Politique
Série - La Chine en route vers le 19ème Congrès du PCC

Chine : de Jiang Zemin à Xi Jinping, l'ascension des Princes du Parti

Le président chinois Xi Jinping parle avec l'ancien président Jiang Zemin, aux côtés de celui qui lui succéda, Hu Jintao, sur la place Tian'anmen à Pékin, le 3 septembre 2015, lors du défilé militaire marquant le 70ème anniversaire de la victoire sur le Japon. (Crédits : AFP PHOTO)
Le président chinois Xi Jinping parle avec l'ancien président Jiang Zemin, aux côtés de celui qui lui succéda, Hu Jintao, sur la place Tian'anmen à Pékin, le 3 septembre 2015, lors du défilé militaire marquant le 70ème anniversaire de la victoire sur le Japon. (Crédits : AFP PHOTO)
Qui peut les arrêter ? Les Princes rouges ou descendants des révolutionnaires historiques qui ont façonné la Chine populaire depuis Mao, dominent aujourd’hui le Parti communiste. Le plus puissant d’entre eux, Xi Jinping, est à la fois le produit de cette histoire et son principal bénéficiaire. Le 19ème Congrès du PCC s’ouvre ce mercredi 18 octobre et il doit permettre au numéro un chinois d’asseoir pour au moins une décennie son emprise sur le Parti. Comment en est-on arrivé là ? Comment comprendre l’ascension des Princes, au gré des transitions et des slogans, de la prise de pouvoir de Jiang Zemin à aujourd’hui ?

le Congrès du PCC, comment ça marche ?

Réunie en Congrès tous les 5 ans, généralement au mois d’octobre, l’Assemblée représentative nationale du Parti communiste chinois [中国共产党全国代表大会] est – en théorie – l’instance dirigeante la plus importante de la République Populaire. C’est elle qui fixe la direction suprême d’un pays où le leadership du parti unique est gravé dans le marbre de la Constitution et de son préambule. C’est à elle que revient la lourde tâche de présider au destin des quelque 80 millions de membres que compte le Parti en Chine.

Fort d’environ 2200 délégués et représentants, en majorité issus des gouvernements provinciaux et de l’armée, le Congrès organise les « élections » qui permettent de désigner les membres des organes centraux du pays. Soit le Comité central pour l’inspection disciplinaire du PCC, le Comité central du Parti, la Commission militaire centrale (CMC) et enfin le bureau politique et son organe décisionnel, le comité permanent.

C’est aussi durant le Congrès que sont passés en revue les « carnets de promotion » pour un grand nombre de cadres. De même que les décisions concernant une importante partie des promotions vers les rangs provinciaux et ministériels. Enfin, c’est aussi au Congrès que revient la lourde tâche d’élire le secrétaire général du Parti – poste aujourd’hui occupé par Xi Jinping.

Les réformes sous Deng Xiaoping furent lancées au son des trompettes des slogans maoïstes, comme le désormais célèbre : « Rechercher la vérité à partir des faits » [实事求是 – shishi qiushi]. Cette citation du Grand Timonier a d’un côté servi de justification au développement des zones économiques spéciales (ZES) dans le sud du pays. De l’autre, elle a permis de rallier « l’ancienne garde » communiste au projet de réforme en sous-entendant qu’il serait serait – bien entendu – encadré par l’idéal communiste.
Par la suite, la période qui « sort de la planification », de 1993 à 1998, est motivée par le développement à tout prix. Placé aux avant-postes dans l’ombre du Petit Timonier depuis 1989, Jiang Zemin s’empresse de consolider sa « prise de pouvoir ». Il se fonde d’abord sur l’ancienne élite militaire du commandement de la zone Est sous la 4e Nouvelle armée [华东系统] et sur d’autres patriarches « conservateurs ». En parallèle, il accompagne la montée en force des fidèles de Hu Yaobang qui seront connus plus tard sous le nom de « tuanpai » (团派), soit les anciens membres de la Ligue des jeunesses communistes.
En effet, Jiang Zemin est l’homme du compromis. Il a retenu la leçon des deux tentatives manquées de succéder à Deng, celles de Hu Yaobang et de Zhao Ziyang : pour s’imposer au plus haut niveau, il doit composer avec un solide réseau de fidèles qui n’est présent qu’au second degré au moment de sa nomination. Jiang va progressivement imposer sa « marque » et son slogan : celui des « trois représentativités » (三个代表 – san ge daibiao). C’est d’ailleurs la mise en pratique de cette politique qui permet de comprendre la montée de Xi Jinping et des autres princes – notamment Bo Xilai.
En ce sens, les slogans du Parti forment en quelque sorte une suite logique : l’expression du compromis au sein du Parti-État, tout autant que l’émergence de nouvelles classes et de nouvelles tensions sociales, et ce jusqu’à la fin de l’idéal communiste qu’exprime le « rêve chinois ». C’est de ces slogans dont il sera question, avec en toile de fond la question de l’ascension de Xi Jinping et des Princes du parti d’une part et, d’autre part, l’avenir du Parti-État après 2017.

