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Corée du Nord : du bon usage des armes de séduction massive

Pas de char ou de missile balistique mais une "army of beauties" envoyée par la Corée du Nord aux JO de Pyeongchang. (Source : The Daily Beast)
Pas de char ou de missile balistique mais une "army of beauties" envoyée par la Corée du Nord aux JO de Pyeongchang. (Source : The Daily Beast)
Et soudain, au cœur de l’hiver… En Corée du Sud, les JO de Pyeongchang s’apprêtaient à parer la péninsule des exploits de ses athlètes – ceux prêts à braver la froidure hivernale de l’Asie orientale pour se couvrir de gloire olympique. C’est alors que le « pays du matin calme », coutumier des bravades martiales, des aventurismes balistiques et atomiques, des défilés militaires de son atypique et dangereux voisin du Nord, (re)découvrit que l’anachronique et dictatorial régime de Kim Jong-un avait également quelque appétence pour le glamour. Toute arc-boutée sur la provocation et la prolifération soit-elle, la République Populaire Démocratique de Corée (RPDC) dispose dans ses arsenaux d’armes de séduction massive. Des « arguments » autrement plus convaincants que ses batteries de missiles et ses ogives, sous le charme desquels il est possible (à moindre frais) de faire vaciller l’adversaire, d’anesthésier temporairement une partie des sceptiques, de remporter la partie. Et cela sans avoir à manier l’insulte ou la menace, mais en misant plus sereinement sur la grâce d’un bataillon d’amazones, ambassadrices enchanteresses dépêchées vers Séoul et Pyeongchang à grand renfort de sourires, de poses suggestives et de démarches élégantes.
Elles sont artistes, chanteuses, danseuses, pom-pom girls. Elles couvrent indistinctement d’attention et d’encouragement depuis les (très frais) gradins olympiques les compétiteurs des deux Corées. Cette « army of beauties » venue du Nord pratique moins la politique de la terre brûlée sur son passage (gracieux et enjoué) que la géopolitique du charme, dernier avatar ourdi par Pyongyang et son énigmatique dirigeant suprême Kim Jong-un.
Lors de son désormais traditionnel discours à la nation le 1er janvier dernier, Kim Jon-un a surpris son monde. Et favorablement pour une fois. Après deux ans de prolifération balistique et nucléaire, plutôt que de poursuivre dans l’invective et la provocation, il a proposé à la Corée du Sud d’aborder 2018 sous un angle bilatéral moins tendu, non plus belliqueux mais constructif. Comment ? En répondant favorablement à l’invitation de Séoul de participer à la grand-messe olympique, en donnant (enfin) quelque écho aux efforts de décrispation engagés depuis la Maison Bleue par le président sud-coréen Moon Jae-in. Le libéral chef de l’État en poste depuis le printemps 2017, reste un apôtre convaincu des bénéfices mutuels pour le Nord et le Sud – et pour la fébrile stabilité régionale – d’une politique intercoréenne de rapprochement progressif. Quitte à essuyer quelques inévitables revers – on ne traite pas avec Pyongyang sans risque – et avaler quelques indigestes couleuvres.
Ce serait le 3ème à Pyongyang depuis la fin de la guerre de Corée (1950-53), après juin 2000 entre Kim Jong-il et et Kim Dae-jung, puis octobre 2007 avec Roh Moo-yun – dont Moon était chef de cabinet – et Kim Jong-il ; tous deux organisés sous les auspices de la « Sunshine Policy », politique d’engagement et de dialogue en direction du Nord, chère alors à Séoul.
Cette esquisse de parenthèse paisible – on n’ose l’appeler pacifique à ce stade – était improbable deux mois plus tôt. Fin novembre, la Corée du Nord effectuait son troisième tir de missile intercontinental (ICBM) de l’année, soixante jours après un sixième essai atomique – sans doute thermonucléaire (bombe H) -, le plus puissant réalisé à ce jour par les scientifiques nord-coréens. Fidèle à sa réputation de maîtrise aboutie de la surprise (mauvaise, généralement) et du contrepied, Pyongyang n’avait pas livré tous ses mystères. Lors d’une des quatre brèves rencontres avec Moon Jae-in, la messagère toute en sourire et tenue de gala la plus proche de Kim Jong-un – sa sœur Kim Yo-jong – délivra en main propre à son hôte comblé une missive signée de la main de son frère. Dans la lettre, ce dernier suggère que le mieux-être actuel entre Séoul et Pyongyang soit consolidé – au plus vite – par une rencontre entre les deux plus hauts dirigeants, dans le cadre d’un sommet intercoréen* organisé dans la capitale nord-coréenne.
*Cette visite historique offrirait à Kim Jong-un sa toute première rencontre officielle avec un chef d’État étranger. **Ce d’autant plus symboliquement que les parents de Moon viennent de la province du Sud Hamgyong, aujourd’hui en Corée du Nord, et ayant migré vers le Sud dès 1950.
