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Accord avec l'Iran : comment l'Asie bénéficie (ou non) du retrait américain

Le président iranien Hassan Rohani cherche l'appui économique de la Chine de Xi Jinping après le retrait américain de l'accord de Vienne sur le nucléaire. (Source : Boston Herald)
Le président iranien Hassan Rohani cherche l'appui économique de la Chine de Xi Jinping après le retrait américain de l'accord de Vienne sur le nucléaire. (Source : Boston Herald)
Les gagnants et les autres. Le 8 mai dernier a marqué un tournant dans les relations internationales avec le retrait américain du JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action) plus connu comme l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien. Cette décision de Donald Trump enterre toutes tentatives de fonctionnement multilatéral de la vie internationale. Si cet événement a été applaudi du côté israélien et saoudien, il a provoqué la consternation dans l’Union Européenne, en Russie et en Chine, autres signataires de l’accord. Alors que les conséquences de ce retrait américain ont largement été évoquées du côté européen, qu’en est-il en Asie ? Comment la Chine et la Russie ont-elles réagi à cette décision de leur concurrent américain et quid des autres puissances asiatiques plus proches de Washington ?

La Russie et la Chine, locomotives de l’intégration iranienne en Asie

La Russie a certainement été l’État qui a le plus fermement critiqué la décision américaine. Avant même l’annonce du président Trump, Moscou avait soutenu Téhéran en s’opposant à la négociation d’un nouvel accord sur le nucléaire iranien dès le mois d’avril. Au niveau économique, la Russie, comme l’Union Européenne, n’avait pas intérêt à la mise en place de nouvelles sanctions de Washington contre les entreprises traitant avec l’Iran au nom de l’extraterritorialité du droit américain. Mais contrairement aux capitales européennes, Moscou semble déterminé à conserver ses liens avec Téhéran.
À la suite des accords signés en 2015, la Russie et l’Iran ont eu la possibilité de concrétiser au niveau économique leur rapprochement géostratégique déjà effectif sur le dossier syrien et leur alliance commune aux côtés des forces du régime d’Assad. Les échanges commerciaux entre les deux pays, descendus à 1,24 milliard de dollars en 2015, ont grimpé à 7 milliards de dollars en 2016, avec la signature de 40 milliards de dollars de contrats, principalement dans l’énergie et le militaire.
En réaction au retrait américain, la Russie a répondu à travers « son » Union Économique Eurasiatique, avec la signature d’un accord instaurant des facilités commerciales entre l’Iran et l’UEE en vue d’un traité de libre-échange prévu dans les trois années à venir. Ainsi, Moscou démontre sa volonté de soutenir son nouvel allié iranien.
Pékin a de son côté répondu de manière plus mesurée. le gouvernement chinois a officiellement « regretté » la décision de Donald Trump, assurant vouloir seulement « maintenir le contact avec toutes les parties ». Reste que la Chine est aujourd’hui le premier partenaire économique de l’Iran et sa décision de suivre ou non la politique américaine concernant les sanctions, sera déterminante pour l’économie iranienne. Aujourd’hui, Pékin paraît assez proche des positions de Moscou et souhaite continuer à commercer avec Téhéran et respecter les contrats signés à hauteur de 600 milliards de dollars sur les 25 prochaines années.
Cependant, la Chine sort renforcée du retrait américain sur certains points. En effet, la décision de Trump provoquera par ricochet le repli des investissements d’entreprises européennes en Iran. C’est le cas de Total, qui a annoncé son impossibilité de poursuivre son développement dans le pays, tant ses intérêts américains sont importants. Cette défection devrait permettre à la CNPC (China National Petroleum Corporation) de récupérer les contrats promis alors à l’entreprise française. Ce sera certainement le cas pour d’autres contrats signés à l’origine par des États et des entreprises européennes. De son côté, Téhéran est conscient de l’importance des investissements chinois. Après le 8 mai, c’est logiquement à Pékin que le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif s’est rendu en premier pour discuter des prochaines échéances.

L’Inde et la Corée du Sud aussi concernées

Si les positions russes et chinoises étaient attendues en tant que signataires de l’accord de Vienne, d’autres pays asiatiques ont bénéficié de la levée des sanctions internationales en 2015. C’est le cas notamment de l’Inde, deuxième État client de l’Iran derrière la Chine, et de la Corée du Sud, troisième client et quatrième fournisseur.
En 2015, l’Inde a profité de l’accord de Vienne pour se rapprocher de Téhéran. Outre les objectifs économiques, Delhi ne voulait pas laisser son rival pakistanais comme seul bénéficiaire du JCPoA. Aussi Delhi et Téhéran ont-ils signé en février dernier « 15 contrats et mémorandums d’entente et de coopération » dont la construction d’un gazoduc dans lequel la Russie sera associée. En 2016 déjà, l’Inde avait signé avec l’Iran et l’Afghanistan un accord sur le développement du port iranien de Chabahar, afin de concurrencer les investissements chinois dans le port pakistanais de Gwadar.
Aujourd’hui, la position de l’Inde est complexe et délicate. Allié de Washington sur la scène géopolitique pour contrebalancer la puissance chinoise en Asie, Delhi a pourtant toujours refusé de « s’aligner » complètement sur la position américaine. Si l’Inde semble peut susceptible de contrarier les plans américains dans la région, se priver de l’Iran lui serait également dommageable dans sa quête d’influence en Asie.
Pour ce qui concerne la Corée du Sud, l’accord de 2015 avait été l’occasion d’un rapprochement économique et diplomatique important. En 2016, la présidente Park Geun-hye avait effectué une visite inédite en Iran, une première pour un dirigeant sud-coréen. Dans la foulée, l’Iran a signé en 2017 un contrat de 720 millions d’euros avec le géant sud-coréen Hyundai. Mais il serait étonnant que ce rapprochement économique survive aux nouvelles sanctions américaines, tant les intérêts sud-coréens se trouvent liés à Washington, que ce soit dans le domaine économique ou géostratégique. Pour l’instant, ni Delhi, ni Séoul n’ont encore pris de décision concernant leurs investissements en Iran.
En Asie, la question du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien ne relève pas uniquement du domaine économique. Elle tend largement vers les sphères géostratégiques. L’Iran attire les convoitises de nombreuses puissances dans la région, à commencer par la Russie et la Chine, qui souhaitent voir Téhéran intégrer un axe « anti-américain » en Asie. De son côté, l’Inde a également un intérêt à conserver des relations avec l’Iran pour contrer l’influence chinoise sur le continent. Enfin, le rétropédalage américain sur la question du JCPoA n’est pas sans conséquence sur celle du nucléaire nord-coréen. La position conciliante du président iranien Hassan Rohani vis-à-vis des Occidentaux est mise à mal par Donald Trump. Elle pourrait conforter Kim Jong-un dans sa stratégie actuelle : conserver l’arme nucléaire, puisque Pyongyang ne sera jamais à l’abri des sanctions américaines.

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A propos de l'auteur
Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s'intéresse d'abord au monde russophone et au Moyen-Orient, puis se passionne pour les questions asiatiques après avoir vécu plusieurs mois en Corée du Sud.