Les « trois représentativités » sous Jiang Zemin

Ce slogan mis en avant dès 2000 puis inséré dans la Constitution en 2002 sous le mandat de Jiang Zemin a bien failli passé sous le tapis. Surtout après l’introduction d’un autre slogan cher à Hu Jintao, celui de la « société harmonieuse » (和谐社会 – hexie shehui) en 2004.
Que signifie donc cette triple représentativité, qui se cache derrière ce slogan des « san ge daibiao » ? L’idée principale et publiquement affichée est avant tout l’ouverture du parti aux nouvelles forces productives « créées » durant les premières salves de privatisations des réformes mises en place dans les années 1990 par le Premier ministre Zhu Rongji. En novlangue communiste, on parle alors de « nouvelle classe capitaliste rouge », de « classe de propriétaires » et de « chefs d’entreprise ». Mais ce ne sont pas seulement les grands capitalistes qui font leur entrée dans le parti ! En effet, on oublie parfois que ce slogan, ainsi que les actions de Jiang Zemin durant sa période au pouvoir (1989-2003), invitait également une autre classe « oubliée », ou plutôt mise de côté durant l’époque des deux timoniers (Mao et Deng), à « ré-entrer » dans le Parti : celle des enfants du Parti.

Les « trois représentativités » et les Princes du Parti

Mao les avait en horreur. Il voyait en eux la cristallisation (ainsi que la création d’une nouvelle classe) du pouvoir des élites régionales revenues au Centre avant et après le désastreux épisode du Grand Bond en avant (1958-1960). Le retour des princes dans le Parti sera l’une des conditions clé de l’ascension et du soutien continu de Jiang Zemin durant toues les années 1990.
Ainsi, aussitôt président en 1993, Jiang s’empressera de s’entourer de princes comme Zeng Qinghong ou encore Zhou Yongkang. Et de noter également la promotion des princes de la génération suivante : Xi Jinping et Bo Xilai par exemple, deviendront tous deux cadres de rang vice-provincial en 1993 et de rang provincial en 2000. Tous deux, comme Wang Qishan et même Zhao Leji dans une moindre mesure, bénéficieront de la présence continue de Jiang Zemin à Zhongnanhai durant cette période pour voir se (ré)ouvrir les portes du Parti. Et ce, malgré les avertissements répétés de Deng Xiaoping qui rappelait que les princes sont vus d’un mauvais œil par les cadres « normaux » qui forment l’ossature complète et la base du Parti, ainsi que par de larges segments de la population.

La « société harmonieuse » sous Hu Jintao

La « victoire » de Jiang sera pourtant de courte durée. Hu Jintao, âgé de 50 ans en 1992, est en effet nommé au secrétariat central ainsi qu’au comité permanent auprès des alliés de Jiang Zemin. Cette nomination, l’un des derniers coups d’éclat de Deng Xiaoping, visait à assurer la descendance d’une frange plus « libérale » – faute de meilleur terme – telle qu’elle émergea dans le Parti vers la fin des années 1970 sous l’impulsion de Hu Yaobang. Cela dit, pour la petite histoire, le choix du successeur de Jiang n’importait que peu à l’époque, comme le prouvera par ailleurs l’équilibre factionnel provincial de 2003 à 2015, toujours entre les mains de Jiang Zemin. En ce sens, il est permis de dire que le leader le plus influent depuis Mao, demeure le prédécesseur de Hu Jintao.
Mais là n’était pas la question. En effet, les membres du Parti n’avait que faire des luttes au sommet de l’État-Parti, pris qu’ils étaient par des problèmes plus concrets nés de la politique des réformes. Et c’est pour expliciter ces difficultés que Hu Jintao mettra en avant son slogan de la « société harmonieuse » [和谐社会].
Avec l’emploi de ce slogan, le Parti admettait les « désordres’ crées par les réformes. Ce sont les oubliés de cette vaste politique économique qui seront le cœur de la politique intérieure du pays pendant la période Hu-Wen. Mais pas seulement. En effet, faute de pouvoir contrôler la scène provinciale ou les hautes instances du Parti, la décennie de Hu Jintao, parfois qualifiée de « décennie perdue », servit également à préparer le retour au Centre des enfants du régime, ces « zhiqing », ou « jeunes instruits » envoyés à la campagne par Mao, à qui l’on avait tant promis avant et même durant la Révolution culturelle.

