Culture

BD : voyage du Vietnam au Laos en passant par Taïwan

Extrait de la bande dessinée "Les mariées de Taïwan", scénario et dessin de Clément Baloup, La Boîte à Bulles. (Copyright : La Boîte à Bulles)
Extrait de la bande dessinée "Les mariées de Taïwan", scénario et dessin de Clément Baloup, La Boîte à Bulles. (Copyright : La Boîte à Bulles)
Trois albums très différents se penchent sur ces pays d’Asie du Sud-Est, dans des registres allant de l’enquête sociologique à la saga familiale en passant par la chronique intimiste.
D’un côté : des hommes célibataires, vivant dans des régions relativement aisées, où ils ne trouvent pas d’épouses. De l’autre : des femmes de régions ou pays pauvres, sans perspectives professionnelles, prêtes à tout pour améliorer leur existence et venir en aide à leur famille. Quand une telle demande rencontre une telle offre, un marché se crée avec, s’agissant d’êtres humains, toutes les dérives imaginables.
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Couverture de la bande dessinée "Les mariées de Taïwan", scénario et dessin de Clément Baloup, 160 pages, La Boîte à Bulles, 22 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de la bande dessinée "Les mariées de Taïwan", scénario et dessin de Clément Baloup, 160 pages, La Boîte à Bulles, 22 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de la bande dessinée "Les mariées de Taïwan", scénario et dessin de Clément Baloup, 160 pages, La Boîte à Bulles, 22 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de la bande dessinée "Les mariées de Taïwan", scénario et dessin de Clément Baloup, 160 pages, La Boîte à Bulles, 22 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de la bande dessinée "Les mariées de Taïwan", scénario et dessin de Clément Baloup, 160 pages, La Boîte à Bulles, 22 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de la bande dessinée "Les mariées de Taïwan", scénario et dessin de Clément Baloup, 160 pages, La Boîte à Bulles, 22 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

 
 
*Les mariées de Taïwan, scénario et dessin de Clément Baloup, 160 pages, La Boîte à Bulles, 22 euros.
Le phénomène des jeunes femmes qui quittent leur terre d’origine et leur famille dans le cadre d’un mariage arrangé pour des raisons strictement financières est connu dans de nombreux pays d’Asie. Il existe à grande échelle au sein de l’Inde, par exemple, avec les jeunes filles des États pauvres de l’Est comme le Bihar, qui deviennent, de gré ou de force, les épouses d’hommes d’États riches comme le Pendjab. La BD Les mariées de Taïwan* explore en détail ce véritable commerce tel qu’il existe entre le Vietnam et Taïwan.
Fruit d’une enquête approfondie menée dans les deux pays, l’album se présente comme un docu-fiction suivant une femme imaginaire, Linh. Une jeune campagnarde dont la vie bascule le jour où elle est repérée par une « rabatteuse » d’une agence matrimoniale travaillant pour des clients taïwanais. Cette femme promet à Linh de lui faire rencontrer « des hommes sérieux venant de pays riches ». Un tel mariage réglera tous les problèmes : elle mènera une vie facile dans un pays moderne, pourra faire des études et envoyer de l’argent à sa famille qui manque de tout…
Linh se laisse convaincre, sur la promesse qu’une rencontre avec des Taïwanais dans une ville du Vietnam ne l’engage à rien : elle sera bien sûr toujours libre de refuser les époux potentiels. Sauf que lorsqu’elle se retrouve sur la scène d’une salle enfumée avec une série d’autres jeunes femmes exhibées devant une assemblée de mâles comme dans une foire aux bestiaux et qu’elle émet le souhait d’abandonner, on lui fait comprendre la situation : elle est certes libre mais si elle renonce elle devra rembourser à l’agence tous les frais engagés pour son compte, voyage, hébergement et autres, ce qu’elle n’est pas en mesure de faire.
Ayant donc accepté bon gré mal gré le mariage avec un parfait inconnu, Linh se retrouve à Taïwan dans un monde totalement étranger. Elle n’a jamais vécu en ville, ne parle pas la langue. Sa belle-famille la traite comme une domestique et son mari finit par la battre sauvagement. Hospitalisée, Linh demande le divorce. Elle l’obtient, mais à condition d’indemniser la belle-famille de tous les frais engagés pour elle, avion depuis le Vietnam, coût de l’agence matrimoniale, etc. Il lui faut en quelque sorte se racheter elle-même. Ce qu’elle finit par faire avant de se rebâtir une vie sur place, à Taïwan, avec l’aide d’autres femmes vietnamiennes comme elle.
A travers ce personnage fictif, Les mariées de Taïwan décortique un phénomène bien réel : selon l’auteur, il y aurait dans l’île environ 100 000 Vietnamiennes arrivées dans ces conditions depuis la fin des années 1990. Clément Baloup s’attache avec efficacité à dénoncer des mécanismes qui traitent les jeunes femmes comme une simple marchandise. Il intercale malgré tout au milieu de l’histoire une série de portraits de femmes réelles rencontrées à Taïwan qui montre que tous les cas ne sont pas dramatiques : il se trouve aussi des exemples d’adaptations à peu près réussies. Un phénomène intéressant tient au fait que, semble-t-il, les Vietnamiennes arrivées ainsi dans l’île n’en repartent pas, même quand elles ont divorcé.
Le style graphique original de l’auteur oscille entre grand réalisme des scènes de la vie quotidienne et visions fantasmagoriques, comme les cauchemars de Linh. L’art de Clément Baloup flirte avec le fantastique quand il affuble le mari de Linh d’une tête de crapaud ou dote la rabatteuse de multiples yeux quand elle exige que la jeune fille se déshabille pour vérifier la « qualité de la marchandise ». L’artiste se révèle aussi à l’aise dans la représentation de quartiers urbains plutôt sordides que dans de belles scènes de campagne vietnamienne.
Note finale de l’auteur : la situation des immigrées vietnamiennes à Taïwan tend à s’améliorer ces dernières années grâce à de nouvelles lois plus protectrices mais le pire est peut-être à venir. Ce sont désormais les Chinois, confrontés à un énorme déficit de femmes du fait de la politique de l’enfant unique, qui convoitent le marché des jeunes Vietnamiennes…

