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Chine : Xi Jinping s'accapare les ministères, Li Keqiang garde les "miettes"

Le président chinois Xi Jinping et son Premier ministre Li Keqiang, un duo exécutif purement formel. (Source : Naples herald)
Le président chinois Xi Jinping et son Premier ministre Li Keqiang, un duo exécutif purement formel. (Source : Naples herald)
Que reste-t-il de Li Keqiang ? On connaît depuis la fin du mars le nom des nouveaux ministères et directeurs de commissions qui formeront la haute administration de la Chine durant le second mandat de Xi Jinping. D’emblée, c’est la situation du Premier ministre qui inquiète : ce dernier « dirige » certes le Conseil des affaires de l’État (nom officiel du gouvernement chinois), mais il a quasiment perdu l’entièreté du contrôle des ministres et ministères au profit de l’équipe Xi-Wang (习王体制 – Xi-Wang Tizhi). Même les survivants de la faction de Jiang Zemin ont réussi à faire mieux !

La part de Xi : les points stratégiques sous contrôle

Commençons par le nouveau territoire de Xi Jinping au gouvernement. Le président chinois – avec ses alliés – contrôle à présent les commissions et ministères suivants : la puissante commission pour le développement et la réforme, les ministères du Commerce, du Logement, du Développement rural-urbain, des Affaires civiles, des Transports, de la Sécurité nationale, de l’Audit, de la Défense nationale, des Finances et de l’Éducation. Bref, il contrôle les reformes et les questions de sécurité.
Xi Jinping ne laisse aux autres factions que les miettes du pouvoir. Ainsi les secteurs de l’Agriculture, des Ressources naturelles, des Affaires religieuses et ethniques, et de l’Industrie et Technologies de l’information demeurent entre les mains des « tuanpai », la faction de la Ligue des Jeunesses communistes affiliée à l’ex-président Hu Jintao et au Premier ministre Li Keqiang.
Plusieurs ministres se trouvent tiraillés entre deux factions : Zhao Kezhi à la Sécurité publique, Chen Wenqing à la Sécurité nationale ou encore Huang Shuxian aux Affaires civiles. Chen et Wang, suppose-t-on, ont fini par renier Jiang Zemin au profit d’une fin de carrière sous la protection de Xi Jinping. Mais difficile à dire dans le cas de Zhao Kezhi, un allié de longue date de Hu Jintao.

Une faction qui refuse de mourir : ce qui reste des alliés de Jiang Zemin en 2018

Les alliés de Jiang Zemin – de l’ancien tsar de la Sécurité publique Zhou Yongkang à l’ancien vice-président Zeng Qinghong – ont certes fait l’objet d’incessantes attaques de la part de la commission disciplinaire lorsqu’elle était sous la direction de Wang Qishan. Il n’empêche : ils ont quand même réussi le pari de conserver certaines institutions clés des réformes, comme la Banque Centrale. A sa tête a été nommé Yi Gang (易纲, né en 1958), l’un des proches associés de Zhou Xiaochuan (l’ex-Gouverneur à présent). Ce choix s’inscrit dans la continuité des réformes et remplace l’un des réformateurs proches de l’ancien premier ministre Zhu Rongji par un autre.
Né en 1955, Fu Zhenghua (傅政华) est certes encore sur la corde raide et se trouve maintenant à l’écart du système opérationnel de la sécurité publique. Mais il conserve un poste au Conseil d’État à la tête du ministère de la Justice. Fu demeure l’une des figures les plus visibles de la Chine de Jiang Zemin, lui qui fut directeur de l’unité du 610 (610办公室 – bangongshi), l’unité de travail chargée d’éliminer le mouvement Fa Lungong avant sa récente dissolution par Xi Jinping. Il a aussi longuement servi Zhou Yongkang au ministère de la Sécurité publique.
Luo Shugang (雒树刚, né en 1955) fut quant à lui un choix facile pour l’équipe Xi-Wang. Luo, qui se trouve à sa dernière rotation (63 ans), est l’un des derniers associés connus de Liu Yunshan lorsqu’il officiait au département de la propagande. Il était isolé depuis 2014 au ministère de la Culture : le renommer au même ministère de la Culture et du Tourisme ne représentait en rien une menace pour Xi Jinping (voir ici les rapports de force entre les factions).

L’avenir contrôlé de Li Xiaopeng

Fils de Li Peng, l’ancien Premier ministre de Deng et Jiang, Li Xiaopeng (李小鹏, 1959) avait été nommé ministre des Transports en 2016. Il a été reconduit au même poste en mars dernier. Cet immobilisme peut signifier plusieurs choses : 1) Xi souhaite lui confier d’importants projets d’infrastructures ; 2) Xi ne voit pas en Li un allié politique suffisamment crucial pour le renvoyer en province. Mais rien n’est sûr. Ce que l’on sait, c’est que Li a joué un rôle essentiel dans le démantèlement de la bande du Shanxi de Ling Jihua et que tous deux possèdent des affinités en tant que « princes rouges ».

Quel devenir pour Lu Hao et les « tuanpai » ?

