Politique
Série - le 19ème Congrès du Parti communiste chinois

Chine : comment Xi Jinping a réorganisé le Parti depuis le 19ème Congrès

Le président chinois Xi Jinping présente à la presse le nouveau comité permanent du Parti communiste dans le Grand Hall du Peuple à Pékin, au terme du 19ème Congrès le 25 octobre 2017. (Crédits : AFP PHOTO / WANG ZHAO)
Le président chinois Xi Jinping présente à la presse le nouveau comité permanent du Parti communiste dans le Grand Hall du Peuple à Pékin, au terme du 19ème Congrès le 25 octobre 2017. (Crédits : AFP PHOTO / WANG ZHAO)
Cela fait maintenant un mois que le Parti communiste chinois a dévoilé la composition finale de son comité central, de son Politburo et de l’instance suprême du pouvoir : son comité permanent (lire notre article). Depuis lors, Xi Jinping s’est employé à faire des changements importants en plaçant ses alliés à certains postes rendus vacants par l’ancienne garde. Plusieurs personnalités ont dû prendre leur retraite, dont la plus éminente : Wang Qishan, allié important de Xi depuis 2012, mais aussi plusieurs alliés de Jiang Zemin, dont Zhang Dejiang, Zhang Gaoli, Li Yuanchao, Liu Yunshan ou Zhang Chunxian. Le président chinois a désormais le champ libre pour réorganiser le Parti-État à son image.

La question des « Grands départements » et de la mise en place de la structure « Xi »