Saïgon au quotidien

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Couverture de "Big Bang Saigon", scénario de Hugues Barthe, dessin de Maxime Péroz, 160 pages, La Boîte à Bulles, 24 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de "Big Bang Saigon", scénario de Hugues Barthe, dessin de Maxime Péroz, 160 pages, La Boîte à Bulles, 24 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de "Big Bang Saigon", scénario de Hugues Barthe, dessin de Maxime Péroz, 160 pages, La Boîte à Bulles, 24 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de "Big Bang Saigon", scénario de Hugues Barthe, dessin de Maxime Péroz, 160 pages, La Boîte à Bulles, 24 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de "Big Bang Saigon", scénario de Hugues Barthe, dessin de Maxime Péroz, 160 pages, La Boîte à Bulles, 24 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

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Extrait de "Big Bang Saigon", scénario de Hugues Barthe, dessin de Maxime Péroz, 160 pages, La Boîte à Bulles, 24 euros. (Copyright : La Boîte à Bulles)

 
 
*Big Bang Saigon, scénario de Hugues Barthe, dessin de Maxime Péroz, 160 pages, La Boîte à Bulles, 24 euros
Le Vietnam encore, mais sous un angle très différent : Big Bang Saigon* raconte l’histoire de Maxime, dessinateur français au chômage, qui part dans ce pays sur les traces de son grand-père, et surtout du fils que ce dernier aurait eu sur place avec une Vietnamienne pendant la guerre d’Indochine. Si longtemps après les faits, sa quête se révèle infructueuse mais parmi les nombreuses personnes qu’il croise à Saïgon figure une jeune Japonaise avec laquelle il noue une passion torride, montrée de façon très explicite. C’est l’histoire de cette relation tumultueuse, coupée par un séjour de Maxime en France et perturbée par son peu de penchant pour la fidélité, qui occupe l’essentiel de l’album.
Si le Vietnam est très présent dans cette histoire largement autobiographique, c’est donc essentiellement en tant que toile de fond. Le dessinateur nous donne cependant à découvrir de nombreux détails de la vie quotidienne et, à l’occasion, de superbes décors croqués sur place dans un style réaliste et très détaillé sur lesquels il « plaque » ses personnages plus esquissés.

