeur concentrant depuis des semaines l’attention et l’énergie des autorités chinoises, soucieuses d’un déroulé sans anicroche particulière. Or, si au niveau intérieur le challenge ne parait pas hors de portée du régime – généralement très à son aise pour minimiser les risques en pareille circonstance… -, il en va bien différemment au niveau extérieur, à l’endroit de l’imprévisible Corée du nord notamment, dont on ne saurait par avance compter sur une quelconque mansuétude ou compréhension en la matière ; bien au contraire.
Non pas qu’il importe à Pyongyang de se projeter à tout prix au cœur des problématiques politiques de son influent voisin du nord, de contrarier le script complexe et millimétré façonné depuis des mois par l’entourage du Président chinois ; pour le régime le plus isolé et défiant du concert des nations contemporain, il s’agit davantage de « profiter » de l’événement politique dans la capitale de l’empire du Milieu pour se rappeler au bon souvenir – une expression fort mal à propos en l’occurrence – de la plus lointaine Amérique. Quitte pour cela à ajouter une nouvelle strate de provocation sur l’autel des défiances au pouvoir chinois et à alimenter plus encore l’exaspération croissante de ce dernier.
Cela ne serait pas la première fois, sous l’ère Kim Jong-un (entamée à l’hiver 2011), que Pyongyang foule délibérément au pied la sensibilité de la République Populaire voisine, au mépris d’un sentiment de moins en moins empathique pour la RPDC dans l’opinion publique chinoise et dans les cercles stratégiques pékinois. Gageons qu’il en faudra davantage pour retenir Pyongyang de donner cours à son agenda de provocations sans fin.

Début novembre, Donald Trump en visite en Corée du Sud

Dans son riche périple asiatique programmé début novembre (escales prévues successivement au Japon, en Corée du sud, en Chine puis au Vietnam), le tempétueux locataire de la Maison Blanche est attendu par son homologue sud-coréen, le plus mesuré Moon Jae-in, à la Maison Bleue ; et par les parlementaires sud-coréens (discours à l’Assemblée nationale) les 7 et 8 novembre. Une visite hautement symbolique à plus d’un titre : un quart de siècle s’est écoulé depuis le dernier séjour d’un Président américain (Bill Clinton en 1993) en Corée du sud – pour les dirigeants de ces deux pays, alliés stratégiques depuis plus d’un demi-siècle (suite à la conclusion d’un Mutual Defense Treaty en 1953) ; mais dont la solidité du partenariat semble pourtant quelque peu éprouvée par une vision politique différente de la manière de « gérer » le cas nord-coréen depuis le retour d’une administration républicaine à Washington.
A la volonté de Séoul de privilégier une approche constructive et non-belligérante (accompagnée toutefois de mises en garde explicites répétées en direction de Pyongyang) s’oppose un positionnement plus frontal et agressif de la présidence Trump, où se mêlent menaces d’interventions militaires à peine voilées, une guerre des mots (et des tweets…), des insultes personnelles d’une violence inouïe et, par « chance », quelques propos un brin plus nuancés du Département d’Etat où la diplomatie tente d’exister.
Dans le contexte de crispation extrême du moment, ce déplacement haut en couleurs et en symboles du bouillonnant chef de l’exécutif américain au sud du 38e parallèle – une brève visite de la zone démilitarisée entre les deux Corées (DMZ) serait au programme… – constitue pour Pyongyang une occasion exceptionnelle, immanquable d’attirer l’attention de la communauté internationale vers son agenda propre et ses demandes prioritaires du moment. N’étant par définition pas à une bravade près, il serait des plus surprenant que la DPRC fasse pour l’occasion montre de discrétion – un concept contre-nature – alors même que la personnalité étrangère honnie l’ayant dernièrement menacé de « destruction totale » (en cas de menace nord-coréenne imminente contre les Etats-Unis) et insulté, ridiculisé publiquement son dirigeant suprême (avec l’emploi du surnom « little rocket man ») se trouve en terre « hostile » voisine. L’occasion pourrait ne pas se représenter de sitôt…
* On pense ici en priorité à l’essai nucléaire nord-coréen du 3 septembre 2017, aux tirs de missiles balistiques nord-coréens survolant le territoire nippon à l’été 2017 et aux échanges d’insultes personnelles (une nouveauté déplorable et sans précédent dans les annales des relations entre Washington et Pyongyang) et de menaces entre Donald Trump et Kim Jong-un ces dernières semaines.
Alors même que l’Asie orientale a besoin de recouvrer quelque repos – on n’ose parler ici de sérénité… – après divers épisodes récents* éprouvant ses nerfs et sa stabilité, le très court terme semble hélas davantage propice à de possibles nouveaux orages électriques violents et aux éruptions (conventionnelle, atomique) de magnitudes diverses, avec Pyongyang pour épicentre.
Rien qui ne surprendra outre mesure l’observateur des « affaires nord-coréennes », au regard du contexte précaire du moment. A la marge, mais sans ambition déraisonnable, il est pareillement à souhaiter que l’air de l’Extrême-Orient insuffle, tout (sur)saturé soit-il ces temps-ci de tension et d’incertitude, une once de sagesse et de mesure lors de son séjour prochain à l’atrabilaire résidant de la Maison Blanche. Là encore, on ne saurait que le souhaiter ; mais sans préjuger aucunement du résultat.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.