*Le père de Zhao, Zhao Shoushan (赵寿山, 1894-1965) était proche du père de Xi Jinping au Shaanxi. **Furent mis en examen le 6 novembre : Du Qiang (杜强, né en 1962), ancien secrétaire de Huang Xingguo ; Xu Xuemin (许学民, 1962), du bureau des transports du Ningxia ; son prédécesseur Zhou Shu (周舒, 1954) ; Chen Wencheng (陈文成, 1958), membre de la bande du Jilin ; Zhu Linhua (朱林华, 1969), de la planification urbaine de la ville de Zhenjiang ; et Wang Haiping (王海平, 1961), directeur-adjoint de l’assemblée populaire pour la ville de Huai’an. Les deux derniers appartiennent à l’ancienne bande du Jiangsu.
Le départ de Wang Qishan n’a pas laissé le poste de chef de la commission disciplinaire – bras « armé » de Xi durant son premier mandat – vacant très longtemps. Wang fut remplacé très vite par Zhao Leji (1957), un allié de longue date de la famille de Xi*. Wang laisse d’ailleurs à Zhao une commission complètement « nettoyée », à l’exception d’un de ses huit secrétaires-adjoints, Liu Jinguo (刘金国, 1955), demeuré lui attaché à Zhou Yongkang. Zhao ne perdra pas de temps et continuera la chasse aux alliés de l’ancienne garde, à commencer par ceux de Huang Xingguo (黄兴国, 1954), ancien chef de Tianjin**. En plus, avec la parution récente des « Paradise papers », des enquêtes risquent probablement d’être relancées sur la famille de Zeng Qinghong. Certains parlent même des familles de Liu Yunshan et de Zhang Gaoli, tous deux fraîchement « sortis du Politburo » (出局), et même de Jia Qinglin. Zhao aura aussi la chance d’être appuyé par Yang Xiaodu, second de Wang Qishan, ministre de la Supervision et directeur du bureau national de la Lutte anticorruption.
Ce qui nous amène au successeur de Zhao Leji, soit, Chen Xi. Secondé par Du Jiahao (杜家毫, 1955), Chen aussi un allié de Xi Jinping. Egalement directeur de l’école centrale du Parti, il est l’ancien ministre-adjoint de l’Éducation et secrétaire du Parti pour l’université Qinghua. Avec ce parcours, peut-on s’attendre à ce que l’éducation et la pensée de Xi deviennent des éléments importants pour la promotion des cadres ?
*À noter que Ding, comme Wang Huning, Yang Xiaodu, Chen Xi, Guo Shengkun, Huang Kunming et You Quan (尤权, 1954) (non-membre du Politburo), fait partie du nouveau secrétariat de Xi. Tous sauf Guo sont des alliés avérés de Xi, qui vient également remplacer Sun Chunlan à la tête du département du Front Uni.
Li Zhanshu, collaborateur parachuté de du président chinois en 2012, se concentrera pour l’instant sur les questions de sécurité et délaissera le bureau des affaires générales au profit du « grand secrétaire » de Xi, soit Ding Xuexiang (丁薛祥, 1962). Ding, qui conserve son poste de chef du bureau du Président, est à présent également en charge du comité des départements directement sous la supervision du comité central, poste précédemment occupé par Li Zhanshu également*. Enfin, certains pensent que Li risque d’être nommé président de l’Assemblée nationale populaire, en remplacement de Zhang Dejiang. Par ailleurs, Ding sera appuyé notamment par Hou Kai (侯凯, 1962), le grand « tuanpai » (de la faction des Jeunes communistes liée à Hu Jintao) allié de Xi Jinping, présent à la commission disciplinaire depuis 2012. Hou est secrétaire de la commission de discipline dans le comité, « supervisant » ainsi le travail de Ding.
Wang Yang demeure pour l’instant encore vice-premier ministre aux côtés de Li Keqiang. Cela dit, il est rare que les vice-ministres soient reconduits, d’où une possible nomination à la tête de la Conférence consultative politique du peuple chinois, en remplacement de Yu Zhengsheng. Dans ce cas, Han Zheng pourrait venir épauler Li Keqiang au Conseil d’État. Et que dire de Wang Huning ? Outre ses fonctions précédentes, il semble être un bon compromis pour le poste de vice-président, en remplacement de Li Yuanchao.
*Li Xi sera remplacé au Liaoning par Chen Qiufa (陈求发, 1954) et Li Qiang le sera au Jiangsu par Lou Qinjian (娄勤俭, 1954). Lou, ex-secrétaire du Shaanxi, est, tout comme l’actuel secrétaire Hu Heping (胡和平, 1962), un allié de Xi.
Sun Chunlan, maintenant « sans fonction », fut elle-même remplacée par You Quan, également secrétaire du Parti dans le Fujian, et allié de Xi Jinping. A noter que You a également travaillé sous Li Keqiang au Conseil d’État entre 2008 et 2012. Pour l’instant, l’avenir de Sun demeure incertain. Li Xi (李希, 1956) est lui venu reprendre le Guangdong de Hu Chunhua et, comme prévu, le poste de Han Zheng a été rendu disponible pour un des alliés de Xi, soit Li Qiang (1959) [李强]*. « Libéré » de ce poste, on voit bien Hu Chunhua suivre les traces de Wang Yang ou encore de Zhang Dejiang au Conseil d’État et être en quelque sorte « placardisé » au rang de vice-premier ministre.
Pour Han Zheng, il en va autrement. Han est l’un des derniers vestiges de la présence de Jiang Zemin à Shanghai. Ses soutiens ont été défaits durant les cinq premières années de Xi au pouvoir. A commencer par son aide Yang Xiong (杨雄, 1953), ex-maire de Shanghai, et son secrétaire Jiang Zhuoqing (蒋卓庆, 1959). Han se retrouve isolé depuis un moment déjà face à la montée de la « nouvelle armée du Pujiang » (浦江新军) – en référence à certains districts de Shanghai et du fleuve Yangzi. Cette « armée » regroupe des cadres comme Ding Xuexiang, Yang Xiaodu, Du Jiahao ou encore Xu Lin (徐麟, 1963), second de Huang Kunming au département de la Propagande. Huang, en remplacement de Liu Qibao, nous indique encore davantage à quel point l’idéologie sera d’une importance capitale pour le second mandat de Xi.
*Né en 1965, Mu, ex-maire adjoint de Chongqing sous Sun Zhengcai, fut mis en examen le 9 novembre dernier.
Du reste, il est peu probable que Chen Min’er – qui s’en prend toujours ouvertement à Sun Zhengcai (avec la chute récente de Mu Huaping (沐华平)*) – ou encore Cai Qi ne se fassent muter par Xi, eux qui représentent respectivement Chongqing et Pékin au Politburo. Il en va de même pour Xu Qiliang et Zhang Youxia. Leur présence au bureau politique, ainsi qu’au sommet de la commission militaire centrale, ne peut que rassurer le Secrétaire général du Parti en ces temps de turbulences dans la région. « Son » général du Shaanxi, Zhang Youxia, un « prince rouge » comme Xi, saura avoir l’oreille du président durant les cinq prochaines années.
*Zhao est à la fois considéré comme allié de Hu Jintao et de Xi Jinping.
Il en va de même pour Wang Chen, Yang Jiechi et pour Chen Quanguo : ils ne changent pas de poste pour l’instant. Cela dit, certains pensent que Guo Shengkun pourrait perdre son siège à la commission des affaires légales et politiques au profit de Chen Quanguo ou encore de Li Hongzhong. L’un ou l’autre de ces cadres (avec Chen partant favori) serait appuyé directement par Zhao Kezhi (赵克志, 1953)* – ex-secrétaire du Hebei et ministre de la Sécurité publique depuis la fin octobre.