Destins laotiens

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Couverture de la bande dessinée "Un million d’éléphants", scénario de Jean-Luc Cornette, dessin de Vanyda, 160 pages, Futuropolis, 23 euros. (Copyright : Futuropolis)

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Extrait de la bande dessinée "Un million d’éléphants", scénario de Jean-Luc Cornette, dessin de Vanyda, 160 pages, Futuropolis, 23 euros. (Copyright : Futuropolis)

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Extrait de la bande dessinée "Un million d’éléphants", scénario de Jean-Luc Cornette, dessin de Vanyda, 160 pages, Futuropolis, 23 euros. (Copyright : Futuropolis)

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Extrait de la bande dessinée "Un million d’éléphants", scénario de Jean-Luc Cornette, dessin de Vanyda, 160 pages, Futuropolis, 23 euros. (Copyright : Futuropolis)

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Extrait de la bande dessinée "Un million d’éléphants", scénario de Jean-Luc Cornette, dessin de Vanyda, 160 pages, Futuropolis, 23 euros. (Copyright : Futuropolis)

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Extrait de la bande dessinée "Un million d’éléphants", scénario de Jean-Luc Cornette, dessin de Vanyda, 160 pages, Futuropolis, 23 euros. (Copyright : Futuropolis)

 
 
*Un million d’éléphants, scénario de Jean-Luc Cornette, dessin de Vanyda, 160 pages, Futuropolis, 23 euros
C’est dans le pays voisin, le Laos, que se passe Un million d’éléphants*. Après l’enquête sociologique des Mariées de Taïwan et la chronique intimiste de Big Bang Saigon, ce volume appartient à une genre totalement différent : la saga familiale. Mais comme le premier album, il s’agit d’une fiction complètement ancrée dans le réel, et comme le deuxième, d’un retour aux sources d’une histoire de famille. Le père de Vanyda, la dessinatrice de Un million d’éléphants, fait en effet partie de ces Laotiens qui ont fui leur pays ravagé par la guerre civile pour se réfugier en France et y faire leur vie. Née dans l’Hexagone, Vanyda n’a découvert le Laos qu’une fois adulte et c’est l’histoire de sa famille et de quelques proches qu’elle retrace dans cette BD.
Les 160 pages du volume commencent en 1935 pour mener jusqu’à nos jours. On y suit les destins entrecroisés des ancêtres de la jeune femme à travers les bouleversements incessants qui ont secoué le pays : le départ des Français suite à Diên Biên Phu, la montée en puissance du Pathet Lao, la dictature communiste, les émigrations, les tentatives de réinsertion des exilés dans leurs pays d’accueil… Ce faisant, on accompagne des personnages attachants comme Virasay, musicien dans la garde royale, ce qui lui vaudra le camp de rééducation, son ami Phou Chay, de la minorité persécutée des Hmong, ou encore Boun, qui croit au communisme avant de se reconvertir dans le commerce du café.
Le récit fourmille d’anecdotes frappantes : les croyances magiques qui prévalaient encore il y a quelques dizaines d’années, les massacres de villages entiers, les stratégies pour obtenir la possibilité de s’exiler, la découverte de la vie quotidienne en France par les exilés, les improbables retrouvailles d’anciens amis à l’autre bout du monde…
Très joliment illustré, le livre souffre de l’ampleur de ses ambitions : retracer la vie d’une multitude de personnages dans un contexte historique aussi tourmenté sur une période de plus de soixante-dix ans, le tout en 160 pages, impose de procéder à des raccourcis fulgurants. On change souvent de lieu et d’époque en quelques cases, et le lecteur a parfois du mal à suivre. Un million d’éléphants n’en reste pas moins un livre fort intéressant pour qui veut se pencher sur l’histoire récente d’un pays que l’on voit peu dans la bande dessinée.
Patrick de Jacquelot

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A propos de l'auteur
Patrick de Jacquelot est journaliste. De 2008 à l’été 2015, il a été correspondant à New Delhi des quotidiens économiques La Tribune (pendant deux ans) et Les Echos (pendant cinq ans), couvrant des sujets comme l’économie, le business, la stratégie des entreprises françaises en Inde, la vie politique et diplomatique, etc. Il a également réalisé de nombreux reportages en Inde et dans les pays voisins comme le Bangladesh, le Sri Lanka ou le Bhoutan pour ces deux quotidiens ainsi que pour le trimestriel Chine Plus. Pour Asialyst, il écrit sur l’Inde et sa région, et tient une chronique ​​"L'Asie dessinée" consacrée aux bandes dessinées parlant de l’Asie.