BD : l’Inde pour le meilleur et pour le pire
Plus de cent millions de ces tribaux vivent aujourd’hui en Inde. On en trouve dans tout le pays, mais ils se concentrent dans les États du centre et de l’Est. Un peu comme les Peaux-Rouges d’Amérique, les Adivasis ne se sont jamais complètement intégrés dans la société indienne. Aujourd’hui encore, ils vivent essentiellement dans des régions de collines et de forêts, en pratiquant la cueillette, la chasse et l’exploitation du bois. Leurs religions animistes – ils vénèrent la nature, les arbres, etc. – les placent complètement en dehors de l’hindouisme, ce qui leur vaut d’être considérés par la majorité de la population comme peut-être encore plus bas que les intouchables dans la stricte hiérarchie socio-religieuse du pays. Mal placées selon la plupart des indicateurs de développement (santé, éducation ou niveau de vie), ces peuplades mènent une existence souvent précaire et dépendent étroitement de leur environnement naturel.
Si la nature qui les entoure les fait vivre, elle est aussi la source de leurs plus grands malheurs. Car les collines de l’est de l’Inde sont des régions riches en minerais : charbon, bauxite, etc. Les grands industriels indiens et internationaux veulent donc s’y installer, au prix de la destruction de vastes espaces naturels. Et pour ne rien arranger, ces mêmes zones de collines boisées, difficilement pénétrables, constituent le terrain de prédilection des redoutables naxalites : une guérilla d’inspiration maoïste, ultra-violente et criminalisée, qui contrôle de vastes territoires habités par les Adivasis.
Ces derniers se retrouvent donc dans une situation épouvantable, entre le marteau des pouvoirs publics et l’enclume des naxalites. La première scène d’Adivasis meurtris en donne une bonne illustration : l’attaque d’une paisible assemblée villageoise par des forces paramilitaires persuadées d’avoir affaire à un rassemblement de sympathisants naxalites, et le massacre qui s’ensuit. Entièrement centrée sur l’État du Chhattisgarh, la BD détaille bien les mécanismes de cette véritable guerre civile qui a fait des milliers de victimes depuis le début du XXIème siècle. La violence est extrême : les paramilitaires considèrent a priori les populations tribales comme complices des naxalites et massacrent allègrement, tandis que les militants maoïstes pratiquent aussi l’ultra-violence. Leurs exploits incluent une embuscade ayant fait 76 victimes chez les forces de l’ordre ou des attaques de train avec de nombreux civils tués. Les naxalites ont souvent entrepris d’éliminer de leurs territoires toute trace de l’État indien, y compris les écoles ou les services de santé, contribuant ainsi à la dégradation des conditions de vie des tribaux.
L’âpreté des affrontements est directement liée aux intérêts économiques en cause : les autorités de l’État et les politiciens locaux ont partie liée aux groupes industriels qui veulent exploiter les ressources minières de la région, tandis que les naxalites vivent grâce au racket des activités économiques. Comme le dit très justement un homme d’affaires dans la BD : « Cyniquement, on peut dire que le drame du Chhattisgarh est que son sous-sol est aussi riche que sont pauvres ceux qui vivent dessus. »
Attirer l’attention sur le sort tragique de ces populations avec une BD comme Adivasis meurtris est une entreprise qui ne peut qu’être saluée. Malheureusement, l’album pèche à plusieurs égards. Sur la forme, les petits croquis noir et blanc qui illustrent la BD n’aident pas vraiment à entrer dans le sujet. Sur le fond, l’ouvrage est d’un militantisme qui évacue des questions importantes. Pour ne prendre que la plus évidente : les projets industriels dans la région sont systématiquement présentés comme un mal absolu. Mais dans un pays aussi densément peuplé que l’Inde, il n’existe pas de terres qui ne soient revendiquées par personne. S’il faut renoncer à exploiter l’essentiel des ressources minières parce que les tribus qui vivent dans ces zones ne sont pas d’accord, comment le pays peut-il espérer mener à bien l’industrialisation et les créations d’emplois dont sa très jeune population a désespérément besoin ? Il n’y a pas de réponse facile à cette question, qui est au cœur des problématiques de développement du pays. Mais ériger en principe absolu la préservation ad vitam aeternam du mode de vie traditionnel des populations tribales ne peut pas être une option réaliste.
Destinés aux enfants, les deux tomes de Namasté racontent l’histoire d’une petite française, Mina, qui arrive en Inde avec ses parents pour un séjour touristique. Dès leur arrivée à Mumbai (Bombay), la fillette est frappée par l’omniprésence des images de Ganesh, le dieu éléphant. Au point qu’elle descend du train de nuit qui les emmène à Agra parce qu’elle a cru le voir. Le train repart sans elle et la voilà toute seule en pleine nuit dans une bourgade inconnue… Pas plus affolée que ça, elle entreprend de chercher de l’aide pour retrouver ses parents mais sans succès puisqu’elle est incapable de s’exprimer en anglais. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur un garçon de son âge, Pintu, qui – sacré coup de chance ! – parle français puisqu’originaire de Pondichéry.
Le jeune garçon emmène Mina chez son gourou, dans un temple de Ganesh. Les deux enfants partent ensuite à travers la campagne indienne en direction d’Agra, la ville du Taj Mahal, où ils espèrent retrouver les parents de Mina. Ce faisant, la fillette découvre bien des aspects de l’Inde : marchés de village, sâdhus (les « renonçants » qui errent sur les routes – voir notre photo-reportage), cérémonies religieuses, etc. Leur périple les amène dans le palais décrépi d’un vieux maharadja qui décide de conduire Mina à Agra dans son automobile antédiluvienne. Après moult péripéties, la petite famille se réunit.
Ce récit plein de fantaisie est conçu pour donner à de jeunes lecteurs une première image de l’Inde. A ce titre, il n’évite pas les clichés, depuis les charmeurs de serpents jusqu’aux singes omniprésents, clichés sans doute inévitables dans des albums de ce genre. Namasté présente aussi de multiples détails de la vie quotidienne : les mendiants dont la vue ne peut que choquer un enfant occidental qui débarque dans le pays ; les listes de noms affichées sur les wagons ; la distribution des repas dans les trains, etc. L’impression véhiculée est celle d’une Inde sérieusement aseptisée, où une fillette occidentale peut parcourir des centaines de kilomètres dans le pays sans jamais craindre pour sa sécurité – tout le contraire de l’Inde ultra-violente montrée dans Adivasis meurtris. Joyeux, plein de couleurs acidulées, ce double album est tout indiqué pour être lu par des enfants allant dans le pays avec leurs parents – à condition que cela ne leur donne pas l’envie de fuguer sur place…
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