C’est peut-être le cas le plus inquiétant après l’isolement de Li Keqiang. Lu Hao (陆昊, 1967) est une figure « tuanpai » importante de la génération 6.5 et un proche de Hu Jintao. Il a étudié à l’Université de pékin sous Li Yining (厉以宁, 1930), l’un des économistes les plus influents en Chine et le superviseur de Li Keqiang et de Li Yuanchao. Nommé en 2008 à la tête de la Ligue des jeunesses communistes (comme Li Keqiang et Hu Jintao avant lui), Lu Hao avance à pleine vitesse pour ensuite revenir vers les provinces. Il sera placé à la tête du gouvernement du Heilongjiang en 2013.

Son chemin semblait tracé : Lu pouvait devenir secrétaire du Parti en province comme c’était a coutume coutume chez les « chefs tuanpai ». Mais il fut stoppé dans sa course et relégué au poste de ministre du Territoire et des Ressources naturelles). En soi, le poste est du même rang que celui de gouverneur, mais dans les faits, passer de gouverneur à ministre, lorsqu’on espère une carrière politique au plus haut niveau, c’est être rétrogradé.

Après la chute de Ling Jihua, un autre lieutenant « tuanpai », en 2014, l’équipe Xi-Wang s’est promise de réduire l’influence de la faction de Hu Jintao à l’intérieur du Parti. Mais surtout des « tuanpai » demeuré fidèle à la Chine des années 1990, qui devait favoriser l’alternance entre les factions. Par exemple, le successeur de Lu Hao, soit Qin Yizhi (秦宜智, 1965) a été relégué à la vice-direction du bureau central du contrôle de la qualité, de l’inspection et de la quarantaine (国家质检总局, guojia zhi jian zongju) depuis septembre 2017.
Li Keqiang isolé, Hu Chunhua empêché de devenir membre du comité permanent et Lu Hao écarté de la scène provinciale, le message est clair : les Jeunesses communistes, propulsées par Hu Yaobang dans les années 1980, doivent changer. Car la faction associée à Hu Jintao n’est plus la bienvenue.

Les finances et la gestion des urgences

Né en 1956, Wang Yu est un ancien des champs pétrolifères de Daqing et un membre parfois oublié de la « clique du pétrole », dans laquelle il a engrangé plus de 30 années d’expérience. A présent, Wang est ministre de la Gestion des situations d’urgence. Lui qui a longtemps côtoyé l’ancienne étoile de la politique chinoise Su Shulin (苏树林, 1962) déchue en 2015, est considéré par plusieurs comme membre de la bande du Jiangsu de Jiang Zemin.
*Liu remplace Xiao Jie (肖捷, 1957), un associé de Wu Yi (vice-première-ministre sous Wen Jiabao) et de Li Keqiang.
Le nouveau ministre des Finances, Liu Kun (1956) [刘昆]* est un associé de longue date de Wang Qishan lorsqu’il était vice-gouverneur du Guangdong. Connu pour ses efforts de reformes en matière de taxation dans cette province, Liu Kun veut être une figure importante du deuxième mandat de Xi Jinping. Il veut participer à mettre en œuvre la « société de moyenne aisance » (小康社会, Xiaokang shehui), soit les politiques sociales visant la redistribution des richesses entre les régions pauvres et les régions riches. En ce sens, malgré un Conseil d’État relativement décevant, le choix de Liu Kun pourrait s’avérer décisif pour l’agenda économique de Xi.

Les « inconnus » et la suite : le système Xi-Wang

Outre les visages connus déjà présents autour de Xi, le nouveau gouvernement compte trois membres plus ou moins connus au Centre. E Jingping (鄂竟平) est ministre des Eaux, Wang Zhigang (王志刚) ministre des Sciences et technologies, et Sun Shaojun (孙绍骋), ministre des Anciens combattants. Avec Li Ganjie (李干杰), ministre de l’Écologie, ils ne semblent avoir aucun penchant factionnel clair pour l’instant. Cela dit, aucun d’eux ne dirige de ministère jugé « stratégique » par Xi Jinping.
Certaines nominations laissent songeur. Wang Anshun (王安顺), ex-maire de Pékin et associé de Zhou Yongkang et de Zeng Qinghong, semblait en perte de vitesse depuis 2016. pourquoi est-il demeuré en poste au centre de recherche sur les réformes du Conseil d’État ? Même interrogation pour Wang Yi (王毅) et de Yang Jiechi (杨洁篪) aux Affaires étrangères. Le retour de Yang sur la scène politique semble être le résultat d’un compromis, surtout lorsque l’on sait que ce sera Wang Qishan qui pilotera la diplomatie. Grâce à lui, Xi compte, semble-t-il, nettoyer le « système des Affaires étrangères (外交系统, waijiao xitong), influencé par Jiang Zemin depuis longtemps.
Aujourd’hui, nous sommes en terre inconnue. Quid de l’institutionnalisation du Parti ? Xi et Wang Qishan ont réussi à extraire (en partie) le siège du pouvoir en dehors du comité permanent vers l’État : en témoigne la nomination de Wang au poste de vice-Président. Xi tente-t-il de se détacher du Parti, voire même d’instaurer un nouveau système politique ? Seul Wang Qishan connaît les intentions du président. Une chose est certaine, le rêve chinois de Xi Jinping, qui en fait signifie « le rêve d’une nation puissante » (强国之梦, qiangguo zhi meng) provoquera encore à l’intérieur du Parti de nombreuses transformations.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.