Li Hongzhong, le « petit Lin Biao »

Proche de la bande du Jiangsu liée à Jiang Zemin, Li Hongzhong n’est pas au-dessus de tout soupçon en matière de corruption. Sa nomination en a laissé perplexe plus d’un. Si bien que certains se demandent s’il ne terminera pas comme Bo Xilai ou encore Sun Zhengcai : nommé au Politburo pour y être ensuite destitué. On parle souvent « d’enlever le poison de Huang Xingguo » (suqing Huang Xingguo liudu – 肃清黄兴国流毒), lui-même membre de la bande du Jiangsu, sans toutefois mettre hors de cause le passé et la proximité de Li Hongzhong. Pourquoi Li a-t-il échappé aux dernières vagues d’arrestations comme récemment à Tianjin ? En juillet dernier, Wang Hongjiang (王宏江, 1965), membre du comité permanent du Parti et directeur du Front Uni de Tianjin, était mis sous les verrous, ainsi que Liu Jiangang (刘剑刚, 1958), directeur du bureau des affaires générales de la ville portuaire. En septembre, c’était le tour de Zhao Jianguo (赵建国, 1955), directeur de l’assemblée populaire pour le district de Binhai, et de Luo Fulai (罗福来, 1968), directeur du bureau de l’équipement et de la machinerie de Tianjin. Qu’est-ce qui a fait la différence pour Li Hongzhong ? Les observateurs ont remarqué chez lui des témoignages de loyauté de plus en plus prononcés envers Xi Jinping depuis le 24 juillet, date de la mise en examen officielle de Sun Zhengcai à Chongqing. Sans parler des problèmes qui subsistent dans le Hubei, province que Li a dirigée de 2007 à 2016, notamment en matière de droits de l’homme et de justice. Celui qui est surnommé le « petit Lin Biao » (小林彪) est loin d’être sorti d’affaire.

Clôture sur un Politburo décevant

A l’évidence, Xi Jinping a choisi l’idéologie plutôt que les questions économiques pressantes pour composer le Bureau politique du Parti. Même s’il a fait encore des avancées sur la scène provinciale, le président chinois nous propose un Politburo décevant, bien en-deçà des décennies précédentes. On se retrouve avec des membres « quasi-inutiles » comme Wang Chen, Yang Xiaodu, Yang Jiechi et même Liu He qui ne sont pas, comme on le dit en anglais « State Council material ». Ce dont la Chine post-campagne anticorruption a cruellement besoin en ce moment. La pauvreté en « vrais administrateurs », nécessaires au régime épuré de Xi, se fera sentir dans les mois qui viennent. Le choix de la coupure avec la Chine des années 1990 risque de s’avérer couteux si aucun plan de relance économique satisfaisant n’est présenté pour « supplanter » le 13e plan quinquennal lancé en 2016.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.