Quel "Etat unitaire" en Indonésie ?
On retrouvait cette crainte dans l’opinion indonésienne. Un an plus tard, une spécialiste britannique de l’Indonésie citait ainsi les résultats d’un sondage révélant que plus de 90 % des répondants voyaient un risque d’éclatement du pays (Anne Booth, « Will Indonesia break up ? », Inside Indonesia, 59, juillet-septembre 1999).
Dans ces premières années qui suivent la démission de Soeharto, d’autres chercheurs évoquaient la possibilité d’une désintégration de l’Indonésie. Un géographe français parlait ainsi en 2001 de « l’éventuel éclatement de l’Indonésie devant l’aspiration de plusieurs peuples à échapper à la mainmise autoritaire des militaires » (Frédéric Durand, « Timor Loro Sa’e : la déstructuration d’un territoire », Lusotopie, 2001). En 2004, un chercheur britannique se demandait lui aussi si l’Indonésie ne serait pas la « prochaine Yougoslavie » (David Armstrong, « The Next Yugoslavia ? The Fragmentation of Indonesia », Diplomacy & Statecraft, Volume 15, Issue 4, 2004).
Plus de quinze ans après la démission de Soeharto, cette référence à la Yougoslavie et cette crainte de l’éclatement du pays étaient toujours présentes : en 2013, lors d’une conférence à Jakarta, le Comité pour la tolérance entre les religions en Indonésie, évoquant « la Yougoslavie [qui] n’existe plus parce qu’elle a échoué à gérer sa diversité », se demandait ainsi si c’était le sort qui attendait l’Indonésie (Olivia Gaol, « Intolerance could make Indonesia fail, group warns », The Jakarta Post, 22 février 2013).
Pourtant, le pays a largement démontré sa résilience. Le déroulement normal des différentes élections qui se sont successivement tenues depuis la démission de Soeharto montre que les plus de deux cent cinquante millions d’Indonésiens ont le désir de continuer de vivre ensemble en bonne entente.
Avant l’indépendance
L’histoire semble ensuite s’accélérer.
En 1924, l’ »association communiste des Indes »*, change son nom en Partai Komunis Indonesia (pour en savoir plus, se reporter à notre article). En 1927, des personnalités fondent le Partai Nasional Indonesia, le « parti national indonésien ».
En 1928, les représentants de différentes associations de jeunes indigènes se réunissent à Batavia, la capitale des Indes néerlandaises, pour un « Deuxième congrès de la jeunesse » (le premier s’était tenu en 1926) au cours duquel ils déclarent : « avoir pour unique terre de naissance, la terre indonésienne [,] pour unique nation, la nation indonésienne [et comme] langue de l’unité, la langue indonésienne. »
Les années 1930 sont ensuite marquées par l’essor d’un mouvement national qu’exacerbe le refus des Néerlandais d’accorder le moindre pouvoir aux indigènes. La domination néerlandaise de l’archipel prend fin avec la capitulation des troupes coloniales face au Japon en 1942.
Après l’indépendance, avec la naissance de la République
Ils créent d’abord un « État d’Indonésie orientale » constitué de l’est de l’archipel et un « État de Bornéo occidental », puis d’autres « États » et « territoires », quinze au total, chacun avec son dirigeant, son gouvernement et son parlement.
En dépit des accords signés avec la République d’Indonésie, les Néerlandais lancent deux opérations militaires contre celle-ci, suscitant l’indignation. Sous la pression des Etats-Unis, ils acceptent de reprendre les négociations avec les Indonésiens. Le 27 décembre 1949, au terme d’une Conférence de la Table Ronde qui se tient à La Haye, le royaume des Pays-Bas procède au transfert formel de sa souveraineté sur les anciennes Indes néerlandaises, à une « République des Etats-Unis d’Indonésie » composée, aux côtés de la République d’Indonésie proprement dite, des quinze « Etats » et « territoires » créés par les Néerlandais. Ainsi prend fin la période que les Indonésiens appellent la Revolusi.
L’unité ne va pourtant pas de soi
Il y avait par ailleurs dans une partie de l’opinion non javanaise la perception d’une domination javanaise. Cette perception était une des motivations de la proclamation de la République des Moluques du Sud en 1950. En 1957 à Makassar dans le sud de Célèbes, le commandant militaire régional proclame la loi martiale et une Piagam Perjuangan Semesta (« charte pour une lutte universelle ») ou Permesta, qui déclare que la Revolusi doit être poursuivie. Dans le sud de Sumatra, l’assemblée régionale censure le gouverneur et l’autorité revient au commandant militaire. En 1958 à Padang dans l’ouest de Sumatra, des officiers et des politiciens annoncent la formation d’un Pemerintah Revolusioner Republik Indonesia (« gouvernement révolutionnaire de la République d’Indonésie ») ou PRRI, qui « cherchait non la mise en place d’une sorte particulière d’autonomie régionale, beaucoup moins à se détacher de la République, mais plutôt une renégociation de la disposition du pouvoir dans l’Etat indonésien par le remplacement du gouvernement central, jugé non seulement excessivement javanais d’orientation mais vénal, incapable et excessivement de gauche en orientation » selon les mots de Robert E. Elson (The Idea of Indonesia : a History, 2008).
En effet, durant cette période s’était développée dans la province d’Aceh, à la pointe nord de l’île de Sumatra, « une aspiration séparatiste [d’]une ampleur jusque-là jamais atteinte. Le même courant centrifuge se retrouvait au même moment à Timor-Leste et en Irian Jaya au point que cette simultanéité a pu faire penser à certains observateurs qu’on assistait à une désintégration de l’Indonésie à partir de la périphérie » pour Claude Guillot (« Aceh et les lectures de l’histoire », Archipel, Vol. 64, 2002)
Ces trois cas semblaient remettre en question la légitimité de la nation indonésienne. Ils sont en réalité de natures différentes. Timor-Leste, devenu formellement indépendant en 2002, était une colonie portugaise que l’armée indonésienne avait envahie en 1975 puis annexée l’année suivante. En août 1999, dans le nouveau contexte politique de l’après-Soeharto, les Timorais avaient à 78,5% voté « non » lors d’un référendum leur proposant une autonomie spéciale au sein de la République d’Indonésie, ce qui impliquait la séparation du territoire d’avec l’Indonésie.
Sous Soeharto, une centralisation croissante finit par rendre ce statut vide de sens. La découverte en 1971 d’un champ de gaz géant va raviver et exacerber le ressentiment envers le gouvernement central de la population d’Aceh, qui ne voit pas les retombées de l’exploitation du champ par la compagnie pétrolière américaine Mobil. En 1976 est fondé le Gerakan Aceh Merdeka (« mouvement pour un Aceh libre ») ou GAM. C’est le début également d’ »une guerre qui ne dit pas son nom », pour reprendre l’expression de l’historien français Romain Bertrand*, et prendra fin avec la signature en 2005 d’un accord entre le GAM et le gouvernement indonésien.
Le cas de la Nouvelle-Guinée occidentale est plus compliqué (et nous l’avons précédemment développé dans un autre article) puisque là, un mouvement indépendantiste, l’Organisasi Papua Merdeka (« organisation pour une Papouasie libre »), y conteste la légitimité de l’intégration à l’Indonésie. Une séparation ne signifierait pas l’éclatement de l’Indonésie. Mais le « problème papou » est bien un défi à l’ « Etat unitaire ».
Soutenez-nous !
Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.
Faire un don