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Chine : comprendre la volte-face de Trump dans l'affaire ZTE

Le président américain Donald Trump à la Maison Blanche. (Source : Wired)
Le président américain Donald Trump à la Maison Blanche. (Source : Wired)
Vous vous souvenez lorsque Donald Trump ne cessait d’accuser Pékin d’avoir détruit des millions d’emplois aux États-Unis ? C’était presque son seul discours de campagne sur l’empire du milieu. Eh bien maintenant, il se soucie de l’emploi en Chine ! Le 13 mai dernier, le président américain a demandé à son administration du Commerce de revoir les pénalités contre l’entreprise chinoise ZTE qui allaient l’amener à licencier dans son pays. « Le président chinois Xi et moi-même travaillons ensemble pour donner à la grande compagnie de téléphone chinoise, ZTE, un moyen de se remettre rapidement au travail, a ainsi tweeté le locataire de la Maison Blanche. Trop d’emplois perdus en Chine. Le Département du Commerce a été chargé de le faire. » Le message du président a surpris son ministre Wilbur Ross, qui après avoir menacé ZTE a tenu des propos conciliants, annonçant que cette question serait débattue au cours des négociations commerciales qui ont repris le 15 mai.
Quelle mouche a piqué Donald Trump ? A-t-il perdu la tête ? Pas totalement. Il cherche une voie de sortie à la situation dans laquelle il s’est mis en menacant la Chine d’élever les tarifs douaniers sur les produits de haute technologie promues par le plan « Manufacturing China 2025 ». La Chine a répondu en menaçant à son tour d’élever les droits de douane sur des produits agricoles et industriels exportés par des comtés américains ayant voté pour Trump. Si un compromis n’est pas trouvé, ces hausses prendront effet le 25 mai. L’affaire ZTE pourrait être l’occasion de faire un « deal » et d’éviter une guerre commerciale qui serait préjudiciable aux deux économies. Une guerre dont les États-Unis ne sont pas sûrs de sortir gagnant en dépit des rodomontades de Trump.

L’affaire et son contexte

ZTE ou Zhongxing Telecommunications Equipment emploie 75 000 salariés. La firme est avec Huawei un leader des télécommunications. ZTE vend chaque année 45 millions de smartphones. Ces deux entreprises entretiennent des rapports étroits avec l’armée chinoise. Ainsi, ZTE a été accusée par le Département du Commerce de violer l’embargo américain sur les exportations en Corée du Nord, au Soudan, en Syrie et à Cuba en y vendant en toute connaissance de cause des équipements intégrant des composants américains – le département a découvert un fichier détaillant les méthodes pour éviter les contrôles. ZTE a alors dû payer une lourde amende (600 millions de dollars) et s’est engagé à punir les responsables. Deux ans plus tard, non seulement ces derniers n’avaient pas été sanctionnés mais ils avaient été récompensés ! Conséquence : le 16 avril dernier, le département du Commerce a interdit aux entreprises américaines tout contact et toute transaction avec ZTE qui, n’ayant plus accès aux composants vendus par ces entreprises, est condamné à disparaître.
Cette décision sanctionne des agissements commis avant 2016. Depuis, la CIA, la NSA et le FBI déconseillent l’utilisation des smartphones de ZTE ou de Huawei qui seraient une menace pour la sécurité ; ce qui a amené Huawei à abandonner le marché américain pour l’Europe. La high-tech chinoise est dans la ligne de mire de Washington, comme l’a révélé la liste des postes douaniers susceptibles de connaître une hausse de 25 % à partir du 24 mai. Quelques semaines après cette publication, une mission américaine s’est rendue à Pékin où elle a fait deux demandes : diminuer le déficit bilatéral en achetant plus de produits américains ; éliminer les exigences de transfert de technologie et abandonner le plan « Manufacturing China 2025 » qui vise la promotion des produits de haute technologie. Des requêtes réalistes ? Sans doute la Chine peut-elle accepter d’importer plus de soja ou de produits pétroliers des États-Unis et moins à d’autres pays. Mais elle ne saurait renoncer à ses ambitions industrielles.