La « société harmonieuse » et les Princes du Parti

L’ère Hu Jintao-Wen Jiabao verra donc la mise en place d’une certaine collégialité – plus obligatoire de fait que désirée – au plus haut étage de l’État-Parti entre les alliés des uns et des autres.
Mais Hu Jintao ne reste pas pour autant les bras croisés puisqu’il décidera notamment de se couper de l’héritage maoïste une bonne fois pour toute en délaissant la question de la lutte des classes au profit de celle de la gouvernance. C’était tout le but de la « société harmonieuse ».
Pour les alliés de Jiang Zemin, cette « harmonie » permit à chacun de continuer à grimper à l’échelle des promotions en emmenant dans leur sillage les Princes désignés avant 2007 afin de venir succéder à l’entourage de Hu. Car pris à la lettre, le slogan demandait à Hu Jintao et à ses alliés de calmer le jeu et donc de ne pas revenir à la politique de vendetta telle qu’elle avait cours dans les années 1950-1960. D’où d’ailleurs les campagnes étatiques de « rationalisation » très pâles au regard de ce qui se joue actuellement avec la campagne de lutte anti-corruption menée par le couple Xi Jinping-Wang Qishan.
Ce dialogue d’aplanissement et de collégialité, de stabilité même, protégea les princes (le « droit » princier) de la 5ème et 6ème génération de l’influx continu de cadres « tuanpai » affiliés à Hu, qui contournent, grâce à leur propre structure de promotion, la Ligue des Jeunesses communistes, plusieurs des postes de bas niveau, et qui se retrouvent ensuite en province plus jeunes et donc plus susceptibles d’être promus que certains princes.

Préparer la population au « cauchemar » ou le « Rêve chinois »

La question de la « société harmonieuse » ne se pose plus désormais. Le Parti doit maintenant faire des efforts considérables pour acheter la paix sociale, quitte à amener le chaos en son sein, comme avec la campagne anti-corruption. Les slogans passés de « L’harmonie » et des « trois représentativités » ont bien servi les princes qui, avec Xi comme figure de proue, sont aujourd’hui en charge des destinées de la Chine pendant probablement plus d’une décennie après le départ de Xi prévu pour 2022.
Mais alors que penser du « Rêve chinois » (中国梦), idiome si cher au président actuel qui voudra surement l’enchâsser aux côtés de la « société harmonieuse » et des slogans de ses prédécesseurs ? Outre le long descriptif économique, social et politique, le rêve est avant tout celui du Parti qui tente de se réaffirmer suite à la chute du communisme ainsi qu’à la perte de vitesse du maoïsme et du socialisme sur le continent. Ce « rêve », comme dans le cas de la double signification de la « société harmonieuse’ (qui admettait le chaos social créé par la politique des réformes) a deux faces. Il exprime autant un objectif à atteindre que la triste réalité qui attend la génération post-réforme, laquelle fera moins bien (économiquement) que la génération précédente.
Aujourd’hui, les réformes sont à bout de souffle et les universités sont en surproduction ; les marchés sont de moins en moins capables d’absorber les nouveaux diplômés ; la vente au détail est en fin de vie ; les marchés de vente virtuel commencent à saturer, etc. Face à cette situation, que reste-t-il alors pour les autres, les nouvelles générations en quête d’identité ? Ce « rêve » de voir une Chine revitalisée pourrait bien tourner au cauchemar pour cette génération née au début des années 2000.
En outre, de cette transition de la Chine de Jiang Zemin à celle Xi Jinping vue via le prisme des slogans politiques, on mesure avant tout la reprise du Parti par le Parti. Avec tous les efforts mis en place par l’équipe Xi-Wang, une certaine fermeture a eu lieu à l’encontre des éléments « étrangers » aux éléments non-princiers, comme les membres de la faction des Jeunesses communistes par exemple. Mais ces derniers résisteront peut-être pendant le Congrès qui s’ouvre le 18 octobre. Nul doute que ce sera leur dernière occasion d’essayer de casser la mainmise des Princes sur le Parti.
(A suivre : les dangers pour le Parti de la stratégie personnelle de Xi Jinping.)
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.