Adressée à l’opiniâtre président Moon, cette invitation à se rendre à court terme dans l’austère et insolite Pyongyang et à y rencontrer le « Jeune Maréchal »* constituerait – si elle venait à se réaliser – un dividende post-olympique presque inespéré pour l’heureux visiteur potentiel**, tant cette hypothèse paraissait hardie à concevoir. Il est vrai que dernièrement, lorsque Kim Jong-un évoquait quelques paraboles gestuelles dans son registre menaçant habituel, à la politique de la main tendue il préférait mentionner l’image d’un doigt prêt à tout moment à appuyer sur un « bouton nucléaire ». L’accueil à Pyongyang plutôt que le chaos (atomique) sur Séoul ou Washington, voilà qui humanise (un peu) en une seule missive et quelques mots encourageants choisis un individu jusqu’alors associé à des desseins plus sombres, moins hospitaliers.
*Iris, dans la mythologie, fait le lien entre le monde des hommes et celui des dieux.
De Séoul à Washington en passant par Tokyo, ce (rare) signal favorable émis depuis Pyongyang ne trouve pas pour autant que des partisans exaltés. La magie olympique de Pyeongchang et la présence de quelques graciles prêtresses de Pyongyang dans les enceintes sportives n’agît pas avec le même profit sur l’ensemble des acteurs. Il n’est pour s’en convaincre qu’à observer les mines fermées et sévères offertes sur le même cliché par le vice-président américain Mike Pence et le chef de gouvernement nippon Shinzo Abe, assis lors de la cérémonie d’ouverture des JO à quelques pas d’un Moon Jae-in souriant… et à quelques mètres à peine de la plus insolite des spectatrices et invitées du jour, la jeune Kim Yo-jong, une Iris* visiblement plus enjouée par l’événement et détendue que ses voisins nord-américains et japonais.
Au sein de l’intelligentsia et de l’opinion publique sud-coréenne, le scepticisme sur les véritables intentions du régime nord-coréen prévaut, en phase avec la Maison Blanche et son vitupérant locataire du moment. Donald Trump avait confié à son émissaire Mike Pence le soin de convaincre Moon Jae-in de la nécessité d’une approche unifiée entre Séoul et Washington du dossier nucléaire nord-coréen, de souligner l’importance d’un partenariat stratégique américano-sud-coréen sur les grandes thématiques politiques et sécuritaires du moment, de rappeler au locataire de la Maison Bleue que par le passé, aucun des engagements pris par le Nord n’a été tenu et, last but not least, de signifier aux autorités sud-coréennes que Pyongyang s’emploie ces dernières semaines à éprouver l’axe Séoul–Washington dans le dessein d’éloigner la première de la seconde. Une orientation délicate dont les spécialistes aiment à penser qu’elle profiterait essentiellement à l’agenda de la RPDC.
Cependant, dans cet insolite maelström diplomatico-olympique où soufflent parallèlement le froid (sur les sites olympiques) et le chaud (dans les chancelleries politiques), même les plus rétifs et dubitatifs finissent semble-t-il par accorder quelque chance à ce rare chapitre intercoréen de répit. Ainsi le 13 février, l’administration américaine confiait être à étudier le principe d’une reprise des discussions avec les autorités nord-coréennes, et cela sans précondition rédhibitoire. Une posture nouvelle et symbolique à saluer.
A ce stade exploratoire, nous sommes naturellement encore bien loin d’une hypothétique rencontre entre Donlad Trump et Kim Jong-un. Ce binôme présidentiel le plus improbable qui soit est davantage rompu à l’échange viril de noms d’oiseaux qu’à l’étude dépassionnée de projets politiques mutuellement acceptables. Il fut certes un temps pas si lointain où, alors simple aspirant au poste de président américain, le candidat républicain se vantait devant les médias de ne pas repousser l’idée d’une éventuelle future rencontre avec le dictateur nord-coréen, le temps de « partager un hamburger » sur un coin de table. Ce festin devra certainement attendre encore quelque temps.
Rêvée comme les « Jeux de la paix » par l’ambitieux président Moon Jae-in, l’olympiade d’hiver actuellement en cours à l’est de Séoul n’est de toute évidence pas le levier politique espéré du seul « pays du matin calme ». Par-delà la zone démilitarisée, l’événement sportif le plus médiatique de l’année fait l’objet d’une très habile et opportune récupération, laquelle confinerait selon ses détracteurs à une réappropriation pure et simple de la part de Pyongyang.
Il s’agira de se montrer d’autant plus prudent. la compréhensible exaltation actuelle dans les cercles du pouvoir sud-coréen – par ailleurs loin d’être unanimes sur le sujet – pourrait à court terme être soumise à rude épreuve (non-sportive). Dans l’hypothèse notamment où Séoul et Washington confirmeraient in fine à l’issue de cette trêve olympique, nonobstant l’atmosphère intercoréenne favorable du moment, la programmation le printemps venu de leurs exercices militaires annuels conjoints. Un événement abhorré et vilipendé s’il en est au nord du 38ème parallèle. Tout esprit olympique, tout souvenir d’une « North Korean glamour touch » auraient tôt fait de laisser la place à une atmosphère de tension et de grande fébrilité – hélas des plus familières dans la péninsule.

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.