La volte-face

Comme lorsqu’il a annoncé le retour de l’Amérique dans le Partenariat transpacifique (TPP), le revirement de Donald Trump dans l’affaire ZTE pourrait être une simple posture. Les pertes d’emploi en Chine sont la seule explication fournie par le milliardaire. S’apercevant qu’il scandalisait ses électeurs, il a tweeté quelques heures plus tard que ZTE achetait des composants aux États-Unis ! En réalité, la volte-face du président a plusieurs raisons :
• Économiques. ZTE est intégré à une chaine globale de valeur de la Silicon Valley à la Chine en passant par plusieurs pays asiatiques et africains (pour les métaux). La faillite d’un acteur important d’une telle chaine globale a des répercussions sur tous les autres acteurs à commencer par ceux qui fournissent les puces utilisées par ZTE. Les sanctions contre ZTE et les escarmouches commerciales qui se multiplient sont de mauvaises nouvelles pour les grandes entreprises californiennes.
• Commerciales. Il s’agit d’échanger la levée de sanctions visant ZTE contre l’abandon des menaces chinoises sur les exportations de produits agricoles et la promesse de la Chine d’accroître ses achats de produits américains de 200 milliards de dollars alors que le déficit est de 370 milliards. Cet accord pourrait être une manière de sortir sans perdre la face de ces négociations mal parties. Ce compromis, qui abandonnerait les demandes sur les questions de technologie, est pourtant critiqué par une partie de l’administration américain, divisée sur le sujet. En outre, il est peu probable que les producteurs américains puissent répondre à un tel accroissement de la demande chinoise – qui s’opèrerait au détriment d’autres pays dans le monde.
• Financières. Les sanctions contre ZTE ont été mal accueillies par Wall Street. Et pour cause, la banque d’affaires JPMorgan et le fonds d’investissement BlackRock sont respectivement le second et troisième détenteur d’actions de la firme chinoise sur la bourse de Hong Kong, qui a suspendu la cotation du titre depuis la mi-avril.
• Politiques. Coïncidence, un jour après le tweet présidentiel, une banque chinoise a annoncé qu’elle accordait un prêt à une société indonésienne (MNC) qui collabore avec la Trump Organization depuis 2015 dans un projet immobilier (MNC Lido Park). En 2016, MNC a signé une lettre d’intention avec l’entreprise chinoise MCC pour construire un parc à thème dans le Lido Park qui évoque un prêt de 500 millions de dollars. La négociation ente MNC et MCC a été finalisée, elle aussi, un jour après le tweet de Trump. Lorsqu’il a été élu, le magnat de l’immobilier avait déclaré que son groupe ne s’engagerait pas dans de nouveaux projets. Or si son entreprise ne profite pas directement de ce prêt, le soutien chinois à ce parc à thème (inclus dans la Belt and Road Initiative, les « Nouvelles Routes de la Soie ») est une bonne nouvelle. Les Démocrates américains peuvent ainsi dénoncer une nouvelle collusion d’intérêt qui s’ajoute à un dossier déjà bien rempli !
• Diplomatiques. Le président pourrait avoir donné des gages aux Chinois pour gagner leurs faveurs avant la rencontre avec Kim Jong-un – devenue plus incertaine depuis quelques jours. En se mêlant à une décision administrative, la Maison Blanche crée un précédent qui rend assez incohérente la diplomatie américaine. Début mai, son ambassadeur en Allemagne menaçait les entreprises germaniques tentées de faire des affaires en Iran (« We are going to slam y’a »). Deux semaines plus tard, Donald Trump absout ZTE qui a pourtant vendu des équipements à l’Iran et la Corée du Nord.
Cet épisode révèle un climat de défiance réciproque. Il aura des conséquences industrielles de long terme. En mettant à jour la dépendance technologique de la Chine, il exacerbe la détermination de Pékin à mettre les bouchées doubles pour renforcer son secteur des semi-conducteurs. Le pays du milieu est le premier marché mondial des puces électroniques. Dominée par les filiales des plus grandes entreprises mondiales, sa production représente un tiers de sa consommation. Xi Jinping a fait appel au nationalisme en rappelant les privations endurées par le peuple chinois pour développer le programme nucléaire pendant l’ère Mao. Quelques jours plus tard, Jack Ma, me PDG d’Alibaba, annonçait la création d’une division Recherche et Développement consacrée aux puces destinées à l’intelligence artificielle. Ces ambitions justifieront la construction de nouvelles capacités qui risquent de provoquer une chute des prix de nombreux composants.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).